La vedette : enquêtes d audience ? - article ; n°1 ; vol.2, pg 197-216
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Description

Communications - Année 1963 - Volume 2 - Numéro 1 - Pages 197-216
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1963
Nombre de lectures 31
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Roland Barthes
La vedette : enquêtes d'audience ?
In: Communications, 2, 1963. pp. 197-216.
Citer ce document / Cite this document :
Barthes Roland. La vedette : enquêtes d'audience ?. In: Communications, 2, 1963. pp. 197-216.
doi : 10.3406/comm.1963.965
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1963_num_2_1_965ENQUÊTES ET ANALYSES
Roland Barthes
La vedette : Enquêtes d'audience ?
En avril 1962, le CE. CM. A. S. a décidé d'entreprendre une enquête sur
l'audience des vedettes, ce terme étant pris au sens très large que Violette Morin
lui a donné ici même sous le nom d'Olympiens. Mais avant l'enquête proprement
dite, on a cru devoir procéder à un petit nombre d'interviews libres, destinés
à éclairer sur les possibilités de l'enquête projetée, et peut-être sur son principe
même, car rien n'assure a priori qu'une telle enquête soit féconde. On a donc
soumis à une dizaine de sujets, choisis aussi éclectiquernent que possible, un
jeu de photographies et de titres de presse concernant différentes vedettes
de l'actualité, en leur demandant de commenter librement ces documents 1.
On pourra lire ici trois de ces réponses, choisies pour leur caractère complément
aire : de ces trois réponses, l'une est en effet négative (I), une autre positive (III),
et la troisième intermédiaire (II). Il n'était pas question de faire intervenir
aucune appréciation statistique ; il faut pourtant indiquer qu'à part les réponses
II et III, tous les autres interviews (qui ne sont pas reproduits ici) sont des
réponses de censure, semblables à la réponse I : censure qui s'exerce d'ailleurs
beaucoup moins sur tel ou tel modèle particulier que sur le phénomène lui-
même de la « mise en vedette » : ce pour quoi on a cru pouvoir risquer ici et là
le terme de vedettisation : c'est, dans les cas de censure, l'institution qui est
jugée, non ses contenus. Voici, transcrits, ces interviews, tels que le magnéto
phone les a enregistrés :
Homme, 46 ans, marié, un enfant de 8 ans. Architecte. Parisien, Lit régulièrement
France-Soir, Arts souvent Match.
1. Le matériel portait sur les vedettes suivantes : Brigitte Bardot, Gérard Philippe,
Johnny Halliday, F. Sagan, Krouchtchev, J. Gabin,
197 Barthes Roland
H. — Je suis extrêmement déçu que l'homme consacre tellement de temps aux
vedettes de cinéma, aux Brigitte Bardot et CIe. Il y a des êtres qui ont du talent dans
tous les domaines et dont on n'entend jamais parler. La vedette est actuellement une
chose pré-fabriquée qui est une résultante de toutes les campagnes des journaux,
par exemple de Elle... Même les intellectuels qu'on présente au public ne sont certaine
ment pas ceux que le public aimerait connaître ou connaître mieux.
E. — Vous avez V impression que ces célébrités sont fabriquées de toutes pièces ?
H. — Je le crois, et là je suis très sincère. On peut faire une vedette de toute chose...
Çà pourrait être intéressant si le jugement de ceux qui nous la propose était valable,
mais la plupart du temps il ne l'est pas... Et puis je me demande aussi si on a tellement
besoin de présenter aux gens l'intérêt de Monsieur ou de Madame. Il faudrait peut-
être mieux que ce soit les gens qui essaient de partir à la recherche.
E. — Vous avez l'impression qu'on impose des célébrités aux gens?
H. — Mais oui, on leur évite de réfléchir, de connaître, de juger, on veut faire de
nous des pantins. Maintenant n'importe qui a son jugement sur tel littérateur, n'im
porte qui a son jugement sur la peinture qu'elle soit abstraite, qu'elle soit figurative,
n'importe qui a son sur l'architecture, n'importe qui se croit autorisé à crit
iquer n'importe quelle chose, n'importe quel architecte, quand on ne connaît absolu
ment pas le problème !
