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Informations
Publié par | CAHIERS_DU_MONDE_RUSSE_ET_SOVIETIQUE |
Publié le | 01 janvier 1981 |
Nombre de lectures | 34 |
Langue | Français |
Poids de l'ouvrage | 2 Mo |
Extrait
Wladimir Berelowitch
Les débuts du droit de la famille en RSFSR : Pourquoi et
comment ?
In: Cahiers du monde russe et soviétique. Vol. 22 N°4. Octobre-Décembre 1981. pp. 351-374.
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Berelowitch Wladimir. Les débuts du droit de la famille en RSFSR : Pourquoi et comment ?. In: Cahiers du monde russe et
soviétique. Vol. 22 N°4. Octobre-Décembre 1981. pp. 351-374.
doi : 10.3406/cmr.1981.1921
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/cmr_0008-0160_1981_num_22_4_1921Abstract
Wladimir Berelowitch, The beginnings of the family legislation in RSFSR. Why and how?
The family legislation of the Soviet government was expressed in a series of regulations that shocked
the mental habits, provoked passionate debates and still give rise, in our days, to interrogations as to
their motives. This article endeavours to insert the family legislation of the 1920's in the Communist
project as a whole. Expressing the will to destroy the existing family and to promote a transparent
society in which matrimonial relations would be free from economic and legal compulsions, it was a
contradictory attempt to abolish the old legislation by means of a law. The debates of 1925-1926 around
the project of codification aimed at the part played by the Communist state in the regulation of family life.
These laws, foreign to the Russian society of the time, destructive of its legislation, produced a series of
"perverse effects" in matters of divorce and payment of alimony.
Résumé
Wladimir Berelowitch, Les débuts du droit de la famille en RSFSR : pourquoi et comment ?
La législation familiale du Gouvernement soviétique se traduisit par une série de dispositions qui
heurtèrent les mentalités, provoquèrent des débats passionnés et suscitent, encore aujourd'hui, des
interrogations sur leurs motivations. Cet article s'efforce de rétablir le droit familial des années 20 dans
sa cohérence au sein du projet communiste : traduisant à la fois la volonté de détruire la famille
existante et de promouvoir une société transparente où les relations matrimoniales ne connaîtraient
plus aucun poids économique et juridique, ce fut une tentative contradictoire pour abolir le droit par la
loi. Les débats de 1925-1926 autour du projet de code n'avaient pas d'autre enjeu que le rôle de l'État
communiste dans la régulation de la vie familiale. Ces lois destructrices du droit, étrangères à la société
russe de l'époque, produisirent une cascade ď « effets pervers » dans les affaires de divorces et de
paiements des pensions alimentaires.ARTICLE
WLADIMIR BERELOWITCH
LES DÉBUTS DU DROIT DE LA FAMILLE
EN RSFSR : POURQUOI ET COMMENT
Le droit familial soviétique n'a pas fini d'intriguer. Par-delà le
problème que pose le droit dans son ensemble, la précipitation
avec laquelle les premiers décrets sur le divorce et le mariage furent pro
mulgués (sept semaines seulement les séparent de la prise du Palais
d'hiver), les débats parfois passionnés auxquels donna lieu la préparation
du nouveau code de la famille en 1926, l'importance que lui accorda le
gouvernement bolchevik de façon générale, les zigzags de la législation
(1917, 1935, 1944, 1955, etc.), autant d'énigmes qui ont suscité l'intérêt
des chercheurs occidentaux, comme l'atteste déjà une abondante
littérature1.
En schématisant les différentes interprétations et descriptions du droit
familial soviétique, on pourrait les classer en deux groupes différents,
qui d'ailleurs ne s'excluent pas. Dans l'un, qui est souvent celui des
juristes, ce droit, même si on en relève les contradictions et les incongruit
és, est considéré comme une construction juridique parmi d'autres, qui
s'insère dans l'histoire des systèmes de droit. Dans l'autre, le droit familial
est considéré à la lumière des conflits et des débats politiques qui prési
dèrent à son élaboration et qu'on ramène généralement à un clivage
entre « radicaux » (ou utopistes), d'une part, visant la destruction de la
famille et conservateurs (ou pragmatiques), d'autre part, s'efforçant de
la conserver ou de la restaurer : clivage que l'on trace tantôt entre le
parti et la société, tantôt au sein même du parti, tantôt enfin entre deux
périodes séparées par la date de 1935.
