La prostitution dans les villes françaises au XVe siècle - article ; n°1 ; vol.35, pg 68-84
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Description

Communications - Année 1982 - Volume 35 - Numéro 1 - Pages 68-84
17 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1982
Nombre de lectures 44
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Jacques Rossiaud
La prostitution dans les villes françaises au XVe siècle
In: Communications, 35, 1982. pp. 68-84.
Citer ce document / Cite this document :
Rossiaud Jacques. La prostitution dans les villes françaises au XVe siècle. In: Communications, 35, 1982. pp. 68-84.
doi : 10.3406/comm.1982.1523
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1982_num_35_1_1523Jacques Rossiaud
Prostitution, sexualité, société
dans les villes françaises au xve siècle
Nous savons aujourd'hui que, dans les bonnes villes du XV* siècle, la
prostitution n'était pas seulement tolérée ou secrète; il existait en effet,
même en des agglomérations fort médiocres, des prostibula publica
appartenant à la communauté ou bien dépendant de l'autorité seigneuriale
lorsque la ville n'avait ni corps ni collège. Parfois (à Avignon ou Paris, par
exemple) la « grande maison » était remplacée par un ou plusieurs espaces
officiellement réservés à la prostitution publique. Grande bâtisse, cour
entourée de chambres, « bonne carrière » ou ensemble de rues bordées de
loges et de tavernes, la diversité d'aspect des lieux ne change rien à
l'essentiel : tous sont des espaces protégés où s'exerce officiellement la
fornication. En revanche, il n'est pas inutile de remarquer que certaines
villes ont fait édifier ou entretiennent un prostibulum qui se présente
comme une vaste demeure, alors même que leur domaine public est presque
inexistant, et que les conseillers ne se préoccupent guère des locaux de
l'école. Ordinairement, le bordel est baillé à ferme à une tenancière
(l'abbesse) qui a théoriquement le monopole de la prostitution, doit
recruter et surveiller les filles, faire respecter certaines règles, et rapporter
aux autorités les propos des clients que l'on ne connaît pas. L'abbesse,
fermière des revenus municipaux, est également un agent de renseignement
fort précieux.
Il existe dans chaque agglomération de quelque importance, en plus du
bordel public, un certain nombre d'étuves ou établissements de bains qui,
sauf exception, comportent plus de chambres que de cuves. Chaque quartier
a ses bains, modestes ou confortables. Leurs salles communes permettent
des réunions joyeuses, leurs cuisines sont bien pourvues en pâtés et en vins
et leurs chambres abondamment garnies de jeunes servantes. Malgré tous
les règlements, les étuves servent de maisons de rendez-vous et sont les
centres d'une prostitution notoire et permanente : les véritables maisons de
tolérance du temps.
Mais l'on voit surgir encore, en dehors même de ces lieux et, à vrai dire,
inégalement répartis dans la ville, ce que les contemporains appellent des
« bordelages privés » tenus par des maquerelles, hôtesses et entremetteuses
qui ont à leur disposition — soit entretenues sous leur toit, soit disponibles à
tout moment — une, deux ou trois filles. Il existait, à Dijon, en 1485, dix-
huit de ces centres, tolérés par le voisinage et nullement en marge de la
vie sociale, puisque treize d'entre eux étaient « dirigés » par des veuves
ou des épouses d'artisans qui exerçaient normalement leur métier
(ils étaient laboureurs, boulangers, charpentiers, vignerons et tonne-
68 La prostitution dans les villes françaises au XV siècle
liers) et ne se situaient pas aux derniers degrés de la hiérarchie sociale.
Ces femmes utilisaient pour leur trafic des « filles légères » qui
travaillaient aussi pour leur propre compte, allaient d'hôtel en hôtel,
racolaient dans les tavernes, sur les marchés ou dans les rues, quand elles
ne s'offraient pas sur la place d'embauché. C'est cette troupe changeante de
prostituées secrètes ou occasionnelles qui, périodiquement, se gonflait de
nouvelles venues ou de vagabondes attirées par les gros travaux agricoles,
les foires, les entrées princières ou les fêtes.
