Le sport entre mesure et démesure - article ; n°1 ; vol.61, pg 21-39
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Description

Communications - Année 1996 - Volume 61 - Numéro 1 - Pages 21-39
19 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1996
Nombre de lectures 23
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Christian Pociello
Le sport entre mesure et démesure
In: Communications, 61, 1996. pp. 21-39.
Citer ce document / Cite this document :
Pociello Christian. Le sport entre mesure et démesure. In: Communications, 61, 1996. pp. 21-39.
doi : 10.3406/comm.1996.1922
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1996_num_61_1_1922Christian Pociello
Le sport entre
mesure et démesure
Ce que caressent les sociologues les plus touchés par l'anthropologie
structurale, c'est l'espoir, un peu fou, de pouvoir construire, un jour, le
tableau intégral et cohérent des productions de l'esprit et des produits
de la technique qui seraient également représentatifs d'une société don
née prise à un moment de son histoire. Parce que ces produits sont
innombrables et hétérogènes, ce tableau est toujours nécessairement
incomplet. Parce que nos sociétés sont composées de groupes différen
ciés, hiérarchisés et classants, ces produits n'ont pas la- même valeur
(rapportée à la culture dominante) et ce tableau est forcément partial.
On retient donc, en première analyse, les produits réputés « structu
rants » — ou représentatifs — de la culture, et on verse prestement les
« résidus » au rancart de la « culture du pauvre », au magasin des acces
soires nostalgiques des « arts et traditions populaires » ou dans les
bagages méprisés de la « culture de masse »...
Au cours des années 1980-1985, quelques réactions courroucées se
sont manifestées, dans la littérature sociologique, pour requalifïer une
diversité de pratiques (jusqu'ici négligées ou détestées par la doxa socio
logique) ; qui apparaissaient tellement « massives » qu'elles
pouvaient caractériser, dans ses derniers avatars, une « société démoc
ratique de masse». Là, le jogging pouvait être considéré comme
« réponse du corps à la crise », la société automobile comme « bascule
ment dans un univers de mobilité » ambiguë, le tiercé « réaction
antiprométhéenne aux excès des finalités agressives et combatives ». Le
sport lui-même, qui met en œuvre et met en scène la « compétitivité indi
viduelle », prenait du sens en diffusant le « culte de la performance »
jusque dans la culture d'entreprise. Dans un nouvel équilibre de la
société, réorganisée par l'« individualisme contemporain », une « socio
logie du quotidien » prend plus résolument en compte des pratiques et
des formes jusqu'ici laissées pour compte. Restait à conférer à cet
21 Pociello Christian
ensemble chaotique une unité signifiante, rapportée à un tableau — moins
structuré et plus impressionniste — de notre temps.
Peut-on chercher ailleurs que dans P« air du temps », dans les jeux
et les sports qu'une société s'assimile, diffuse et valorise, des éléments
de compréhension de cette société ? Ce sont, en effet, à la réflexion, des
objets assez fascinants pour ce qu'ils révèlent sur la « culture » qui les
produit et sur la société qui les façonne. On peut, en tout cas, difficil
ement contester que s'opère aujourd'hui une sorte de percolation du sport
dans l'ensemble du corps social. Cette diffusion — qu'il est plus facile
de railler que de comprendre — pose quelques problèmes sociologiques
et anthropologiques d'une certaine portée. D'où vient cette étonnante
puissance symbolique qui fait du sport une métaphore généralisable
dans toutes formes de relations ? Qu'est-ce qui fait la valorisation des
produits auxquels le sport associe ses images ? Pourquoi cette recherche
du bien-être — non dans le farniente, mais dans l'activité stimulante ? Y
aurait-il une adéquation des principales valeurs du sport aux normes
cardinales de la société démocratique libérale moderne dans sa phase
ultime d'accomplissement ?
