Le grain et la grandeur : les origines économiques de la politique européenne du général de Gaulle (1ère partie) - article ; n°4 ; vol.49, pg 507-544
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Le grain et la grandeur : les origines économiques de la politique européenne du général de Gaulle (1ère partie) - article ; n°4 ; vol.49, pg 507-544

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Description

Revue française de science politique - Année 1999 - Volume 49 - Numéro 4 - Pages 507-544
Les centaines d'ouvrages et d'articles publiés par des historiens, politistes ou commentateurs sur la politique du général de Gaulle à l'égard de l'intégration européenne accordent tous une valeur explicative prépondérante à l'idéologie géopolitique particulière du Général. Les expli­cations de sa politique européenne n 'accordent qu 'un rôle secondaire - lorsqu 'elles lui en don­nent un —aux préoccupations d'ordre commercial. Le présent article entend renverser ce consensus historiographique à travers une analyse des quatre décisions majeures prises sous la présidence du général de Gaulle : le maintien de la France dans le Marché commun et la défense de la politique agricole commune (PAC), la proposition du plan Fouchet au début des années soixante, l'opposition à l'entrée de la Grande-Bretagne dans la CEE et le déclenche­ment de la crise de la « chaise vide » en 1965-1966 qui mènera au Compromis de Luxembourg. Dans chacun de ces cas, la masse énorme de documents de première main - discours, mémoires, entretiens privés et documents ministériels — montre que le général de Gaulle pour­suivait des intérêts plus commerciaux que géopolitiques. A l'instar de ses prédécesseurs et de ses successeurs, de Gaulle voulait promouvoir l'industrie et l'agriculture françaises en instau­rant des marchés protégés pour l'exportation des produits français. S'il poursuivait des buts géopolitiques, les contraintes commerciales imposées par les industriels et surtout par les groupes de producteurs agricoles étaient si fortes qu 'elles rendaient ces buts quasiment impos­sibles à atteindre. De Gaulle était un homme de démocratie avant d'être un visionnaire dans le domaine géopolitique. Son expérience nous en dit long sur les limites que la politique démocra­tique moderne impose à l'homme d'État qui veut mettre son génie au service d'une vision géo­politique personnelle.
Grain and grandeur : the economic origins of general de gaulle's european policy
The thousands of books and articles on Charles de Gaulle's policy toward European integra­tion, whether written by historians, political scientists, or commentators, universally accord primary explanatory importance to the General's distinctive geopolitical ideology. Explana­tions of his European policy place seondary significance, if any at all, on commercial conside­rations. This paper seeks to overturn this historic graphical consensus by examining the four major decisions toward European integration taken under de Gaulle's Presidency : to remain in the Common Market and promote the CAP, to propose the Fouchet Plan in the early 1960s, to veto British accession to the EEC, and to provoke the « empty chair » crisis in 1965-1966, resulting in « Luxembourg Compromise ». In each case, I argue, the overwhelming bulk of the primary evidence - speeches, memoirs, confidential discussions, and government documents -confirms that the interests de Gaulle pursued were more commercial than geopolitical. Like his predecessors and successors, de Gaulle sought to promote French industry and agriculture by establishing protected markets for their export products. Insofar as the General had geopoli­tical aims, commercial constraints imposed by industrial and, above all, agricultural producer groups were so tight that he was hardly able to realize them. De Gaulle was a democratic poli­tician first and a geopolitical visionary second. His experience has much to tell us about the narrow limits modern democratic politics imposes on any effort to make statecraft serve an idio­syncratic geopolitical vision.
38 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1999
Nombre de lectures 26
Langue Français
Poids de l'ouvrage 4 Mo

