Les «visions indigènes» de la qualité. À propos de l'appropriation de la démarche qualité dans l'industrie - article ; n°1 ; vol.75, pg 77-93

Estelle Bonnet

Description

Revue d'économie industrielle - Année 1996 - Volume 75 - Numéro 1 - Pages 77-93
This article analyses the appropriation conditions used by individuals or groups when confronted with quality programs in industnal organizations. The hypothesis put forward by the author is that the commitment phenomena in the programs are linked to the various representations and conceptions of quality of each work team, i.e. different indigeneous visions. These can be considered as pure or hybrid and can act complementarily or antagonistically one in relation to the other. They can also be opposed to the specific vision of the quality control engineer in charge of setting up the product quality improvement programs. For such programs to success, adjustment processes between the different visions need to be found.
Cet article propose d'analyser les conditions d'appropriation des actions qualité par les individus et groupes présents au sein de l'organisation industrielle. L'auteur avance l'hypothèse que les phénomènes d'engagement et d'implication dans les actions sont liés à des représentations et conceptions variées de la qualité portées par chaque groupe au travail, à différentes visions indigènes. Ces visions indigènes se manifestent soit sous une forme pure, soit sous une forme hybride. Elles peuvent agir en complémentarité ou de manière antagonique les unes par rapport aux autres ; ou s'opposer à la propre vision des ingénieurs chargés de mettre en place les plans d'amélioration de la qualité des produits. Il semble alors que le succès d'une démarche qualité passe par la recherche de principes d'ajustement entre ces visions plurielles.
17 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

