Loi et société : la singularité des lois somptuaires de Rome - article ; n°1 ; vol.15, pg 135-171
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Cahiers du Centre Gustave Glotz - Année 2004 - Volume 15 - Numéro 1 - Pages 135-171
Cette étude s’efforce de montrer que les listes de lois somptuaires républicaines figurant chez Aulu-Gelle et Macrobe dérivent d’une liste unique constituée par le juriste Ateius Capito sous le règne de Tibère, dans l’intention de justifier le renoncement du prince à légiférer en matière de luxe. Une telle décision représentait le point d’aboutissement d’un long processus qui singularise la législation somptuaire: le heurt entre le développement du luxe, qui suscite un refus croissant des lois, et le renforcement constant de leur dispositif. Ce divorce entre loi et société a fini par subvertir les fondements théoriques traditionnels de la législation sur les moeurs; c’est dans un tel contexte que s’est fait sentir la nécessité de récapituler cette longue série de lois.
The purpose of this paper is to show that both the list of republican sumptuary laws provided by Gellius and the one by Macrobius originate from a single list drawn up in the reign of Tiberius by the jurist Ateius Capito with the intent of justifying why the prince abandoned the idea of making legislation about luxury matters. Such a decision was the result of a long process: the drawn-out conflict between the development of luxury, leading to an increased rejection of the sumptuary laws on the one hand, and the continuous reinforcement of their mechanism on the other hand. This discrepancy between law and society eventually came to undermine the theoretical foundations of legislation about mores. It is in this context that the need was felt to give an overview of this prolonged series of laws.
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Publié le 01 janvier 2004
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Langue Français

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MRIANEANCOUDRY
LOI ET SOCIÉTÉ : LA SINGULARITÉ DES LOIS SOMPTUAIRES DE ROME*
Comme l’ont bien montré une série d’études récentes, la notion detryphè, qui a toujours eu des connotations négatives, a une longue histoire dans la pensée grecque : apparue peut-être, avant le mot lui-même, dans l’Asie Mineure archaïque pour désigner le mode de vie fastueux et raffiné de l’aris-tocratie, elle est dès leVesiècle associée aux idées de relâchement des mœurs et de décadence, et nourrit dès lors la réflexion morale et politique. Elle devient, à partir de Platon, un élément central dans la réflexion sur la succes-sion des régimes politiques : associée à la recherche du plaisir d’une part, au mauvais usage de la richesse d’autre part, elle est désignée comme cause de leur corruption inéluctable, selon un schéma qui se banalise à l’époque hel-lénistique, et trouvera une forme aboutie chez Polybe. En même temps, dans le courant pythagoricien en particulier, elle sert à caractériser les Grecs des marges, Ioniens d’un côté, Grecs d’Occident de l’autre, dont les usages laxis-tes, qui les distinguent du modèle spartiate de référence, sont vus comme l’effet d’influences extérieures néfastes1. Ces éléments passent à Rome, par l’intermédiaire de Polybe et de Caton notamment2 ils alimentent dès le, oùIIesiècle un courant de pensée large et multiforme qui intègre à la réflexion sur la décadence des mœurs tradition-nelles la notion correspondante deluxuria. Elle y est considérée pareillement
*Ce travail a fait l’objet d’une présentation à l’Institut Ausonius de Bordeaux en décembre 2002, puis au groupe « Nouveau Rotondi » en octobre 2003. Que les collègues qui ont pris part à ces rencontres soient ici remerciés pour les critiques et suggestions qu’ils m’ont amica-lement prodiguées. 1L’étude pionnière est celle d’A. Passerini, « Latrufhvnella storiografia ellenistica »,Studi ita-liani di filologia classica, 11, 1934, p. 35-56. Ses éléments ont été repris et approfondis par U. Cozzoli, « Latrufhvnella interpretazione delle crisi politici », dansTra Grecia e Roma. Temi antichi e metodologie moderne1980, p. 133-145. Sur le contexte de l’émergence de la, Rome, notion, M. Lombardo, «Habrosuneehabranel mondo greco arcaico », dansModes de contact et processus de transformation des sociétés antiques, Pise-Rome, 1983, p. 1077-1103, et G. Nenci, « Tryphè e colonizzazione »,ibid., p. 1019-1031, qui s’intéresse aussi à la place de la notion dans l’appréhension du monde grec colonial par l’historiographie hellénistique, en développant des observations de Passerini. 2Sur leur rôle, en particulier celui de Caton, A. Passerini, « Latrufhv», cit.supra, p. 54 ; C. Letta, « L’Italia deimores RomaninelleOriginidi Catone »,Athenaeum, 62, 1984, p. 3-30 ; M. Bonamente, « Leggi suntuarie e loro motivazioni », dansTra Grecia e Roma, cit.supra, p. 67-91.
