Le lalein et le grafein, parler et écrire en grec - article ; n°1 ; vol.75, pg 257-271
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Description

Revue du monde musulman et de la Méditerranée - Année 1995 - Volume 75 - Numéro 1 - Pages 257-271
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1995
Nombre de lectures 19
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Maria Couroudi
Le lalein et le grafein, parler et écrire en grec
In: Revue du monde musulman et de la Méditerranée, N°75-76, 1995. pp. 257-271.
Citer ce document / Cite this document :
Couroudi Maria. Le lalein et le grafein, parler et écrire en grec. In: Revue du monde musulman et de la Méditerranée, N°75-76,
1995. pp. 257-271.
doi : 10.3406/remmm.1995.2626
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remmm_0997-1327_1995_num_75_1_2626Maria Couroudi
Le lalein et le grafein,
parler et écrire en grec
Depuis les premiers temps de la formation de la nation grecque, l'idée
de la nation a été associée à la continuité de la langue. Dans le « Que sais-
je » sur Y Histoire de la Grèce moderne on peut lire ceci :
Ainsi, l'histoire néo-hellénique offre pour l'étude du phénomène [de la
formation d'une nation moderne] un cas typique, comme la langue grecque,
par son évolution ininterrompue, fournit au linguiste le meilleur sujet
d'étude pour les langues indo-européennes et la linguistique générale. C'est
ainsi qu'est née, chez les observateurs étrangers comme chez les Hellènes,
l'idée de « permanence de la Grèce1 ».
L'histoire de la langue grecque dans sa longue durée a été marquée par
le phénomène de la diglossie, c'est-à-dire la coexistence de plus d'une
variante de la même langue, une sorte de langue à plusieurs étages, cor
respondant à différents groupes sociaux et niveaux de connaissances. Parmi
ces niveaux, on distingue le plus souvent entre deux grandes catégories, la
langue parlée ou langue populaire d'une part et la langue écrite ou langue
savante de l'autre, distinction qui perdure jusqu'au XXe siècle et s'estompe
avec l'alphabétisation.
Ainsi à l'opposition oral/écrit correspond l'opposition culture tradi
tionnelle/culture savante. Peut-on écrire la tradition ? Quelle est la part de
1. N. Svoronos, 1980 : 124.
REMMM 75-76, 1995/1-2 258 1 Maria Couroucli
la tradition dans l'écriture néo-hellénique ? Ce sont des questions qui se
posent dès lors qu'on envisage d'étudier les parts respectives de l'oral et
de l'écrit dans la culture grecque contemporaine.
En guise de préambule, il convient peut-être d'évoquer les mots que le
vocabulaire grec utilise pour désigner le domaine de l'oral et le domaine
de l'écrit. Ces mots ainsi que leurs champs sémantiques pourront servir de
fil d'Ariane et guider les premiers pas de l'ethnologue dans son travail
d'observation de la société contemporaine.
En grec moderne l'oral relève du domaine de trois verbes : Ma, omilà
et lègho2. Tout d'abord le verbe Mo "bavarder" puis "parler" en grec
bavarder" mais ancien, qui perdure en grec moderne pour signifier "parler,
"gazouiller" : les oiseaux est surtout employé pour évoquer la notion de
Moùn, ils chantent. Lalià prend aussi le sens de "voix" humaine : dans les
chants populaires les oiseaux parlent avec une Mià humaine. A-Mos est
celui qui a perdu sa voix, et les parlers populaires sont souvent appelés des
dopioMiès, c'est-à-dire des "voix" locales.
Le deuxième verbe qui se réfère à la parole est omilô ou mild qui signi
fie "combattre" aujourd'hui "parler". À l'origine, le verbe signifiait "se trouver avec",
; sens qui s'est conservé jusqu'à nos jours lorsqu'on emploie
le verbe omilo pour signifier "avoir des relations (notamment sexuelles)
avec". Le sens de "parler" apparaît à partir de la koinè hellénistique.
Enfin, pour opposer l'oral à l'écrit en grec contemporain, on emploie les
verbes lègo, "dire" et gràfo, "écrire". Le sens originel de lègo, chez Homère
par exemple, est "rassembler, cueillir, choisir", puis on le retrouve avec le
sens de "trier, énumérer, débiter des injures, discourir". De ce dernier est
né l'emploi du sens "raconter, dire", seul survivant aux temps modernes.
