La peau et sa pathologie: Langage du corps et reflet de la pensée médiévale - article ; n°3 ; vol.2, pg 7-17
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Description

Médiévales - Année 1983 - Volume 2 - Numéro 3 - Pages 7-17
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1983
Nombre de lectures 23
Langue Français

Extrait

Sophie Castera
La peau et sa pathologie: Langage du corps et reflet de la
pensée médiévale
In: Médiévales, N°3, 1983. pp. 7-17.
Citer ce document / Cite this document :
Castera Sophie. La peau et sa pathologie: Langage du corps et reflet de la pensée médiévale. In: Médiévales, N°3, 1983. pp. 7-
17.
doi : 10.3406/medi.1983.903
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/medi_0751-2708_1983_num_2_3_903TRAJECTOIRES
DU
SENS C ASTERA Sophie
LA PEAU ET SA PATHOLOGIE :
LANGAGE DU CORPS ET REFLET DE LA PENSÉE MÉDIÉVALE
€ Ou vis par ert si esfondree
Dou feu d 'enfer par si grant rage
Qu 'ele n 'avoit point de visage
Ne se n 'avoit ne nez ni bouche.
(...) Des le menton dusques as iek
De char n 'avoit mye plain
Genz l'esgardoyent a merveilles.
(... ) Les denz avoit si desrivez.
Les gencives si descarnees
Et les narrines si chevees
Que tant par ert espoentable
Qu'ele sambloit un vifdyable.
Qui l'esgardoit en mi le vis,
II sambloit bien et ert avis
Qu 'ele deûst les genz maingier. >
(Les miracles de Nostre-Dame,
Gautier de Coinci IIMir 24. )
En matière de pathologie médicale, les auteurs du 13ème siècle, spécialistes
ou pas, ont toujours limité leur approche à quelques aspects particuliers de
la maladie: affections de la peau, pathologie de l'appareil locomoteur, atteintes
des organes sensoriels, folie, et gynéco-obstétrique, telles sont les quelques
situations, presque à l'exclusion de toute autre, que met en jeu la littérature
non médicale. Si les médecins ne manifestent pas le même souci réducteur,
8 lés chirurgiens privilégient dans leurs traités, d'une part les plaies, ulcères et
apostèmes (abcès), de l'autre les fractures et luxations, encadrant ce qu'ils
nomment « les autres maladies ».
Incontestablement, dans toute la littérature du 13ème siècle, pourtant si
diversifiée dans son expression et ses intentions, les affections cutanées sont '
les plus représentées et étudiées. Comment et pourquoi ?
Dans les écrits non médicaux, il n'est question que de symptômes dermatol
ogiques divers non spécifiques: plaies, ulcères, tuméfactions, oedèmes, etc.
Plus ou moins précisément décrites, les affections en cause sont surtout caracté
risées d'une part, par l'aspect repoussant qu'elles confèrent au malade et
l'odeur nauséabonde qu'elles dégagent, d'autre part, par leur localisation,
préférentielle au niveau du visage et des membres inférieurs. Le caractère
fragmentaire du corps malade apparaît ainsi d'emblée. Dans tous les cas, les
troubles aboutissent rapidement à la perte de l'usage d'une jambe ou à des
déficits sensoriels, cécité essentiellement, quand des lésions extensives envahis
sent les orifices naturels de la face. «Les miracles de Nostre-Dame », ceux de
Saint Louis, rapportés par Guillaume de Saint Pathus et qui réalisent une
soixantaine de précieuses « observations » médicales, en sont quelques illustra
tions.
Dans les traités spécialisés, les développements en matière de dermatologie
sont particulièrement riches. Guido Lanfranchi et Henri de Mondeville dont
les chirurgies respectives représentent les textes chirurgicaux les plus import
ants du 13ème siècle en France, consacrent une large part de leur ouvrage au
traitement des plaies et ulcères, abordés de la tête aux pieds et à l'exposé
d'affections dermatologiques énumérées toujours « a capite ad calcem ».
D'une manière générale, la littérature médicale est peu descriptive. Rappel
anatomique, causes présumées et traitements font l'essentiel du chapitre.
Le plus souvent, on compile ou commente les œuvres des auteurs classiques,
en ajoutant au besoin quelques nouvelles recettes thérapeutiques. La sémiol
ogie, en tant que telle, n'est pas encore née.
Par contre, dénombrer semble être une préoccupation constante des médec
