Livres perdus, livres méconnus, livres hybrides : la lettre du Christ au roi Abgar et autres correspondances dans la durée - article ; n°1 ; vol.48, pg 69-88
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XVII-XVIII. Bulletin de la société d'études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles - Année 1999 - Volume 48 - Numéro 1 - Pages 69-88
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Publié le 01 janvier 1999
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Langue Français
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Gilles Duval
Livres perdus, livres méconnus, livres hybrides : la lettre du
Christ au roi Abgar et autres correspondances dans la durée
In: XVII-XVIII. Bulletin de la société d'études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles. N°48, 1999. pp. 69-88.
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Duval Gilles. Livres perdus, livres méconnus, livres hybrides : la lettre du Christ au roi Abgar et autres correspondances dans la
durée. In: XVII-XVIII. Bulletin de la société d'études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles. N°48, 1999. pp. 69-88.
doi : 10.3406/xvii.1999.1455
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xvii_0291-3798_1999_num_48_1_1455LIVRES PERDUS, LIVRES MECONNUS,
LIBRES HYBRIDES :
LA LETTRE DU CHRIST AU ROI ABGAR
ET AUTRES CORRESPONDANCES DANS LA DURÉE
Pesanteur de la formule éditoriale et respect des "autorités," mais aussi
incompréhension des sources et hybridations sauvages; tels sont, sans doute
de tous temps, les ingrédients de base de la transmission de bribes de savoirs
et d'artefacts privés de signification dans leur nouveau contexte. Ceci
s'applique en particulier à l'iconographie et aux textes religieux. L'Angleterre
moderne en donne de beaux exemples, rendus plus savoureux par le
nettoyage radical opéré à la Réforme. Sur un mode hautement paradoxal,
les "superstitions" trouvent des accommodements avec langueur ambiante.
Les situations les plus curieuses découlent ainsi de l'iconophobie
puritaine, magistralement campée par Tessa Watt.1 C'est ainsi qu'en plein
XVme siècle, John Bowles et ses descendants, graveurs et éditeurs de
mezzotinto, mutilent sans états d'âme les plus grands chefs-d'œuvre de la
peinture, sans même citer le nom de l'artiste (Michel- Ange, Titien, Van
Dyck, Le Guide, J. F. de Troy, Rubens, etc.).2 Mais ils n'ont garde d'oublier
tout l'appareillage commercial, nom du graveur et de l'imprimeur, etc. Et
surtout, dans le même temps, pour rendre acceptables des sujets sulfureux,
les madones en particulier, ils introduisent les citations de l'Écriture idoines,
avec leurs références précises. Cette pratique s'inscrit pourtant, avec ses
excès et ses maladresses, dans une véritable stratégie de domestication de
thèmes dangereux et de diffusion d'artefacts jugés dignes d'être préservés
1. Tessa Watt, Cheap Print and Popular Piety 1550-1640 (Cambridge: Cambridge
UP, 1991).
2. Voir Duval, "Bowles et Carver: Une Entreprise d'édition de la gravure et la diffusion
des toiles de maîtres dans l'Angleterre du XVIIIe siècle," Revue Française d'Histoire du
Livre 92-93 (1996): 227-52. Bowles et Carver semblent détourner délibérément l'usage
habituel du mezzotinto, réservé à de faibles tirages de qualité. Pour eux, seul compte son
faible prix de revient; voir Timothy Clayton, The English Print 1688-1802 (New Haven:
Yale UP, 1997) 16 et 69. GILLES DUVAL 70
pour leurs qualités décoratives, leur intérêt humain ou leur théâtralité.
Curieux mélange. Et encore n'est-il question là que de sujets authenti-
quement religieux annexés par le marché de milieu de gamme.
Lorsque l'imprimé sans qualité s'empare de textes scripturaires ou
apparentés, il faut s'attendre à force surprises. Et c'est bien ce qui se
produit. Le colportage s'empare essentiellement de quatre personnages:
Joseph l'Égyptien, Joseph d'Arimathie, le Juif errant et Judas.3 Les trois
premières biographies ne tranchent en rien avec ce que l'on peut trouver
dans le reste de l'Europe. Elles n'apportent rien de particulier, si ce n'est le
mélange habituel de sources, de préoccupations et de registres. La
cacophonie règne. Et si l'on peut désigner une dominante, c'est la dérive
vers une certaine sécularisation, si bien que le Juif errant se fait
professeur d'histoire d'Angleterre. Les biographies de Judas sont beaucoup
plus complexes du fait qu'elles mêlent de façon indissoluble sources
bibliques et folkloriques. On peut les diviser en deux groupes, suivant
qu'elles comportent ou non une version - apocryphe - du procès du Christ,
que nous retrouverons plus bas dans une version iconographique. Sans
doute séparés à l'origine, la biographie de Judas et le procès du Christ se
rejoignent dans un équilibre instable. L'origine de l'un et de l'autre est
peut-être à chercher dans la peinture ou dans le théâtre médiéval, même si
tous les efforts menés jusqu'à présent sont restés vains.
