Les larmes de Monsieur de Torcy. Un essai sur les perspectives de l histoire diplomatique à propos des conférences de Gertruydenberg (mars-juillet 1710) - article ; n°3 ; vol.2, pg 429-456
29 pages
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Les larmes de Monsieur de Torcy. Un essai sur les perspectives de l'histoire diplomatique à propos des conférences de Gertruydenberg (mars-juillet 1710) - article ; n°3 ; vol.2, pg 429-456

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Description

Histoire, économie et société - Année 1983 - Volume 2 - Numéro 3 - Pages 429-456
28 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1983
Nombre de lectures 19
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Lucien Bely
Les larmes de Monsieur de Torcy. Un essai sur les perspectives
de l'histoire diplomatique à propos des conférences de
Gertruydenberg (mars-juillet 1710)
In: Histoire, économie et société. 1983, 2e année, n°3. pp. 429-456.
Citer ce document / Cite this document :
Bely Lucien. Les larmes de Monsieur de Torcy. Un essai sur les perspectives de l'histoire diplomatique à propos des
conférences de Gertruydenberg (mars-juillet 1710). In: Histoire, économie et société. 1983, 2e année, n°3. pp. 429-456.
doi : 10.3406/hes.1983.1337
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hes_0752-5702_1983_num_2_3_1337LARMES DE MONSIEUR DE TORCY LES
UN ESSAI SUR LES PERSPECTIVES DE
L'HISTOIRE DIPLOMATIQUE A PROPOS DES
CONFERENCES DE GERTRUYDENBERG
(MARS-JUILLET 1710)
par Lucien BELY
En mars 1710, commencèrent en Hollande, à Gertruydenberg (selon l'orthographe
du temps, Gertruydemberg chez Saint-Simon (1), Geertruidenberg aujourd'hui) des
conférences de paix entre la France et ses ennemis.
Louis XIV avait envoyé comme plénipotentiaires le maréchal d'Huxelles et l'abbé
de Polignac.
La défaite était partout dans le camp français et la Grande Alliance, sous la conduite
d'un triumvirat composé du prince Eugène de Savoie pour l'Empire, du duc de Marlbo-
rough pour la Grande-Bretagne et du Grand Pensionnaire Heinsius pour les Provinces-
Unies avait indéniablement le vent en poupe.
Ses conditions pour accorder une trêve furent donc draconiennes. Il fallait que
Philippe V fût chassé coûte que coûte d'Espagne. Le duc d'Anjou, petit-fils du roi de
France, devait renoncer à tous les domaines dont il avait hérité en novembre 1 700 par
la volonté du dernier Habsbourg d'Espagne et qui étaient l'enjeu de cette guerre dite
«de succession d'Espagne» après avoir été une pomme de discorde en Europe pendant
près d'un quart de siècle.
Les alliés allèrent très loin : non seulement Louis XIV devait cesser de soutenir dire
ctement ou indirectement le Roi Catholique, mais il devait aussi aider ses ennemis à mettre
sur le trône d'Espagne l'archiduc Charles, le concurrent de Philippe V qui, lui, ne manq
uerait pas de s'y agripper. Telle était la situation en 1710.
Une réunion du «conseil d'en haut» à la fin de juin eut lieu pour décider des conces
sions à faire. L'abandon était à l'ordre du jour. Jean-Baptiste Colbert, marquis de Torcy,
qui s'occupait des négociations, lut la dernière lettre arrivée de Hollande. Les députés
Buys et Van der Dussen qui discutaient avec les deux Français à Gertruydenberg avaient
accueilli favorablement le pas en avant du roi de France qui semblait prêt à «condescen
dre» aux dures conditions de ses ennemis. Secrétaire d'Etat aux étrangers, Torcy pouss
ait à la roue, comme il le raconte lui-même dans son Journal : «... Je lui dis /au Roi/
que le principal, pour son service, était de séparer ses ennemis et de laisser reposer ses
sujets...» Il parla de «traité forcé» qu'il compara à «la promesse qu'un homme fait à
des voleurs au coin d'un bois». Il fallait d'abord se tirer du «précipice» — l'image est
essentielle — et ensuite prendre une revanche après un «repos de plusieurs années». De
1. Saint-Simon, Mémoires, éd. A. de Boislisle, Paris, 1908, t. 20, p. 149. 430 Lucien BÉLY
tels propos — pour être utiles — supposaient le sceau du secret : «... qu'il ne convenait
pas d'en parler ainsi à d'autres qu 'à S/ 'a /M/ajesté/. . . (2)»
Ce cynisme politique n'a rien en lui-même d'étonnant, mais il étonne dans la bouche
du probe - et un peu timide - Torcy. Un tel langage - fait de duplicité, d'ambiguité et
de tromperie — est révélateur des nécessités de l'action diplomatique. Les Etats s'en con