Extrait

Monsieur Andrew Moravcsik
Le grain et la grandeur : les origines économiques de la politique
européenne du général de Gaulle (1ère partie)
In: Revue française de science politique, 49e année, n°4-5, 1999. pp. 507-544.
Citer ce document / Cite this document :
Moravcsik Andrew. Le grain et la grandeur : les origines économiques de la politique européenne du général de Gaulle (1ère
partie). In: Revue française de science politique, 49e année, n°4-5, 1999. pp. 507-544.
doi : 10.3406/rfsp.1999.396244
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsp_0035-2950_1999_num_49_4_396244Résumé
Les centaines d'ouvrages et d'articles publiés par des historiens, politistes ou commentateurs sur la
politique du général de Gaulle à l'égard de l'intégration européenne accordent tous une valeur
explicative prépondérante à l'idéologie géopolitique particulière du Général. Les expli-cations de sa
politique européenne n 'accordent qu 'un rôle secondaire - lorsqu 'elles lui en don-nent un —aux
préoccupations d'ordre commercial. Le présent article entend renverser ce consensus historiographique
à travers une analyse des quatre décisions majeures prises sous la présidence du général de Gaulle :
le maintien de la France dans le Marché commun et la défense de la politique agricole commune
(PAC), la proposition du plan Fouchet au début des années soixante, l'opposition à l'entrée de la
Grande-Bretagne dans la CEE et le déclenche-ment de la crise de la « chaise vide » en 1965-1966 qui
mènera au Compromis de Luxembourg. Dans chacun de ces cas, la masse énorme de documents de
première main - discours, mémoires, entretiens privés et documents ministériels — montre que le
général de Gaulle pour-suivait des intérêts plus commerciaux que géopolitiques. A l'instar de ses
prédécesseurs et de ses successeurs, de Gaulle voulait promouvoir l'industrie et l'agriculture françaises
en instau-rant des marchés protégés pour l'exportation des produits français. S'il poursuivait des buts
géopolitiques, les contraintes commerciales imposées par les industriels et surtout par les groupes de
producteurs agricoles étaient si fortes qu 'elles rendaient ces buts quasiment impos-sibles à atteindre.
De Gaulle était un homme de démocratie avant d'être un visionnaire dans le domaine géopolitique. Son
expérience nous en dit long sur les limites que la politique démocra-tique moderne impose à l'homme
d'État qui veut mettre son génie au service d'une vision géo-politique personnelle.
Abstract
Grain and grandeur : the economic origins of general de gaulle's european policy
The thousands of books and articles on Charles de Gaulle's policy toward European integra-tion,
whether written by historians, political scientists, or commentators, universally accord primary
explanatory importance to the General's distinctive geopolitical ideology. Explana-tions of his European
policy place seondary significance, if any at all, on commercial conside-rations. This paper seeks to
overturn this historic graphical consensus by examining the four major decisions toward European
integration taken under de Gaulle's Presidency : to remain in the Common Market and promote the
CAP, to propose the Fouchet Plan in the early 1960s, to veto British accession to the EEC, and to
provoke the « empty chair » crisis in 1965-1966, resulting in « Luxembourg Compromise ». In each
case, I argue, the overwhelming bulk of the primary evidence - speeches, memoirs, confidential
discussions, and government documents -confirms that the interests de Gaulle pursued were more
commercial than geopolitical. Like his predecessors and successors, de sought to promote
French industry and agriculture by establishing protected markets for their export products. Insofar as
the General had geopoli-tical aims, commercial constraints imposed by industrial and, above all,
agricultural producer groups were so tight that he was hardly able to realize them. De Gaulle was a
democratic poli-tician first and a geopolitical visionary second. His experience has much to tell us about
the narrow limits modern democratic politics imposes on any effort to make statecraft serve an
idio-syncratic geopolitical vision.GRAIN ET LA GRANDEUR : LE