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comme l’effet d’influences extérieures et comme une menace pour les insti-tutions politiques, ces deux aspects se combinant dans les interrogations sur les effets de la conquête du monde grec3 de la. En même temps, l’héritage morale cynique, qui se diffuse par la diatribe, popularise la critique du luxe et contribue à sa banalisation dans le théâtre et la rhétorique, de l’époque de Plaute à celle de Sénèque4. Si ce thème du luxe paraît donc avoir eu, sur le plan des représentations, une importance comparable dans les deux cultures, il n’en va pas de même pour les dispositions destinées à le combattre ou à en limiter les manifesta-tions. L’appellation même de « lois somptuaires » par laquelle, par référence à Rome, les auteurs modernes ont coutume de désigner des normes analogues attestées dans le monde grec, est problématique. Celles-ci apparaissent en effet dans des contextes ou sous une forme différente. Parfois ce sont des disposi-tions isolées5. Plus souvent, elles font partie d’ensembles de dispositions aux objectifs plus larges que la simple limitation des dépenses ostentatoires : par exemple celles qui réglementent les funérailles en restreignant à la fois les manifestations du deuil et l’ampleur des offrandes, du banquet funéraire, de la parure du défunt6celles qui ont trait à l’organisation des cérémonies cul- , ou tuelles de différents sanctuaires, et qui comportent des règles vestimentaires concernant surtout les femmes7. Ou encore elles sont intégrées dans des gran-des œuvres réformatrices, comme celles de Solon, de Lycurgue, de Démétrios de Phalère, qui constituent des remises en ordre générales de la société civi-que dans lesquelles la limitation des dépenses ostentatoires est un élément parmi d’autres de l’encadrement des conduites8. En sorte que le regroupe-ment dans une catégorie « lois somptuaires » de dispositions éparses, que
3Cf. l’article classique d’A. Lintott, « Imperial expansion and moral decline in the Roman Republic »,Historia, 21, 1972, p. 626-638. 4Cf. l’ouvrage ancien d’A. Oltramare,Les origines de la diatribe romaine, Genève, 1926. Sur le développement du thème de la cor ruption de la société par le luxe, de la fin de la République à l’époque flavienne, S. Citroni Marchetti, e la tradizione del moralismo romanoPlinio il Vecchio, Pise, 1991. 5Par exemple, la limitation du montant des dots mentionnée par Strabon comme signe de la « sage modération » des Massaliotes (4, 1, 5). 6 Il lusso funerario e la città Ampolo, «La documentation est rassemblée et discutée par C. arcaica »,AION (Arch. St. Ant.), 6, 1984, p. 71-102. Les sources épigraphiques antérieures à l’époque hellénistique ont fait l’objet d’une étude récente de F. Frisone,Leggi e regolamenti fune-rari nel mondo greco, I.Le fonti epigrafichequi a fait rebondir le débat déjà ancien sur, Lecce, 2000, la fonction de ces nor mes, considérées par les uns comme fondamentalement rituelles — régler les rapports des vivants et des morts —, par les autres comme politiques — préserver la cité des risques de déstabilisation que comporte l’extravagance aristocratique ; cf. le compte rendu de l’ouvrage par J. G. Hawke,BMCR, 2/10/2004. 7ont été analysées en particulier par H. Mills, « Greek ClothingCes « lois sacrées » Regulations : Sacred and Profane »,ZPE, 55, 1984, p. 255-265. 8côté la question du degré d’authenticité de la partie archaïque de cette législa-Je laisse de tion (que la tradition attribue aussi à d’autres tyrans ou législateurs, comme Pittacos de Mitylène, Charondas, Zaleucos, Périandre), objet de vives discussions entre partisans de l’histo-ricité et sceptiques qui tendent à y voir une reconstructiona posteriori. Concernant Démétrios de Phalère, cf.infra.