E. — Vous pensez que ces moyens de diffusion diffusent une espèce de fausse connais
sance, et que c'est grave dans la mesure où les gens acceptent passivement, ne prennent
pas eux-mêmes d'initiative P
H. — Oui, oui. Ils ne jugent pas. Il y a Elle, Elle est là, Elle rend des services, Elle
rend tous les services ménagers et intellectuels. Je trouve que c'est extrêmement dan
gereux. Et sans intérêt. Je prends ce journal simplement parce qu'il me vient à l'esprit.
Je prends ce journal parce qu'au fond il résume très bien tout ce drame : on apprend
aux gens à s'habiller, on leur apprend à faire la cuisine. On leur apprend que M. Marcel
Achard a fait telle pièce. Et on leur apprend que tel peintre est un peintre de génie.
Les gens n'ont plus le don. Non, si on accepte comme çà, on accepte de ne plus se
creuser le crâne, de ne plus partir à la recherche d'une pensée, d'une proposition de
sculpteur ou d'architecte. Tout çà c'est automatique, c'est jugé par ces journaux-là
et nous ne nous donnons plus de mal...
E. — Vous vous insurgez contre les jugements tout faits aussi bien au sujet du monde
littéraire que du monde artistique et du cinéma, particulièrement à cause de la publicité.
H. — Oh absolument, à moins que je sois averti par des personnes très valables
qui ont été voir le film. D'ailleurs, qu'est-ce que ça nous donne le cinéma ? A part
certains courts métrages que je viens de découvrir à la télévision, puisque je ne vais
plus au cinéma. A part certains courts métrages français et étrangers, d'Europe de
l'Est, surtout, où j'ai constaté des choses très étonnantes... Dès que je vais au cinéma,
c'est pour voir un navet. Mais je suis très sincère, vous savez... très, très sincère. D'autre
part, est-ce que la vulgarisation est tellement utile ? Est-ce que vous croyez que ce
débordement de toutes les publications sur les œuvres d'art est tellement indispen
sable à notre civilisation ? Est-ce que vous ne croyez pas que c'est faciliter la paresse ?
Rechercher une toile, c'est merveilleux ! Rechercher une architecture, c'est merveil
leux ! Maintenant tout est écrit, on n'a plus besoin de se donner de mal. Mais je crois
qu'en fin de compte, çà f... en l'air toute la sensibilité de l'homme, ne croyez-vous
pas ? Si les gens sont des intellectuels et si on les pioche un peu, eh bien, on a nettement
l'impression qu'ils ont appris une leçon. On ne pense rien. Toute sensibilité a disparu.
Du moment que c'est un Renoir, c'est un chef-d'œuvre, du moment que c'est un Picasso,
c'est un chef-d'œuvre. Du moment que c'est... ou autre chose, c'est un chef-d'œuvre
mais non, non. Chaque grand peintre a fait des chefs-d'œuvre mais il a fait également
de belles petites saloperies, hein ! C'est normal, c'est normal, heureusement !
198 La vedette : Enquêtes d'audience?
E. — Vous vous refusez à une espèce de déification.
H. — Absolument, tout le panache qu'on peut faire d'une Brigitte Bardot. C'est
extrêmement décevant et ennuyeux de constater que les Français en sont là ! Quoi !
Çà n'a aucun intérêt. Je n'ai jamais vu de films de Brigitte Bardot, j'ai passé mes
vacances à côté de chez elle, je suis à vingt mètres de chez elle mais je n'ai jamais eu
le moindre désir de la rencontrer, jamais, jamais. Je m'en f..., m'en f.... Et quand je
pense maintenant que Madame passe à la télévision pour la protection des bêtes, il
s'agit d'une espèce de révolte dont elle est l'avocat. Évidemment, il vaudrait mieux
peut-être que les bêtes soient tuées autrement, mais enfin il y a d'autres gens qui pour
raient le dire ! Que Mme Brigitte Bardot s'occupe de son enfant et de son ménage ou
d'un de ses ménages, et qu'elle nous f... la paix. C'est un être sans intérêt, quoi ! Elle
fait faire à la France des rentrées de dollars, bon, très bien. Mais c'est tout, quoi, qu'on
n'en parle pas plus ! Mais enfin il y a quantité de types de la faculté des Sciences, de
l'Institut Pasteur dont on n'entend absolument jamais parler. On découvre des philo
sophes quand ils ont 80 ans, n'est-ce pas ? Et en ce moment, on l'intérêt
d'un Le Corbusier quand il a plus de 80 ans. Eh bien, non, on aurait mieux fait de
s'y intéresser quand il avait 30 ans et de le comprendre bien.
E. — Vous avez l'impression qu'on

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