Le roman maghrébin en question chez Khair-Eddine, Boudjedra, Tahar Benjelloun. - article ; n°1 ; vol.22, pg 59-68
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Le roman maghrébin en question chez Khair-Eddine, Boudjedra, Tahar Benjelloun. - article ; n°1 ; vol.22, pg 59-68

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Description

Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée - Année 1976 - Volume 22 - Numéro 1 - Pages 59-68
La nouvelle génération de romanciers maghrébins, que Kateb a libérée des conventions, suit de près les recherches les plus avancées en littérature. Ses représentants sont d'abord poètes, et pulvérisent dans un même mouvement, formes figées et tabous. Ils continuent d'écrire en français, langue que pour des raisons historiques ils connaissent le mieux, car il est urgent de parler. La violence avec laquelle ils transgressent les tabous, sexuels, religieux et politiques, ne serait supportable que dans un arabe totalement désacralisé. Mais, pour ne pas être en reste, ils déforment la langue du colonisateur en une riche création verbale. Ils font éclater la forme narrative parce que leur projet est d'aider à la destruction de formes sociales figées dont ils ne doivent pas donner l'illusion qu'elles sont rationnelles et définitives. Ils dénoncent l'ancien patriarcat toujours en place et le poids qu'il fait peser notamment sur la femme, le recours politique à la religion, s'en prennent violemment au pouvoir, aux figures ancestrales de l'autorité. L'utilisation délibérée du délire et de l'humour leur permet toutes les libertés, mais par le recours aux grandes figures mythiques populaires, ils préservent la communication avec le public et la possibilité d'inventer un jour de nouvelles formes.
Maghrebian Novel reconsidered in Khai'r-Eddin, Bujedra and Tahar Benjellun. The new generation of Maghrebian novelists, freed from convention by Kateb, is paying close attention to the most advanced literary research. These writers are mainly poets and have shattered set literary forms as well as taboos. They continue to write in French, the language which, for historical reasons, they know best, for they have an urgent need to speak up. The violence with which they transgress sexual, religious, political taboos could only be accepted in a totally desacralized arabic language. But, not to lag behind, they distort on purpose the colonizer's language into a rich verbal creation. They cause the narrative form to burst out because their object is to achieve the destruction of set social forms which they must not show as rational and final. They expose the ancient, still established patriarchy, and the stress it imposes, particularly upon woman, the political use of religion ; they violently attack power and ancestral figures of authority. The deliberate use of delerium and humour gives them the greatest liberty, but, because they often have recourse to great popular mythical characters, they may easily communicate with their audience and, one day, arrive at new literary forms.
10 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1976
Nombre de lectures 31
Langue Français

