Le bain des Melunaises : les juifs médiévaux et l eau froide des bains rituels - article ; n°43 ; vol.21, pg 91-101
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Le bain des Melunaises : les juifs médiévaux et l'eau froide des bains rituels - article ; n°43 ; vol.21, pg 91-101

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Description

Médiévales - Année 2002 - Volume 21 - Numéro 43 - Pages 91-101
Cet article traite des discussions de quelques rabbins ashkénazes et provençaux concernant la possibilité de chauffer l'eau du bain rituel des femmes. La tradition rapporte que Rabbenu Hananel et Rabbenu Tarn, deux autorités incontestables, permettaient cette coutume. Cependant, nombreux furent les experts en droit à douter de ce que cette opinion de Rabbenu Tarn fût vraie, ayant entendu dire qu'il avait interdit cette pratique. Cet article vise à confirmer le caractère certain de cette tradition, en s 'appuyant sur de nouveaux textes.
The Bath of the Women of Melun : Medieval Jews and Ritual Baths' Cold Water - The article deals with the discussions of certain medieval Ashkenazi and Provençal rabbis about the legality of warming the water of the ritual baths used by Jewish women. Tradition held that Rabbenu Hananel and Rabbenu Tarn, two major authorities, permitted the custom. Nevertheless, many Jewish legal experts were not sure about the real opinion of Rabbenu Tarn, having heard about a case in which he forbade it. The article shows that a text we know today confirms the first tradition.
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2002
Nombre de lectures 8
Langue Français