Roger Caillois avait déjà conçu cette possibilité de construire une
sociologie à partir de l'analyse de la configuration ludique très particul
ière que chaque civilisation élabore en puisant sélectivement dans le
stock de tous les jeux possibles (de lutte ou de hasard, de simulacres ou
de vertige). Il n'imaginait pas cependant qu'une civilisation puisse valo
riser des formes hybrides de la compétition et du vertige comme cela se
passe sous; nos yeux. Norbert Elias — dans un ouvrage récent qui fera
date — soulignait, pour sa part, que le sport est un laboratoire privilégié
pour l'analyse des rapports sociaux et pour l'examen sociologique de
leurs évolutions.
A leur suite et sans faire preuve d'une excessive impertinence, on
pourrait suggérer que le sport se présente comme le corps symbolique
dont use une société pour parler de ses espoirs, de ses fantasmes et de
ses peurs. Pour certains auteurs, les sports-spectacles sont des repré
sentations que la société se donne à elle-même dans les manifestations
les plus évidentes de ses divisions, dans l'expression emphatique de ses
contradictions et dans l'unité identifïcatoire solennellement — mais pro
visoirement - reconstituée. Et si les spectacles sportifs d'affrontements
les plus mobilisateurs (comme le football) s'assimilent à une « guerre
civile domestiquée » (selon le mot heureux de M. Bernard), on voit com
ment ils peuvent aussi servir de supports et de déclencheur à l'émer
gence de formes originales de violences dans, autour et au nom du
stade... A ce propos, ne peut-on pas considérer les violences sportives,
dans leurs fluctuations historiques, comme le baromètre des tensions
22 Le sport entre mesure et démesure
dont une société est le siège ? On peut dégager du sens (culturel) dans
l'impact passionnel considérable que suscitent ces spectacles d'affro
ntements collectifs « durs » hors de celui qu'offre une sociologie sponta
née du chauvinisme. On peut interpréter, en tout cas, la résurgence signi
ficative des violences sportives autrement qu'au travers de. la
stigmatisation des « débordements » d'une frange, bien circonscrite, de
« nouveaux barbares »... On peut chercher une signification socio
culturelle à l'engouement de toute une jeune génération pour les moti-
lités véhiculées, glissantes, volantes, acrobatiques, « catastrophiques »...
et au développement, assez fortement médiatisé, des activités risquées,
d'aventures et de survie en pleine nature, qui font parfois songer à des
rituels suicidaires. Il faut porter l'attention sur cette pression culturelle
qui pousse à l'acte sportif ou qui donne, à ceux qui ne sacrifient pas à
ses injonctions, quelques scrupules. On ne peut rester insensible à la
signification, dans sa force métaphorique même, de l'imagerie publici
taire insistante du vol et du bondissement qu'on emprunte souvent au
catalogue prolifique de l'imagier sportif contemporain. Enfin, il faut pou
voir interpréter les relations fortes qui s'établissent, dans l'esprit du grand
public, entre les activités sportives et la conception que l'on se fait
aujourd'hui de la santé. Le « culte de la performance » participerait-il à
la reformulation de la rhétorique sanitaire ? Les enquêtes auprès des
jeunes — comme les sondages auprès de leurs parents — établissent cla
irement que la motivation hygiénique reste au fondement de leurs enga
gements psychiques et fonctionnels dans ces types d'activités.
Parmi ces phénomènes massifs et diversifiés que tente de décrire et
d'interpréter — dans leur structure et leurs évolutions — une sociologie
du sport, on peut retenir quelques traits, parmi les plus pertinents, en
ce qu'ils semblent marquer fortement et durablement les axes de déve
loppement de ce système et entrer en résonance avec certaines dimens
ions de la culture contemporaine.
On peut s'attacher aux courses épuisantes des citadins (marathons),
aux épreuves de démesure et d'exténuation dont la traversée océanique
à la rame de Gérard d'Aboville reste le paradigme, aux sports appareillés
de vitesse et de vertige qui offrent, aux adolescents enivrés, l'expérience
de la mobilité acrobatique au moindre coût, ainsi qu'à ces formes d'aven
ture

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