LES ORIGINES ÉCONOMIQUES
DE LA POLITIQUE EUROPÉENNE
DU GÉNÉRAL DE GAULLE
PREMIERE PARTIE
ANDREW MORAVCSIK
Plus de deux mille ouvrages et articles écrits dans plus de quarante-cinq langues
ont été consacrés à la vie du général de Gaulle, et davantage encore à son action
dans le cadre de la politique étrangère française '. Dans leur immense majorité,
ces études concordent sur un aspect au moins. Elles voient toutes en de Gaulle l'arché
type de l'homme d'État visionnaire. Biographes et observateurs le décrivent en effet
comme un « leader innovateur », soucieux de « haute » politique plus que de « basse »
politique, hanté par le prestige et la sécurité politico-militaire plus que par le bien-être
économique, guidé par une vision géopolitique personnelle du monde plus que par les
impératifs terre à terre de la gouvernance démocratique. Sa façon de gouverner
incluait la mobilisation des masses par le recours à des symboles et des idées - qu'il
défendait très sincèrement. Son mandat présidentiel, qui s'étend de 1958 à 1969, est
donc une étude des possibilités et des limites de l'art politique du visionnaire à
l'époque moderne 2.
Rien ne démontrerait plus clairement, dit-on, l'importance prépondérante de la
vision géopolitique personnelle de De Gaulle que les actions spectaculaires de la
France sous sa présidence. La politique de De Gaulle vis-à-vis de l'intégration euro
péenne s'ordonne en effet autour de quatre événements. Premièrement, dès sa prise de
fonctions en 1958, le Général surprit les observateurs en se ralliant très vite au traité
1. Sur le nombre d'ouvrages, cf. Philip H. Gordon, A Certain Idea of France. French Secur
ity Policy and the Gaullist Legacy, Princeton, Princeton University Press, 1993, p. 203. Une
compilation sélective sur une décennie dépasse les trois cents pages : Institut Charles-de-
Gaulle, Nouvelle bibliographie internationale sur Charles de Gaulle, 1980-1990, Paris, Pion,
1990.
2. Pour preuve, les ouvrages suivants : Daniel J. Mahoney, De Gaulle : Statesmanship,
Grandeur, and Modem Democracy, Westport, Praeger, 1996 ; John Newhouse, De Gaulle and
the Anglo-Saxons, New York, Viking Press, 1970 ; Stanley Hoffmann, « De Gaulle as an Inno
vative Leader », dans Gabriel Sheffer (éd.), Innovative Leaders in International Politics,
Albany, State University of New York Press, 1993, p. 57-81 ; John Pinder, Europe against de
Gaulle, Londres, Pall Mall, 1963 ; Charles Williams, The Last Great Frenchman. A Life of
General De Gaulle, Londres, Little Brown and Company, 1993 ; Serge Berstein, La France et
l'expansion. La République gaullienne, 1958-1969, Paris, Le Seuil, 1989 ; Lois Pattison de
Ménil, Who Speaks for Europe ? The Vision of Charles de Gaulle, New York, St. Martin's
Press, 1977 ; Stanley Hoffmann, « De Gaulle's Foreign Policy : The Stage and the Play, the
Power and the Glory », dans S. Hoffmann (éd.), Decline or Renewal ? France since the 1930s,
New York, Viking Press, 1974, p. 283-331 ; Anton W. DePorte, De Gaulle's Foreign Policy,
1964-1966, Cambridge, Harvard University Press, 1968 ; Nora Beloff, The General Says No.
Britain's Exclusion from Europe, Harmondsworth, Penguin, 1963.
507
Revue française de science politique, vol. 49, n° 4-5, août-octobre 1999, p. 507-543.
© 1999 Presses de la Fondation nationale des sciences politiques. Andrew Moravcsik
de Rome. Il établit ensuite une étroite collaboration avec les cinq autres États membres
pour accélérer la création de la CEE, comprenant la mise en place d'une politique agri
cole et d'une politique commerciale communes. Deuxièmement, au début des années
soixante, de Gaulle proposa, sans succès, le plan Fouchet, sorte d'arrangement inte
rgouvernemental pour la coordination d'une politique extérieure et économique com
munes. Troisièmement, il s'opposa systématiquement au rapprochement des relations
avec la Grande-Bretagne. Il bloqua par deux fois les propositions britanniques de créa
tion d'une zone de libre-échange en 1959 et de création d'une Association européenne
de libre-échange (AELE) l'année suivante, puis il mit son veto à l'adhésion de la
Grande

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