L'étonnant n'est pas l'omniprésence de la prostituée, figure depuis
longtemps familière de la rue médiévale, mais bien plutôt la coexistence de
ces cercles concentriques, d'une prostitution occasionnelle, tolérée puis
notoire, enfin publique, la grande maison se dressant à l'une des croisées
cardinales de l'espace politique urbain.
Les autorités ont-elles voulu moraliser la vie urbaine en réduisant les
filles en un « ghetto » municipal et sont-elles incapables de faire respecter
leur loi ? Les conseils veillent bien à ce que soient observées certaines règles
sanitaires : on ferme en temps pestiféré le prostibulum ou les étuves, tout
comme on prohibe les rassemblements commerciaux ou les danses
générales. Quant aux anciens interdits de temps,' ils ont presque disparu. Il
est significatif que certains baux de prostibula soient délivrés à Carême
entrant; cela montre que très anciennement l'interdit de Carême était
respecté. L'ancienne fermière partie, la nouvelle avait le temps de
s'installer, de recruter les filles avant de rouvrir la maison après les fêtes
pascales. Nous n'en sommes plus là : à Arles ou Dijon, les seules périodes
pendant lesquelles les filles font retraite et pendant lesquelles le tenancier
est indemnisé pour le manque à gagner, sont les fêtes de la Nativité et de la
Semaine Sainte. Le reste du temps, la maison est ouverte, dimanche
compris, la tenancière devant veiller à ce que l'on ne s'ébatte point durant
l'office solennel. A Dijon au moins, il ne semble pas que la fréquentation du
prostibulum le dimanche de Pentecôte ait paru scandaleuse.
L'observation des interdits sociaux pesant sur les filles publiques semble
également très partielle et bien souvent oubliée. Les marques d'infamie qui
faisaient de la prostituée une « intouchable » que l'on devait aussitôt
reconnaître pour s'en écarter ne sont plus guère en usage. On rappelle,
certes, dans les statuts avignonnais de 1441, que les meretrices doivent
obligatoirement acheter les mets qu'elles ont pu, au marché, toucher de
leurs mains; mais ces statuts reprennent en grande partie ceux du xiir siècle,
et l'on peut douter de leur application quand on sait que, dans les villes
languedociennes toutes proches (à Nîmes en particulier), les filles
publiques, lors de la Charité majeure (le jour de l'Ascension), pétrissaient
elles-mêmes des gâteaux que les consuls recevaient publiquement afin de les
offrir aux pauvres.
De la même manière, on veut obliger les filles publiques à porter une
« enseigne » (une aiguillette), à sortir « en cheveux », à renoncer aux
fourrures rares ou aux ceintures précieuses, mais ces prescriptions
vestimentaires prennent place dans le cadre d'ordonnances somptuaires
dont la destination générale restreint singulièrement la portée et dont le
fréquent renouvellement atteste suffisamment l'inefficacité.
69 Jacques Rossiaud
Quant aux limites spatiales, elles paraissent bien distendues ; prostïbula
ou bonnes rues ne sont pas des lieux clos. Les prostituées publiques
« gagnent leur aventure » dans les rues, les tavernes, sur la place ou aux
portes des églises. Manifestement, les autorités ne cherchent pas à les
enfermer et elles font preuve d'un laxisme identique à l'égard de la
prostitution tolérée (et cela à Saint-Flour comme à Dijon, Lyon ou
Avignon). A tel point que ce sont parfois les filles de la grande maison qui,
inquiètes d'une concurrence déloyale, plaident auprès du procureur ou du
conseil pour faire interdire un bordelage privé...
Bien sûr, de temps à autre, à la suite d'une mortalité, d'une mauvaise
récolte, de l'arrivée d'un grand prédicateur, on fait preuve de velléités
purificatrices : on ordonne aux concubines et aux filles secrètes de quitter la
ville et l'on feint de découvrir les crimes des maquerelles ou les turpitudes
des étuvistes. Mais, entre 1440 et 1480-1490, ces flambées moralisatrices
sont rares, et, lorsqu'elles se produisent, la dénonciation de la luxure n'est
qu'un préalable parmi beaucoup d'autres à la réforme des mœurs. S'agit-il
d'une année calamiteuse? On expulse pêle-mêle les pauvres, les vagabonds,
les ribauds et les filles. S'agit-il d'une prédication apocalyptique

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