Il nous a paru que ces deux approches avaient tendance à négliger la
cohérence du projet bolchevik, réduit à une visée purement machiavél
ique du pouvoir ou bien à une utopie échevelée ou encore à des consi
dérations pragmatiques, comme le problème de l'enfance abandonnée
(besprizornye). Si ces trois éléments étaient bien présents dans les pré
occupations des législateurs, ils méritent d'être recentrés au sein du
projet communiste lui-même. Par ailleurs les polémiques que suscita ce
nouveau droit ne se déroulèrent pas, comme on a trop tendance à le
présenter, dans un climat de pluralisme d'opinions mais dans un cadre
idéologique très rigide. Enfin, si l'on veut comprendre ces lois, il faut les
mettre en rapport avec les effets qu'elles produisirent dans la réalité. Il
s'agit bien sûr de phénomènes sociaux et démographiques comme les
Cahiers du Monde russe et soviétique, XXII (4), oct.-déc. 198 1, pp. 351-374. 352 WLADIMIR BERELOWITCH
divorces, les problèmes d'héritage, etc. Mais il s'agit aussi, et c'est cet
aspect qui nous intéressera ici, de la pratique judiciaire elle-même et de
son impact sur les comportements de la population. A partir des textes
législatifs, des débats et de la presse de l'époque, nous nous efforcerons
ainsi de rétablir toute l'originalité de la relation entre le projet commun
iste et le monde réel dans le cas précis de la famille.
L'histoire des lois sur la famille est bien connue et nous en rappellerons
simplement les principaux jalons :
— 29 décembre 19172 : le gouvernement adopte un décret sur le
divorce : toute demande de divorce est accordée automatiquement par
le tribunal et, en cas de consentement mutuel, par le bureau d'état civil ;
au de régler les modalités de la garde des enfants3.
— 31 décembre 1917 : vient le tour du décret sur le mariage civil, qui
abolit la plupart des restrictions au mariage imposées par l'Église,
« sécularise » l'état civil, accorde aux enfants nés hors mariage les mêmes
droits qu'aux autres et instaure la procédure de recherche en paternité4.
— 16 décembre 1918 : un premier code de la famille est promulgué ; il
reprend le contenu des deux décrets, oblige chacun des époux à entretenir
son conjoint au cas où il se trouve dans l'incapacité de travailler ou en
chômage ainsi bien entendu que ses enfants ; la « descendance réelle »
(et non plus le mariage) devient le seul fondement de la famille, ouvrant
un vaste champ aux recherches de paternité ; enfin, le droit de tutelle
et de curatelle est précisé5.
— 19 novembre 1926 : un nouveau code de la famille est promulgué
et demeurera pratiquement inchangé jusqu'au milieu des années 30. Son
innovation principale est de conférer aux couples dont le mariage est
enregistré par l'état civil, et aux unions « de fait », les mêmes droits et
les mêmes devoirs ; pour divorcer, il suffit désormais d'une simple demande
unilatérale à l'état civil ; en cas de litige sur la garde et l'entretien des
enfants, l'affaire est portée devant le tribunal6.
Tel est l'essentiel de cette législation. Nous avons volontairement omis
les dispositions relatives à l'héritage, supprimé par décret en avril 1918
et restauré partiellement dans le code civil de 1923, et ne toucherons
qu'accessoirement le problème du dvor, l'exploitation familiale paysanne,
questions qui déborderaient le cadre de cette étude.
Les intentions : destruction et transparence
Le projet communiste est à la fois une utopie et une machine destruct
rice qui a pour but le pouvoir et c'est à la fusion de ces deux traits qu'il
doit son originalité. « Détruire la famille ancienne », « construire le socia
lisme », ces deux leitmotive accompagnaient immanquablement toute
littérature concernant la nouvelle législation familiale.
Il fallait avant tout briser l'emprise de l'Église. En prenant en main
la tenue de