ins. De même qu'il y a, selon la Doctrine du Quaternaire, quatre éléments,
qualités, humeurs et complexions, on compte vingt couleurs possibles de
l'urine, dix-sept affections de la face ou cinq espèces de dartres.
On prend également soin de nommer: gale, saphates, purpura, serpigo,
impetigo, pannus, lentilles, goutte rosacée, mal mort, flegme salé, morphées,
etc. Tout cela ne constitue qu'un mince aperçu des multiples dénominations
dont on use.
Au sein de ce fatras terminologique non spécifique, quelques affections se
9 évoquant une pathologie connue: variole, lèpre, écrouelles, feu distinguent,
Saint Antoine...
Une étude plus précise de quelques-unes d'entre elles permet de dévoiler
rapidement l'extrême imprécision des critères diagnostiques. Les investigations
incomplètes des médecins ne suffisent pas à établir un véritable diagnostic
différentiel de ces dermatoses multiples. Ils l'avouent eux-mêmes: les chirur
giens « diffèrent tant sur ce sujet qu'ils se contredisent réciproquement ; aussi
ne peut-on tirer de leurs dires une vérité unique parce que ce que l'un appelle
serpigo, l'autre l'appelle impetigo et le troisième pannus;un quatrième com
prend l'un sous l'autre et veut qu'il n'y ait qu'une espèce et qu'un traitement ;
un cinquième admet trois espèces pour l'impétigo et trois traitements diffé
rents ». (Chirurgie de Maître Henri de Mondeville.)
Ainsi des malades non lépreux (syphilitiques par exemple) sont reconnus
comme tels, tandis que d'autres échappent totalement aux recherches des
médecins.
C'est le feu Saint Antoine, encore dit feu d'enfer, feu sacré, mal des Ard
ents..., qui semble avoir été l'objet des études les plus fouillées: assimilé à
d'innombrables affections éruptives avant d'être reconnu par H. Chaumartin
comme la conséquence d'une intoxication par le seigle ergoté, il démontre
l'extrême difficulté d'établir un parallèle nosographique entre le 13ème siècle
et l'époque moderne.
Là encore, la localisation des lésions est essentielle à considérer. Elles n'ont
pas de siège préférentiel mais on prend toujours grand soin de situer le mal:
le morcellement « a capite ad calcem » dont le corps malade fait l'objet rend
compte d'un souci de systématisation plus topographique que nosographique.
On est atteint à la tête ou à la jambe avant de souffrir d'un ulcère ou d'un
apostème. Cette conception localisatrice de la maladie prévaut dans toute la
littérature du 13ème siècle.
La distinction qu'on établit entre pathologie interne et externe en est un
autre aspect: « (...) les peuples de l'occident ont décidé (...) que toutes [les
maladies] qui apparaissent à l'extérieur où que ce soit sur le corps entier ou
dans une de ses parties (...), ainsi que toutes les maladies extérieures de la tête,
des bras, des cuisses et au-dessous, dont le siège peut être désigné, bien qu'elles
n'apparaissent pas au dehors (...), doivent être traitées par les chirurgiens (...).
Au contraire, les maladies qui sont dans la cavité intérieure de la tête et non
pas à l'extérieur, qui sont dans l'intérieur du coffre du corps (...), concernent,
suivant la décision du peuple, les médecins seuls. » (Chirurgie de Maître Henri
de Mondeville.)
10 Toute pathologie superficielle, apparente, manifeste ou localisable serait du
ressort du chirurgien ; toute lésion profonde, occulte, invisible ou de siège
inconnu relèverait davantage du médecin. Or celui-ci ne pratique pas l'autopsie,
n'a que de vagues notions anatomiques, ne dispose d'aucun moyen d'accès
direct à l'objet présumé de son étude. Pour lui comme pour le chirurgien,
la maladie doit donc se manifester à l'extérieur sous une forme visible, direct
ement ou indirectement. Uroscopie et saignée contribuent largement mais non
exclusivement à cette investigation. La peau en effet, en tant que lieu d'émer
gence d'une pathologie cachée, devient moyen d'exploration d'un corps dont
les profondeurs sont inaccessibles. La dermatologie apparaît alors comme
un véritable langage du corps qu'il convient de déchiffre

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