La métaphore filée dans la poésie surréaliste - article ; n°1 ; vol.3, pg 46-60
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Description

Langue française - Année 1969 - Volume 3 - Numéro 1 - Pages 46-60
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1969
Nombre de lectures 68
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Michael Riffaterre
La métaphore filée dans la poésie surréaliste
In: Langue française. N°3, 1969. pp. 46-60.
Citer ce document / Cite this document :
Riffaterre Michael. La métaphore filée dans la poésie surréaliste. In: Langue française. N°3, 1969. pp. 46-60.
doi : 10.3406/lfr.1969.5433
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1969_num_3_1_5433Michael Riffaterre, Columbia Un.
LA MÉTAPHORE FILÉE
DANS LA POÉSIE SURRÉALISTE
Les images surréalistes sont généralement obscures et déconcertantes,
voire absurdes. Les critiques se contentent trop souvent de constater cette
obscurité, ou de l'expliquer par l'inspiration subconsciente ou tout autre
facteur extérieur au poème. Il me semble pourtant que beaucoup de ces
images ne paraissent obscures et gratuites que si elles sont vues isolément.
En contexte, elles s'expliquent par ce qui les précède : elles ont des anté
cédents plus aisément déchiffrables auxquels elles sont rattachées par une
chaîne ininterrompue d'associations verbales qui relèvent de l'écriture
automatique. L'arbitraire de ces images n'existe que par rapport à nos
habitudes logiques, à notre attitude utilitaire à l'égard de la réalité et du
langage x. Sur le plan de la parole, elles sont rigoureusement déterminées
par la séquence verbale, et donc justifiées, appropriées, dans le cadre du
poème. A l'intérieur de ce microcosme, une logique des mots s'impose
qui n'a rien à voir avec la communication linguistique normale : elle
crée un code spécial, un dialecte au sein du langage qui suscite chez le
lecteur le dépaysement de la sensation où les Surréalistes voient l'essentiel
de l'expérience poétique.
Or, par sa nature même, la métaphore filée constitue typiquement
un code spécial, puisque les images qui la composent n'ont de sens, ind
ividuellement comme en groupe, qu'en fonction de la première d'entre elles.
L'étude des formes qu'elle prend chez des poètes comme Breton et Éluard
devrait jeter quelque lumière sur les rapports de l'image « arbitraire »
et de l'écriture automatique.
1. Ce qui est précisément la définition que Breton donne de cet arbitraire : l'image
« la plus forte est celle qui présente le degré d'arbitraire le plus élevé..., celle qu'on met
le plus longtemps à traduire en langage pratique. » « (Premier) Manifeste du Surréa
lisme », in Manifestes du Surréalisme, Paris, Pauvert, 1962, p. 53. (Abréviation :
Manifestes.) Arbitraire relativement à l'usage seulement.
46 . Structure de la métaphore filée. 1
1.1. Ce qu'on appelle métaphore filée 2 est en fait une série de méta
phores reliées les unes aux autres par la syntaxe — elles font partie de la
même phrase ou d'une même structure narrative ou descriptive — et
par le sens : chacune exprime un aspect particulier d'un tout, chose ou
concept, que représente la première métaphore de la série. Exemples :
(i) (Sainte-Beuve) Tel filet d'idée poétique qui chez André Chénier
découlerait en élégie, ou chez Lamartine s'épancherait en médit
ation, et finirait par devenir fleuve ou lac, se congèle aussitôt
chez moi et se cristallise en sonnet 3.
(h) (Desportes) Je veux bastir un temple à ma chaste Déesse :
Mon œil sera la lampe, et la flamme immortelle
Qui m'ard incessamment, servira de chandelle :
Mon corps sera l'autel, et mes soupirs les vœux 4.
(iii) (Balzac) La terre promise de la vallée de Provins attirait d'au
tant plus ces Hébreux, qu'ils avaient... traversé, haletants, les
déserts sablonneux de la Mercerie 5.
La comparaison des exemples précédents permet de dégager les
composantes de la métaphore filée : pour chacune, je donnerai une défi
nition générale, puis les caractéristiques propres à la variété surréaliste.
1.2. Sémantique du code métaphorique : une métaphore immédiate
ment acceptable (que j'appellerai m. primaire) pose une équation sémant
ique T = У (où T est la teneur et У le véhicule 6), laquelle servira de
modèle aux métaphores suivantes et permettra au lecteur de les décoder
correctement.