Apparemment unique en son genre, The Bloody Sentence of the Jews
ne saurait trouver une telle justification (Illustration 1). C'est dans cette
feuille que prend corps un module narratif extrêmement vivace: le
message divin perdu et retrouvé pour être préservé à jamais. Tout ici est
étrange. Les personnages se prononcent pour ou contre le Christ, mais
l'épisode ne figure ni dans rÉcriture ni dans les apocryphes. Et les
personnages portent des noms fantaisistes. Pilate occupe le centre de la
scène, comme il se doit, mais si Nicodème, Caïphe, Siméon le Lépreux et
Joseph d'Arimathie ont bel et bien existé, ils n'étaient pas présents au
procès. Certains noms, comme Ptolémée, ont été inventés ou empruntés à
d'autres périodes. D'autres apparaissent vers l'an 70 chez Flavius Josèphe,
qui reçoit par ailleurs un honneur douteux de la part du colportage,
comme on le verra.4 Ioram apparaît dans un texte du Vie siècle.5 Ceci est
3. Voir Duval, "Les Figures bibliques dans la littérature de colportage anglaise,"
Revue d'Histoire Moderne et Contemporaine 43.3 (1996): 422-45.
4. Flavius Josèphe, Antiquités 1.6.4-5; 10.8.5-6.
5. Robert Priebsch, Letter from Heaven on the Observance of the Lord's Day (Oxford:
Clarendon, 1936) 1 1; David Bevington, Afeûf/eva/ Drama (Chicago: U of Chicago P, 1975)
706. ■■■■•■I Ifllllllll
TriK Jii.oonv Jksi's CititfM Skntrnhf. i in; Savioiti of the of Jews thh Wour.ii against
1. The Bloody Sentence of the Jews against Jesus Christ the Saviour of the World GILLES DUVAL 72
presque anecdotique. Par contraste, c'est bien un paradoxe majeur qui
s'installe lorsque la lettre gravée en dessous de la scène insiste sur
l'origine écrite plutôt que pictographique du document: "This was found
in Vienna in Germany [sic], under Ground cut upon a Stone." L'erreur
géographique peut s'expliquer, dans la mesure où, d'après certaines
légendes, Hérode se serait noyé dans le Rhône, à proximité de Vienne, en
France.6 Le Musée des Arts et Traditions populaires a préservé plusieurs
versions françaises de cette scène; il faut y ajouter la planche de Wentzel
à Wissembourg.7 Elles datent du milieu du XIXe siècle.
Le mystère de The Bloody Sentence reste entier. L'examen de
documents apparentés contribuera peut-être à le dissiper, en tout cas à le
mettre en perspective. La lettre du Christ au roi Abgar sera notre
prochaine étape. Elle aussi connaît des hybridations multiples; un
historique s'impose donc avant de procéder à une étude de cas. Il s'agit
d'une lettre d'Abgar, roi d'Edessa dans l'Osrhoene, et de la réponse du
Christ, d'après une légende rapportée au XlIIe siècle par Jacques de
Voragine dans la partie consacrée à Saint Simon et Saint Jude, apôtres, à
la suite d'Eusèbe dans son Historia ecclesiastica. Cette lettre comporte
deux parties, également importantes, mais pour des raisons différentes.
Sur le plan doctrinal d'abord, puisque le Christ annonce Sa mort et Son
ascension, rappel de sa divinité; sur le plan de la pratique religieuse
ensuite, puisqu'il institue la nécessité du repos dominical, par distinction
avec le sabbat des Juifs:
The legend of the correspondence between Jesus and Abgar is fabulous,
though Abgar IV Uchama was king in Edessa during Jesus' ministry in
Palestine. The legend perhaps reflects the favour to Christians shown by
Abgar IX (179-214). The parallel version of the legend relates that Abgar
not only received a letter from Jesus, but acquired a portrait of him in the
5th Doctrine of Addai [Thaddeus]; of this Eusebius knew nothing. When
Abgar learned that he was not to see Christ in the flesh, he sent a painter
to him (as we learn from John of Damascus, who read it in ancient history
in order that the painter might make a picture of Jesus; and thus allow

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