Extrait

Prof. Evyatar Marienberg
Le bain des Melunaises : les juifs médiévaux et l'eau froide des
bains rituels
In: Médiévales, N°43, 2002. pp. 91-101.
Résumé
Cet article traite des discussions de quelques rabbins ashkénazes et provençaux concernant la possibilité de chauffer l'eau du
bain rituel des femmes. La tradition rapporte que Rabbenu Hananel et Rabbenu Tarn, deux autorités incontestables, permettaient
cette coutume. Cependant, nombreux furent les experts en droit à douter de ce que cette opinion de Rabbenu Tarn fût vraie,
ayant entendu dire qu'il avait interdit cette pratique. Cet article vise à confirmer le caractère certain de cette tradition, en s
'appuyant sur de nouveaux textes.
Abstract
The Bath of the Women of Melun : Medieval Jews and Ritual Baths' Cold Water - The article deals with the discussions of certain
medieval Ashkenazi and Provençal rabbis about the legality of warming the water of the ritual baths used by Jewish women.
Tradition held that Rabbenu Hananel and Rabbenu Tarn, two major authorities, permitted the custom. Nevertheless, many
Jewish legal experts were not sure about the "real" opinion of Rabbenu Tarn, having heard about a case in which he forbade it.
The article shows that a text we know today confirms the first tradition.
Citer ce document / Cite this document :
Marienberg Evyatar. Le bain des Melunaises : les juifs médiévaux et l'eau froide des bains rituels. In: Médiévales, N°43, 2002.
pp. 91-101.
doi : 10.3406/medi.2002.1559
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/medi_0751-2708_2002_num_21_43_1559Médiévales 43, automne 2002, p. 91-102
Evyatar MARIENBERG
LE BAIN DES MELUNAISES : LES JUIFS MÉDIÉVAUX
ET L'EAU FROIDE DES BAINS RITUELS
On ne peut souligner assez l'importance des bains rituels dans la vie
des juifs au Moyen Âge, et des juifs pratiquants encore de nos jours.
D'après la loi juive, la Halakhah, toute femme mariée doit, si elle veut
avoir des relations sexuelles avec son conjoint, prendre un bain rituel
quelques jours après la fin de ses règles. Sinon, elle reste dans un état
d'impureté, elle est niddah. Les relations sexuelles avec elle sont sanc
tionnées par le Karet, traditionnellement compris dans la tradition juive
comme un châtiment grave : la mort « des mains du ciel » l. L'ablution
purificatrice peut avoir lieu dans la nature, par exemple dans certains
types de rivières, à la mer ou dans une source. Les femmes peuvent
également se plonger dans une piscine construite par la main de
l'homme, le mikveh (plur. mikvà'ot). Dans ce dernier cas, certaines
normes doivent être observées. Le mikveh doit contenir un volume d'au
moins quarante se' ah d'eau (entre 500 et 800 litres, selon les écoles),
qui ne doit pas être « puisée », c'est-à-dire qui a dû s'accumuler dans le
bain sans avoir été portée vers le haut d'une quelconque manière.
1. L'interdit est basé sur Lv 20.18. Sur la divergence de lecture surprenante de ce
verset chez les juifs et les chrétiens, pour qui la sanction biblique est tout simplement la
mort (interftcientur), voir E. Marienberg, Niddah : études sur la Baraita de Niddah et
sur la conceptualisation de la menstruation dans le monde juif et son écho dans le
monde chrétien de l'époque médiévale à nos jours, Thèse de doctorat, EHESS, Paris,
2002, p. 340-345. Sur l'interprétation juive traditionnelle du Karet voir Talmud de
Babylone (désormais TB), Mo 'ed-Katan 28a, ainsi que Talmud de Jérusalem, Bikkurim
2.1 (64c). Pour un exemple médiéval, voir J. b. A. Gerondi (1200-1263), Sha'arei
Teshuvah III, 124. Voir aussi I. M. Ta-Shma, « Karet », dans Encyclopaedia Judaica
(CD-ROM), ainsi que H. Kasher, « On the Meanings of the Biblical Punishment of
Karet (Excision) and the Midrashic "He has No Share in the World to Come" according
to Maimonides » (hébreu), Sidra, 14, 1998, p. 39-58. 92 E.MARIENBERG
Même si la construction d'un mikveh n'est pas chose aisée, l'exis
tence d'un bain rituel artificiel présente des avantages indéniables : les
femmes peuvent s'y purifier à toute heure et saison, et sont protégées
des regards indiscrets auxquels elles pourraient être exposées si elles se
baignaient dans la nature. Bâtir un tel édifice était donc l'une des
premières préoccupations de toute nouvelle communauté juive.
Souvent, durant le Moyen Âge, lorsqu'une synagogue permanente était
érigée, un mikveh était construit dans son sous-sol. Il nous reste
aujourd'hui un nombre non négligeable de mikva' ot de l'Europe médiév
ale, ceux de Worms ou de Speyer comptant parmi les plus beaux
exemples 2.
La localisation de ces deux dernières communautés suggère la ques
tion qui motive notre étude : durant l'hiver, lorsque la température natu
relle de l'eau était trop basse pour permettre un bain agréable, était-il
permis d'utiliser de l'eau chaude dans le mikveh ? Nous nous limiterons
aux sources de la période des Tossafistes 3, période cruciale dans le
développement de la Halakhah. Notre recherche se base donc sur des
sources provençales et ashkénazes 4, datant du XIIe au XIVe siècle, plus
particulièrement une correspondance entre deux rabbins et frères, Isaac
et Samson, qui étaient tous deux des codificateurs majeurs.
L'état de la controverse
La question fut soulevée pour la première fois, quoique indirecte
ment, dans un court texte talmudique qui mentionne une tension au
IVe siècle entre l'Exilarche, le chef politique de la communauté juive en
Babylonie, et sa femme. Apparemment, celle-ci refusa de se purifier.
Lorsque l'un des Sages essaya de la convaincre de le faire, il lui
2. Sur les mikva 'ot en Allemagne, voir G. Heuberger, Mikwe, Geschichte und
Architektur jiidischer Ritualbàder in Deutschland, Francfort-sur-Main, 1992. Sur les
mikva 'ot en France, voir, entre autres : D. Ianco-Agou, « À propos du mikve de Perpi
gnan et d'autres cités méridionales », Revue des Études Juives (désormais REJ), 151,
1992, p. 355-362; R. Weyl et M. Weyl, « La fresque de la cour du bain des juifs à
Strasbourg », REJ, 157, 1998, p. 371-378. Sur un mikveh beaucoup plus récent, voir A.
ZiNK, « Le bain rituel de Saint-Esprit-Lès-Bayonne », REJ, 155, 1996, p. 401-419.
3. En France et en Allemagne entre le XIIe et le XIVe siècles, les Tossafistes étaient
des savants qui ont développé une méthode d'interprétation des textes talmudiques,
basée sur l'œuvre de Salomon ben Isaac (Rashi, 1040-1 105).
4. La question de l'origine de ce terme reste complexe. Il semble qu'à partir du
XIIe siècle, le terme « Ashkénaze » fasse référence à l'Allemagne, et plus spécifique
ment à la région du Rhin. Plus tard, il englobe aussi le Nord de la France. Ce n'est que
quelques siècles après qu'il est également employé pour désigner la culture juive origi
naire de cette région. LE BAIN DES MELUNAISES 93
demanda si elle ne voulait pas se baigner parce qu'il lui manquait des
récipients d'eau 5. Lorsque les Tossafistes interprétèrent cette histoire,
ils firent appel à l'explication donnée par Rabbenu Hananel ben
Hushi'el de Kairouan 6. D'après celui-ci, la question posée à la femme
de l'Exilarche était :
N'avez-vous pas de récipients afin de faire chauffer de l'eau et la verser dans
l'eau froide, si vous avez peur du froid 7 ?
« ? run p nirrna ra< ox iaisa &mt? pan "f? nnrt? "f? vn vb nnv »
Des Tossafistes rapportèrent que Jacob ben Meir, plus connu sous le
nom de Rabbenu Tarn 8, interpréta cette anecdote talmudique de façon
semblable 9. Dans la même ligne de pensée, Abraham ben Nathan ha-
Yarhi, un codificateur provençal du XIIe siècle 10, dit sans aucune ambig
uïté :
Si la femme a peur de la température de l'eau du bain durant l'hiver, s'il y a dans
le bain quarante se' ah d'eau non puisée, si elle veut chauffer de l'eau et la verser
dans le bain pour éviter d'attraper froid, elle peut le faire, elle peut se baigner, et
elle deviendra pure et cacher pour son mari n.
« ... nue 'a ys\m iriw o'aa mpaa rrrrm ira «pirn 'n'a mpan •>» n»1? nrcxn «nnn oin
ïTvwai miroi ina rfrawi nra msnn poxn vtw *ra mp>an "ivfr tvïti pan era onn'; mnrn
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D'après ces textes, la situation est clairement favorable aux femmes,

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