Lire pour croire : mise en texte de l emblème et art de méditer au XVIIe siècle. - article ; n°2 ; vol.150, pg 321-351
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Description

Bibliothèque de l'école des chartes - Année 1992 - Volume 150 - Numéro 2 - Pages 321-351
31 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1992
Nombre de lectures 29
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Jean-Marc Chatelain
Lire pour croire : mise en texte de l'emblème et art de méditer
au XVIIe siècle.
In: Bibliothèque de l'école des chartes. 1992, tome 150, livraison 2. pp. 321-351.
Citer ce document / Cite this document :
Chatelain Jean-Marc. Lire pour croire : mise en texte de l'emblème et art de méditer au XVIIe siècle. In: Bibliothèque de l'école
des chartes. 1992, tome 150, livraison 2. pp. 321-351.
doi : 10.3406/bec.1992.450655
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bec_0373-6237_1992_num_150_2_450655LIRE POUR CROIRE :
MISES EN TEXTE DE L'EMBLÈME ET ART DE MÉDITER
AU XVIIe SIÈCLE
par
Jean-Marc CHATELAIN
Dans la première partie de L'invention du quotidien, Michel de Certeau a
naguère défini l'acte de lire comme un « braconnage » * . Il entendait souli
gner par là que « lire, c'est pérégriner dans un système imposé (celui du
texte, analogue à l'ordre bâti d'une ville). Des analyses récentes montrent
que 'toute lecture modifie son objet', que (Borges le disait déjà) 'une littéra
ture diffère d'une autre moins par le texte que par la façon dont elle est
lue', et que finalement un système de signes verbaux ou iconiques est une
réserve de formes qui attendent du lecteur leur sens. Si donc 'le livre est un
effet (une construction) du lecteur', on doit envisager l'opération de ce der
nier comme une sorte de lectio, production propre au 'lecteur'. Celui-ci ne
prend ni la place de l'auteur ni une place d'auteur. Il invente dans les textes
autre chose que ce qui était leur 'intention'. Il les détache de leur origine
(perdue ou accessoire). Il en combine les fragments et il crée de l'insu dans
l'espace qu'organise leur capacité à permettre une pluralité indéfinie de
significations »2.
Indissociable de son contexte historiographique, le « braconnage » de
M. de Certeau renvoie non seulement au concept de ruse, dont l'idée doit
beaucoup aux travaux d'anthropologie historique de la Grèce ancienne
menés par Marcel Détienne et Jean-Pierre Vernant3, mais le mot résonne
aussi du souvenir du « bricolage » tel que l'a décrit Claude Lévi-Strauss
dans des pages célèbres de La pensée sauvage*. Tenue par ces deux déter-
1. M. de Certeau, L'invention du quotidien, I : Arts défaire, Paris, 1980, p. 279-296.
2. Ibid., p. 285-286. Les « analyses récentes » dont il est question sont essentiellement
celles qu'a développées Michel Charles dans Rhétorique de la lecture (Paris, 1977).
3. Notamment Marcel Détienne et Jean-Pierre Vernant, Les ruses de l'intelligence, la métis
des Grecs, Paris, 1974.
4. C. Lévi-Strauss, La pensée sauvage, Paris, 1962, p. 26-33. L'héritage de Lévi-Strauss
(et de Certeau) est manifeste dans les récents travaux d'histoire de la lecture menés par