• Publié par: REVUE_D-ECONOMIE_INDUSTRIELLE
• Publié le: 01 janvier 1996
• Nombre de lectures: 17
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Estelle Bonnet
Les «visions indigènes» de la qualité. À propos de
l'appropriation de la démarche qualité dans l'industrie
In: Revue d'économie industrielle. Vol. 75. 1er trimestre 1996. pp. 77-93.
Abstract
This article analyses the appropriation conditions used by individuals or groups when confronted with quality programs in
industnal organizations. The hypothesis put forward by the author is that the commitment phenomena in the programs are linked
to the various representations and conceptions of quality of each work team, i.e. different indigeneous visions. These can be
considered as pure or hybrid and can act complementarily or antagonistically one in relation to the other. They can also be
opposed to the specific vision of the quality control engineer in charge of setting up the product quality improvement programs.
For such programs to success, adjustment processes between the different visions need to be found.
Résumé
Cet article propose d'analyser les conditions d'appropriation des actions qualité par les individus et groupes présents au sein de
l'organisation industrielle. L'auteur avance l'hypothèse que les phénomènes d'engagement et d'implication dans les actions sont
liés à des représentations et conceptions variées de la qualité portées par chaque groupe au travail, à différentes visions
indigènes. Ces visions indigènes se manifestent soit sous une forme pure, soit sous une forme hybride. Elles peuvent agir en
complémentarité ou de manière antagonique les unes par rapport aux autres ; ou s'opposer à la propre vision des ingénieurs
chargés de mettre en place les plans d'amélioration de la qualité des produits. Il semble alors que le succès d'une démarche
qualité passe par la recherche de principes d'ajustement entre ces visions plurielles.
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Bonnet Estelle. Les «visions indigènes» de la qualité. À propos de l'appropriation de la démarche qualité dans l'industrie. In:
Revue d'économie industrielle. Vol. 75. 1er trimestre 1996. pp. 77-93.
doi : 10.3406/rei.1996.1607
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rei_0154-3229_1996_num_75_1_1607NORMALISATION ET ORGANISATION
DE LA FIRME
Estelle BONNET
Chercheur, Membre du Laboratoire de Sociologie
et d'Anthropologie - Université de Franche-Comté
LES «VISIONS INDIGENES»
DE LA QUALITÉ.
À PROPOS DE L'APPROPRIATION
DE LA DÉMARCHE QUALITÉ
DANS L'INDUSTRIE
hybrides Mots clés - Principe : Démarche d'ajustement. qualité - Visions indigènes - Cadres spatio-temporels - Individus
Key-words : Quality program - Indigeneous visions - space-time work environment -
Hybrid individuals - Adjustment processes.
Aune économie des quantités réglée par les prix semble se substituer une
«économie de la qualité» (1) davantage fondée sur le jugement que sur la
comparaison des tarifications. La Qualité apparaîtrait comme un nouveau
mode de rationalisation du système productif. Elle pourrait être perçue
comme un nouvel outil de gestion, ou pour reprendre les propos de Hatchuel
et Weil, comme une nouvelle technique manageriale (2), cherchant à concilier
efficacité et meilleure rentabilité.
Les notions relatives à une «gestion totale de la qualité» impliqueraient la
mise en oeuvre de nouvelles pratiques et normes de travail (3), d'un nouveau
mode de coopération entre individus et entre services. Elles s'accompa-
(1) KARPIK (1989).
(2) HATCHUEL et WEIL (1992).
(3) Les nouvelles normes de travail sont celles issues des exigences de la certification
(normes ISO) mais plus généralement de la Gestion Totale de la Qualité. Dans ce texte, la
notion de norme correspond à un ensemble de spécifications et de règles utilisées dans le
cadre de l'assurance qualité. Les normes portent sur le système qualité de l'entreprise.
Elles touchent donc à l'ensemble de la structure organisationnelle, aux responsabilités,
aux procédures, aux procédés et aux ressources nécessaires pour mettre en oeuvre la
gestion de la qualité (définition du système qualité issue de la norme ISO 8402).
REVUE D'ÉCONOMIE INDUSTRIELLE — n° 75, 1er trimestre 1996 77 gneraient d'une redéfinition des responsabilités et des compétences, voire
d'une transformation des manières de faire et de penser de l'ensemble des
membres de l'organisation.
Or, dans les plans d'amélioration de la qualité qu'ils engagent dans
l'entreprise, les ingénieurs qualité se trouvent parfois confrontés à des
difficultés : les techniques qu'ils mettent en place sont mal utilisées ou
rejetées, les concepts qu'ils apportent ne sont pas toujours ou sont mal
appréhendés par le personnel auquel ils s'adressent, le message qualité ne
passe pas... Au bout de quelques temps, les actions qualité risquent de
s'effriter, de stagner, de s'essouffler.
En empruntant un concept cher à la terminologie «qualiticienne», à quoi
faut-il rapporter ce dysfonctionnement ? Au manque d'implication des sala
riés ? A un manque de motivation, à l'individualisme, la peur du changement,
l'ignorance ou l'incompréhension ? ou encore à des coalitions en vue
d'opérations de sabotage, de freinage, ou autres hégémonies sociales de
groupes?... Pourtant, si l'on interroge le personnel des entreprises, la qualité
n'apparaît pas comme une préoccupation éloignée des salariés : tout le monde
a une idée de ce qu'est la qualité, et chacun semble revendiquer la qualité des
produits qu'il fabrique. Le questionnement central devient alors le suivant : y-
a-t-il une et une seule acception de ce qu'est la qualité d'un produit ?
Pour répondre à cette question, nous avançons l'hypothèse que l'enga
gement et l'implication dans les actions sont liées à ce que nous appelons les
«visions indigènes de la qualité». Ces visions indigènes sont en nombre
relativement restreint. Elles tiennent à des façons de faire, des itinéraires
antérieurs, des modes de vie, des cultures de métier. Elles peuvent agir en
complémentarité ou de manière antagonique les unes par rapport aux autres ;
ou s'opposer à la propre vision des ingénieurs chargés de mettre en place les
plans d'améliorations de la qualité des produits. En d'autres termes, face à
une vision techniciste de la peuvent s'élever interprétations
du travail, d'autres points de vue sur la qualité et sur le monde de l'entreprise,
portées par les différents groupes présents au sein de l'organisation.
I. - PRINCIPES ET CONCEPTS DE LA QUALITE :
UNE VISION PARTICULIÈRE QUI POSE PROBLÈME.
Les concepts et principes inhérents à la Gestion de la qualité donnent
souvent l'image d'une vision idéalisée de l'organisation. Cette vision semble
pouvoir être qualifiée de vision techniciste. Elle est fondée sur les bienfaits
des techniques et méthodes de la qualité qui doivent conduire non seulement
à mieux répondre aux exigences économiques auxquelles l'entreprise est
confrontée, mais également à assurer une plus grande cohésion sociale, à
favoriser la motivation et le dynamisme du personnel autour de valeurs
communes d'action (philosophiques, morales, culturelles, sociologiques...).
yg REVUE D'ÉCONOMIE INDUSTRIELLE — n° 75, 1er trimestre 1996 cette vision techniciste idéalisée, l'ordre social serait alors largement Selon
influencé par le système technique de l'organisation (4).
Cette conception pose à notre avis problème. Les ingénieurs et techniciens
de la qualité tendent en effet à agir en terre vierge. Ils semblent ignorer la
possibilité de logiques différentes de la leur, la présence d'autres visions de la
qualité portées par les catégories auxquelles ils s'adressent, de
points de vue divergents sur les actions engagées et sur les problèmes que ces
actions peuvent faire naître. En cela, leur expertise est servie de façon
monologique, avec une vague inquiétude sur l'importance, dans les lieux où
ils agissent, de l'esprit de métier dont ils perçoivent mal les ressources ou
qu'ils pensent être un obstacle à leur action (5).
Or, la garantie de participation des individus et de leur appropriation des
nouveaux procédés et procédures de travail ne peut être pleinem