Logos est un dérivé, qui signifie "récit, compte, explication, raison, parole"
à la fois en grec classique et moderne.
À l'opposé, le monde de l'écrit couvre un ensemble de mots qui dérivent
du verbe gràfo, attesté depuis Homère. Sens : "érafler, tracer, dessiner,
écrire, rédiger un décret, s'inscrire, assigner, poursuivre en justice". Le
verbe gràfo, ainsi que les noms grafi, "écriture, dessin, peinture, écrit, cata
logue" et gràma, "dessin, lettres, écrit, lettre adressée à quelqu'un, docu
ment écrit, ouvrage, lois écrites" subsistent en grec moderne. Les dérivés
et les composés issus de ces termes sont nombreux. Le sens originel "éraf
dessiner" a conduit à des dérivés qui se rapportent d'une part ler, tracer,
à la notion de secrétaire, de bureaucratie, d'autre part à celle de culture intel
lectuelle.
Entre l'oral et l'écrit, le domaine de la lecture est couvert par deux
ensembles de mots. On verra plus loin que l'un de ces ensembles, dérivé
du verbe anagignosko, "lire", se réfère à un effort de connaissance indivi-
2. Sur l'etymologie et l'histoire des mots du grec, cf. P. Chantraine, 1984. Le lalein et le grafein, parler et écrire en grec 1 259
duel, puis à l'apprentissage par la répétition. L'autre ensemble, usuel en grec
moderne, se réfère au passage de l'écrit à l'oral par l'aurai3 : diavazo,
"lire", est un dérivé de l'ancien diavivazo, "faire passer au-delà, transport
er une armée, faire aller jusqu'au bout".
Un passé bien encombrant
Les rapports des statuts et des usages de l'oral et de l'écrit dans le cas
de la langue grecque se trouvent au cœur d'un débat plus large concernant
l'identité néo-hellénique. Faut-il le rappeler, la création en 1832 de ce pre
mier État-nation issu de l'effondrement de l'Empire ottoman était aussi
l'aboutissement d'une guerre d'indépendance dont le projet intellectuel
général était la renaissance de la Grèce. Ce projet avait pris forme dans l'es
prit des Grecs de la diaspora et avait trouvé un écho favorable parmi les
hommes de lettres et les artistes de l'Europe occidentale : le philhellé-
nisme fut un mouvement qui apporta son soutien moral et matériel tout au
long de la lutte des Grecs pour leur indépendance. Pour ces intellectuels il
s'agissait d'aider un peuple dont les ancêtres étaient à l'origine de la civi
lisation occidentale, dans sa lutte pour la liberté et contre "l'esclavage
abrutissant de l'Asie4".
La légitimité de l' État-nation a été associée, dès sa création, à la capac
ité de la Grèce moderne de renaître en digne fille de la Grèce antique, de
rétablir la continuité avec le passé illustre. Or le présent restait désespéré
ment en deçà des attentes des élites ouest-européennes. Ce décalage entre
la réalité sociologique et le désir de rédemption des droits historiques des
Grecs hante depuis lors l'imaginaire local, savant et populaire. En effet, au
XIXe siècle, la Grèce avait peu de choses en commun avec l'idée que les étu
diants en lettres classiques se faisaient de la terre de Périclès, de Sophocle
et d'Aristote. Province périphérique de l'Empire ottoman jusqu'alors, elle
s'apprêtait à devenir un État-nation européen, une transition qui ne fut pas
toujours facile et qui entraîna des bouleversements profonds de la structure
sociale5. Les voyageurs de l'époque sont très éloquents sur ce décalage entre
le réel et l'imaginaire :
Le nom de la Grèce, plus encore que celui de l'Espagne ou de l'Italie, est
plein de promesses. Vous ne trouverez pas un jeune homme en qui il
n'éveille des idées de beauté, de lumière et de bonheur. Les écoliers les moins
studieux et qui maudissent le plus éloquemment l'histoire de la Grèce et la
version grecque, s'ils s'endorment sur leur dictionnaire grec, rêvent de la
3. Sur le sens de l'aurai dans l'analyse de l'opposition oral/écrit, voir A. Gokalp, supra.
4. Parmi les innombrables

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