Bibliothèque de l'École des chartes, t. 150, 1992. 322 JEAN-MARC CHATELAIN
minations, la lecture « braconnante » désigne un jeu d'esquives, un en
semble d'appropriations singulières qui, sans être nécessairement formul
ées consciemment par chaque sujet, n'en pervertissent pas moins la
logique normative d'un sens littéral ou d'une vérité de l'œuvre littéraire qui
serait fixée pour toujours, consignée à jamais dans l'intention de l'auteur
qui en constituerait l'arrêt; en quoi l'intuition de la lecture comme « bra
connage », « invention » contre « intention », rejoint aussi une prise de posi
tion polémique dans le conflit fameux qui opposa au milieu des années
1960 Roland Barthes à Raymond Picard5.
A quelle lecture mieux qu'à celle de l'emblème pourrait s'appliquer
l'analyse proposée par M. de Certeau? Emblèmes et devises reposent sur
un principe d'invention qui associe texte épigrammatique et image avec le
souci de tenir ces deux éléments dans un rapport non pas d'illustration,
mais d'obscurité relative : la figure, le texte, mais aussi le lien qui les unit
doivent échapper à l'évidence immédiate. Rien ne doit ici tomber sous le
sens. Avant que Pascal ne dise que « trop de lumière éblouit », Jean Baud
oin, dans un registre moins grave et sans rechercher la charge tragique
qu'aurait pu y mettre Pascal, avait fait graver sur la page de titre de ses
Emblèmes, en 1638, un « emblème de l'emblème » ainsi conçu : l'image
d'une chouette, oiseau de nuit et oiseau de sagesse, chaussée de lunettes, à
la lueur artificielle d'une chandelle, apparaît accompagnée du mot « Nil in
luce videt ». L'art de l'emblème consiste non pas à délivrer en pleine clarté
des significations, d'ordre généralement moral, prêtes à être passivement
reçues par le lecteur, mais à inciter ce dernier à retrouver, en reconstituant
la logique qui a présidé à l'association singulière d'une figure et d'une épi-
gramme, l'évidence du sens derrière le voile qui en porte « absence et pré
sence », le dissimule mais en accuse en même temps la proximité et en
excite d'autant mieux le désir. L'emblème se doit d'abord de désorienter,
d'intriguer. Dès 1565, l'humaniste néerlandais Junius (Adrian De Jonghe),
auteur d'un recueil à"1 Emblemata, formulait cette exigence en recourant à
une expression reprise aux rhéteurs antiques : il faut dit-il, ménager, à
l'emblème un certain « suspense » (dont le principe restera, dans le sens
moderne du mot, celui de toute mise en « intrigue »), tenir en suspens la
Roger Chartier; son résultat le plus évident est la substitution du concept d'« usager du
livre » (ou de l'imprimé) à la figure classique du « lecteur ». Cf. Les usages de l'imprimé, sous
la dir. de R. Chartier, Paris, 1987.
5. M. de Certeau a ainsi placé en tête de son chapitre sur la lecture-braconnage, à titre
d'épigraphe, une phrase de Jean-François Lyotard (« arrêter une fois pour toutes le sens des
mots, voilà ce que veut la Terreur ») qui fait directement écho à l'une des formules les plus
polémiques du Sur Racine de Roland Barthes : « En fait, le coup d'arrêt imposé par le cri
tique à la signification n'est jamais innocent. Il révèle la situation du critique, introduit fatal
ement à une critique des critiques. Toute lecture de Racine, si impersonnelle qu'elle s'oblige à
être, est un test projectif »> (2e éd., Paris, 1979, p. 151; lre éd. : 1960-1963). EN TEXTE AU XVII" SIÈCLE 323 MISES
compréhension du lecteur comme la plaidoirie d'un avocat devait, selon les
préceptes des manuels de rhétorique antique, tenir en suspens l'attention
des juges et de l'auditoire (animos suspensos teuere) 6. Différée, la compré
hension acquiert une prégnance nouvelle une fois qu'elle est acquise. Mais
s'il peut être rémunérateur, ce délai n'en comporte pas moins des dangers
multipliés d'interprétations erronées au regard de l'intention première de
l'auteur, des risques supplémentaires de lectures « braconnées ». Le
P. Dan, décrivant en 1642 le croissant accompagné du motto « Donee
totum impleat orbem », qui formait la devise d'Henri II, en fournit un
exemple d'autant plus remarquable qu'il consiste en un « braconnage »
savant, propre à montrer que le phénomène souligné par Michel de Certeau
n'est pas le privilège des lectures dites « populaires » :
« Plusieurs rendent différentes raisons de cette devise. Il y en a qui croyent que
ce prince [Henri II] la prit en consideration de Diane de Poitiers duchesse de
Valentinois, laquelle estoit en grand credit auprès de luy, et qu'il representoit par
ce croissant de lune, à qui les poètes font porter le nom de Diane.
Quelques autres disent que ce fut à dessein de contrecarrer l'orgueil et le faste
de Charles-Quint, qui avoit pour devise les colonnes d'Hercule, avec cette inscrip
tion : Plus ultra. Plus oultre; pour signifier qu'il pousseroit ses conquestes plus
avant que celles de cet héros de l'Antiquité, osant mesme se promettre la France :
ce qui obligea ainsi Henry II à prendre telle devise, pour dire que si la vanité et
l'ambition de l'Empereur le poussoient jusques à

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