La m. primaire M, est en somme la clé du code spécial établi par la
m. filée : chaque mot métaphorique figurant dans ce code sera marqué
comme tel en raison de sa parenté sémantique ou fonctionnelle avec Vj
de la m. primaire, et sera traduisible dans le sens indiqué par le modèle.
En (i), M, = filet d'idée poétique, où У, = filet, marque comme autant
de métaphores tous les verbes exprimant les modes d'existence de l'eau.
2. Les études sur la métaphore négligent la métaphore filée : on se borne à dire
qu'une m. filée est une m. continuée et quand on la commente, c'est pour la condamner
(par exemple Brunot, Hist, de la langue jr., t. Ill, i, pp. 246-261). Il n'est donc pas superf
lu d'en faire l'analyse formelle.
3. Pensées de Joseph Delorme, xi (éd. G. Antoine, p. 145); les contemporains l'ont
trouvée précieuse (ibid., n. 620).
4. Diane (1573); cité par F. Brunot, Hist, de la langue fr., t. III, i, p. 247.
5. Pierrette, Édition Pléiade, t. III, p. 670. Il s'agit de bonnetiers catholiques qui
veulent prendre leur retraite loin de Paris.
6. Teneur et véhicule sont empruntés à la théorie de la métaphore selon
I. A. Richards, The Philosophy of Rhetoric, 1936, chap. V-VI, précisée par Max Black,
Models and Metaphors, 1962, pp. 25-47.
47 Dans le code ainsi établi et en vertu du modèle de traduction donné par
la m. primaire, chaque mot de la famille d'eau signifie ' forme d'inspiration
poétique '; ils n'ont pas ce sens dans l'usage.
1.2.1. Par métaphore acceptable, j'entends une métaphore comp
réhensible, ou familière au lecteur, comme c'est aussi le cas en (i), parce
que Mx est traditionnelle ou conventionnelle. Elle « ressemble » à la réalité,
elle est verifiable par une comparaison des mots aux choses — c'est une
manifestation de la fonction référentielle du langage 7.
1.2.2. La m. primaire surréaliste ne diffère du type général que par
l'élargissement de la notion d'acceptabilité. Trois cas peuvent se pré
senter : a) l'acceptabilité est déterminée par la langue ou le corpus des
thèmes et conventions littéraires, conformément à la règle générale
(§ 1.2.1.) — b) l'acceptabilité est déterminée par le contexte : le lec
teur reconnaît dans V3 un mot identique ou apparenté aux mots utilisés
dans un passage précédent; sans cet emploi, le choix du mot paraîtrait
gratuit. Exemple :
(iv) (A. Breton) Cet instant fait dérailler le train rond des pendules 8.
Le sens est « un drame a lieu — dans un pareil moment, le temps semble
suspendu ». Gratuite par rapport à l'usage, la métaphore semble naturelle
dans un contexte où Breton décrit des ombres portées tournoyant sur les
parois circulaires d'un escalier; ombres de danseurs... sur une plaque tour
nante, où plaque tournante est un emprunt au lexique ferroviaire. — c) l'a
cceptabilité est déterminée par un postulat formel : la m. primaire est telle
que le lecteur y reconnaît la transformation arbitraire de formes connues,
cette transformation étant effectuée selon une méthode si évidente que
le lecteur la tolère comme il tolérerait une charade ou un paradoxe. Par
exemple, renouvellement de cliché, permutation des composantes d'un
groupe (* la hache dans la forêt ->■ la forêt dans la hache 9), syllepse, etc.
1.3. Lexique du code métaphorique : la séquence verbale engendrée
par la m. primaire contient une ou plusieurs métaphores dérivées de celle-ci;
chacune de ces m. dérivées reprenant l'équation initiale en la précisant
ou en la développant. Dérivation signifie que la case 10 V de chaque m.
dérivée est occupée par un mot apparenté à celui qui occupe la case Vx
de la m. primaire; de même pour les mots occupant les cases T2, Tn, etc.
En d'autres termes, la séquence verbale occupée par la m. filée se
forme par le déroulement parallèle de deux systèmes associatifs n, l'un
composé de mots app

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