tentent souvent. Mais les individus, chargés de le tenir, peuvent s'en émouvoir et faiblir.
C'est ce qui est arrivé après la brave déclaration de Torcy.
Le ministre a raconté lui-même la réaction du vieux monarque : «Cet avenir parais
sait incertain au roi par rapport à son âge/ il avait soixante-douze ans/. // mele témoigna
par quelques paroles, et le voyant encore plus clairement dans ses yeux, j'eus peine à lui
cacher l'impression que sa réflexion faisait sur moi. Un autre peut-être eût cherché à
faire sa cour par des larmes feintes. Je retins celles qui voulaient se répandre naturelle
ment, et, continuant mon discours, je dis à S. M., que je serais d'avis d'accorder aux
ennemis un million par mois tant que la guerre d'Espagne durerait. (3)».
Le récit de Torcy — à la manière de Tacite relu par Racine — n'a pas manqué de frap
était' per les épreuve historiens de force. parce que L'ordinaire l'émotion, de marque cour était de troublé faiblesse, par trouvait cet aveu une : Torcy place là retint où tout des
larmes qu'un bon courtisan, selon lui, eût montrées. Les héros étaient fatigués : ces étaient un signe des «temps difficiles» (4). Le 28 avril 1709, après une interven
tion du duc de Beauvillier, Louis XIV lui aussi avait pleuré, mais ces pleurs ne signifiaient
rien puisqu'il continuait à chasser malgré ses deuils et ses malheurs. Ses larmes n'ont
pas convaincu ; celles que Torcy a retenues ont été commentées : parce qu'elles ne se
montrèrent pas, elles signifièrent plus.
Cet assaut entre le monarque et son secrétaire d'Etat ne fut pas sans rappeler aussi
une première surenchère de bravoure entre eux, en 1709 : le neveu du grand Colbert
n'avait pas craint d'aller lui-même à La Haye pour négocier des «Préliminaires», le roi pas hésité à envoyer aux gouverneurs des provinces la lettre que son ministre
avait rédigée pour stimuler les énergies.
Quel fut le destin de ces sacrifices ? Les alliés renchérirent sur les concessions fran
çaises : Louis XIV devait chasser seul son petit-fils du trône où il l'avait mis. Les confé
rences traînèrent quelque temps encore — «La lenteur des négociations est insupporta
ble» écrivait Fénelon (5) le 8 juillet 1710 au duc de Chevreuse. Chacun des deux camps
s'efforçait — par souci de propagande — de faire porter par l'autre la responsabilité de
la rupture.
2. Torcy (Jean-Baptiste Colbert, marquis de), Journal inédit, éd. F. Masson, Paris, 1884, pp. 206-
207.
3./Ш.
4. L'expression est de Jean Meuvret in La France au temps de Louis XIV, ouvrage collectif, Paris,
1965.
5. Fénelon, Correspondance de Fénelon, Paris, 1827, t. I, p. 384. LES LARMES DE TORCY 43 1
LE MODELE ANGLO-SAXON DE L'HISTOIRE DIPLOMATIQUE
Les larmes d'un ministre ne comptent pas. Pourtant celles que Torcy n'a pas versées
ont fait couler l'encre de nombreux historiens, depuis le traditionnel — et très tradi
tionaliste — Alfred Baudrillart (6) jusqu'au très contemporain — et moderne — Joseph
Klaits (7).
C'est sans doute qu'à travers l'anecdote — celle-ci est d'autant plus fugace qu'elle
évoque une émotion — il est possible de cerner un symbole. Le système — si tant est
que c'en fût réellement un — édifié autour de la personne de Louix XIV se déréglait. Le
reflux se mesurait partout : les défaites militaires sur tous les fronts, la capitulation des
villes de la frontière, les insurmontables difficultés financières, la disette dans le royaume
après le terrible hiver de 1709, et, de surcroît, des querelles entre les hommes qui pre
naient les décisions ou les préparaient.
La séance dramatique de juin 1710 révéla, mieux que toutes les descriptions, la passe
la plus difficile où se fût engagé le vaisseau de la monarchie dite absolue. Cette tenta
tion de l'abandon fut une conséquence, de la guerre sans doute, mais aussi d'une nouv
elle distribution des forces sur l'échiquier international. Le moment était crucial. C'est
une chance d'en avoir un compte-rendu aussi précis et suggestif, même si cet «instant»
n'est pas entré dans le légendaire historique.
Mais cette débandade prouva aussi que les conférences de Gertruydenberg, qui furent
la cause directe de ces résolutions de juin 1710 étaient vouées à l'échec. Ce fut une mas
carade diplomatique, un dialogue de sourds et un marché de dupes. A aucu

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