Extrait

Jacqueline Arnaud
Le roman maghrébin en question chez Khair-Eddine, Boudjedra,
Tahar Benjelloun.
In: Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, N°22, 1976. pp. 59-68.
Citer ce document / Cite this document :
Arnaud Jacqueline. Le roman maghrébin en question chez Khair-Eddine, Boudjedra, Tahar Benjelloun. In: Revue de l'Occident
musulman et de la Méditerranée, N°22, 1976. pp. 59-68.
doi : 10.3406/remmm.1976.1379
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remmm_0035-1474_1976_num_22_1_1379Résumé
La nouvelle génération de romanciers maghrébins, que Kateb a libérée des conventions, suit de près
les recherches les plus avancées en littérature. Ses représentants sont d'abord poètes, et pulvérisent
dans un même mouvement, formes figées et tabous. Ils continuent d'écrire en français, langue que pour
des raisons historiques ils connaissent le mieux, car il est urgent de parler. La violence avec laquelle ils
transgressent les tabous, sexuels, religieux et politiques, ne serait supportable que dans un arabe
totalement désacralisé. Mais, pour ne pas être en reste, ils déforment la langue du colonisateur en une
riche création verbale. Ils font éclater la forme narrative parce que leur projet est d'aider à la destruction
de formes sociales figées dont ils ne doivent pas donner l'illusion qu'elles sont rationnelles et définitives.
Ils dénoncent l'ancien patriarcat toujours en place et le poids qu'il fait peser notamment sur la femme, le
recours politique à la religion, s'en prennent violemment au pouvoir, aux figures ancestrales de
l'autorité. L'utilisation délibérée du délire et de l'humour leur permet toutes les libertés, mais par le
recours aux grandes figures mythiques populaires, ils préservent la communication avec le public et la
possibilité d'inventer un jour de nouvelles formes.
Abstract
Maghrebian Novel reconsidered in Khai'r-Eddin, Bujedra and Tahar Benjellun. The new generation of novelists, freed from convention by Kateb, is paying close attention to the most advanced
literary research. These writers are mainly poets and have shattered set literary forms as well as taboos.
They continue to write in French, the language which, for historical reasons, they know best, for they
have an urgent need to speak up. The violence with which they transgress sexual, religious, political
taboos could only be accepted in a totally desacralized arabic language. But, not to lag behind, they
distort on purpose the colonizer's language into a rich verbal creation. They cause the narrative form to
burst out because their object is to achieve the destruction of set social forms which they must not show
as rational and final. They expose the ancient, still established patriarchy, and the stress it imposes,
particularly upon woman, the political use of religion ; they violently attack power and ancestral figures
of authority. The deliberate use of delerium and humour gives them the greatest liberty, but, because
they often have recourse to great popular mythical characters, they may easily communicate with their
audience and, one day, arrive at new literary forms.LE ROMAN MAGHREBIN EN QUESTION
CHEZ KHAIR-EDDINE, BOUDJEDRA,
TAHAR BENJELLOUN
par Jacqueline ARNAUD
La littérature maghrébine donne l'impression d'avoir, en même pas trente ans,
parcouru un siècle et demi. Les premiers écrivains, Feraoun ou Dib première manière,
décrivaient linéairement leur univers — il fallait sans doute commencer par "poser"
ce monde qui n'existait alors qu'à travers le regard déformant des romanciers fran
çais. Ces premières œuvres se coulaient dans le moule classique hérité du XIXe siècle
français, celui du roman à intrigue et à personnages bien délimités, linéaire, chronol
ogique.
Le roman se fait déjà beaucoup plus désinvolte avec Chraïbi, la narration prend
des libertés ("Les romanciers américains m'ont appris l'aisance", dit l'auteur du
Passé simple), mais la structure générale reste classique. C'est Kateb qui fait faire le
grand saut au roman maghrébin avec Nedjma, qui tire parti de façon tout à fait ori
ginale des exemples joycien et faulknérien, et se souvient de la poésie rimbaldienne
ou surréaliste. Le roman, poétique, non chronologique, permet la plongée profonde
dans le monde mythique, le passé et le présent se superposent en une spirale qui, au
cœur d'une répétition piégée, se détend vers l'avenir entrevu ; les personnages, peu
différenciés, vivent parallèlement des destins analogues, et leurs monologues se
répondent, comme en un jeu de miroirs. Nedjma, comme tous les chefs d'oeuvre, est
inimitable et ne saurait fournir de recettes. C'est d'ailleurs le roman d'une époque
bien déterminée, celle de l'avant-guerre, du creux de la vague entre les premiers sur
sauts avortés et l'insurrection finale, le temps de l'aliénation et de la quête angoissée
des origines. Sa structure se moule sur un monde qui n'en finit pas de naître. Le po
lygone étoile qui, dans le domaine narratif, succède â Nedjma, n'est plus un roman.
Ecrit entre 1958 et 1965, en un temps où on distingue encore mal quelle Algérie va
sortir, sort, des années de guerre, c'est l'œuvre du chaos, des genres éclatés, poème
plus que roman, épique et lyrique, où fourmillent des personnages qui surgissent de
la foule pour lui donner voix un instant et replongent dans le creuset. L'œuvre de
Kateb libère des conventions : elle instaure la royauté de la poésie — sans laquelle
rien de neuf ne se crée, montre la voie de la recherche dans les épaisseurs subconsc
ientes où se joue le drame des désirs et des tabous qui les oblitèrent. Elle suggère
la transgression.
C'est ce qu'a retenu la génération maghrébine d'après la guerre, les écrivains qui
publient après 1965, et dont les représentants les plus intéressants me paraissent l'Al
gérien Rachid Boudjedra, et les Marocains Mohammed Khaïr-Eddine et Tahar Benjel-
loun. Cette génération est la première â être visiblement marquée par les influences
libératrices de Rimbaud, Lautréamont, de Mallarmé et des surréalistes, à suivre de J- ARNAUD 60
près la littérature contemporaine de recherche, mais aussi à faire référence aux
poètes de l'époque coloniale, aux grands aînés, Kateb, Césaire : l'œuvre de Boudjedra
me paraît, par rapport à celle de Kateb, dessiner un jeu d'allusions qui servent de
point de départ, de contrepoint. La référence à Césaire est fortement marquée dans
les poèmes de Khaïr-Eddine, dont le vocabulaire s'est assimilé la langue difficile du
poète nègre, à laquelle sa violence dans le maniement des "armes miraculeuses" l'ap
parente. Benjelloun, de par sa formation philosophique et psychiatrique sans doute,
fait plutôt référence à Barthes, aux concepts lacaniens.
Ces trois romanciers sont d'abord poètes, la poésie pour eux est expression to
tale, moyen révolutionnaire de pulvériser dans un même mouvement, formes figées
et tabous. C'est dire que le genre narratif, quand ils le pratiquent, n'a plus de roman
que le nom. Avec eux, la littérature maghrébine est â la recherche de voies nouvelles.
1 - LA LANGUE
Et pourtant, ces trois œuvres expriment le paradoxe d'une époque transitoire.
Alors que le monde arabe est en pleine crise et s'efforce de repenser une unité, que
les jeunes aspirent à une vraie révolution arabe, que la langue arabe reprend ses droits
au Maghreb et particulièrement en terre algérienne d'où elle s'était vue presque éradi
quée, alors qu'une littérature en langue arabe commence â se développer, s'affirme,
en Tunisie surtout, au moment où pour toucher le plus vaste public les hommes de
théâtre composent en arabe, et souvent en arabe populaire — Kateb lui-même avec
Mohammed prends ta valise et La guerre de 2 000 ans — ces jeunes écrivains conti
nuent d'écrire en français. Ils ont pourtant été formés â une époque où ils ont pu
apprendre l'arabe, et ils pourraient tous, tant bien que mal, écrire en arabe, même
Khaïr-Eddine qui est de langue maternelle berbère, et affirme fortement son appar
tenance. Il se trouve que pour des raisons historiques et sociales c'est la langue fran
çaise qu'ils connnaisent le mieux. Le français, depuis les indépendances, n'a jamais

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