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jamais la documentation ancienne ne présente explicitement comme destinées à limiter les dépenses et qui sont de ce fait d’interprétation difficile, appelle des réserves9 . À Rome, en revanche, s’est développée entre le début duIIesiècle et Auguste une véritable législation somptuaire, explicitement identifiée comme telle par les auteurs anciens : Aulu-Gelle et Macrobe présentent ces lois, tou-tes consacrées au luxe de la table, sous la forme d’une série — nous verrons plus loin à quelle époque on peut en assigner la constitution — en les nom-mant ainsi10la qualification de « somptuaire » est attestée chez Cicéron à, et propos de celle de César qui ne figure pas chez ces deux auteurs11. Certes, des liens de filiation entre cette législation et des lois grecques sont explicitement indiqués dans quelques textes anciens, ou rendus évidents par les comparai-sons que nous pouvons effectuer, mais ils sont rares et parfois douteux. Ainsi, lorsqu’Ammien Marcellin présente les lois somptuaires de Rome comme transférées de Sparte, c’est plus un moyen de valoriser la fidélité de l’empereur Julien à une longue tradition d’austérité qu’une information pro-prement historique, comme le montrent les approximations de sa formula-tion12 connue, des lois de. L’autre indication d’une filiation est celle, bien Solon réglementant le deuil et les dépenses funéraires et de la table X de la Loi des XII Tables ; elle est affirmée par Cicéron, qui met les deux textes en parallèle, mais soulève aussi des doutes13 c’est le luxe des funérailles. De plus, qu’elle vise, domaine dans lequel, contrairement à ce qui est attesté dans le monde grec, la législation romaine est mince. C’est dans un autre domaine, lui aussi peu représenté dans la législation romaine, celui de la parure féminine, que se rencontre la similitude la plus nette entre prescriptions romaines et prescriptions grecques. La loi Oppia, votée en 215, au pire moment de la seconde guerre punique, et abrogée vingt ans plus tard malgré les efforts de Caton, paraît en effet clairement inspirée de
9L. Gallo, « Le leggi suntuarie greche e l’alimentazione »,La tentative de AION (Arch. St. Ant.), 15, 1993, p. 173-203, pour réunir celles qui concernent le luxe de la table, partant de l’hypothèse intéressante qu’existait en Grèce l’équivalent desleges cibariaede Rome, se heurte à cette difficulté et ne parvient pas, à mon sens, à des conclusions très convaincantes. 10Gell.,NA, 2, 24, avec pour titreDe uetere parsimonia deque antiquis legibus sumptuar iis; Macr., Sat., 3, 17, 1 :leges de cenis et sumptibus. 11Cic.,Fam., 7, 26, 2 ; 9, 15, 5 ;Att., 13, 7, 1. C’est la seule mention d’une loi somptuaire dans un texte contemporain de son v ote. 12Amm., 16, 5, 1 :temperantiam ipse sibi indixit atque retinuit, tamquam adstrictus sumptuariis legi-bus uiueret, quas ex rhetris Lycurgi, id est axibus, Romam translatas…On considère d’ordinaire qu’Ammien a confondu les lois de Lycurgue et celles de Solon (cf.Roman Statutes, II, p. 704.). 13Cic.,Leg., 2, 59 :minuendi sumptus lamentationisque funeris translata sunt deIam cetera in XII Solonis fere legibus; 64 :quom… sumptuosa fieri funera et lamentabilia coepissent, Solonis lege sublata sunt. Quam legem eisdem prope uerbis nostr i decem uiri in decimam tabulam coniecerunt.Les doutes des modernes portent sur l’affirmation de Cicér on d’une part, l’authenticité des mesures somptuai-res de Solon, qu’il dit avoir lues chez Démétrios de Phalère, d’autre part. Cf. M. Toher, « The Tenth Table and the Conflict of Orders », dans K. A. Raaflaub éd.,Social Struggles in Archaic RomeAngeles-Londres, 1986, p. 301-326, part. p. 301-303., Berkeley-Los
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modèles grecs14. Ses dispositions — l’interdiction faite aux femmes de por-ter des vêtements chatoyants et une parure excédant un certain poids d’ , or et de se déplacer en char à l’intérieur de la ville sauf pour l’accomplissement de certains rites — ont leurs parallèles dans des règlements grecs de sanctuai-res15contrôler les conduites féminines évoque l’institution ce souci de , et grecque des gynéconomes, à laquelle Plaute, dans une comédie contempo-raine de l’abrogation de la loi, fait probablement une allusion ironique16. L’adoption de cette loi exprime donc certainement l’intention de restreindre une forme d’ostentation de la richesse qui paraissait peu admissible dans un contexte de détresse militaire et économique, et de recourir pour cela à des moyens dont on connaissait l’usage dans le monde grec. En revanche, pour ce qui est du luxe de la table, la filiation grecque est plus hypothétique. Les deux premières lois qui y pourvoient, la loi Orchia et la loi Fannia, comportent, parmi d’autres prescriptions, la limitation du nombre des invités : c’est le seul élément qui autorise un rapprochement avec la législa-tion grecque. Une règle de ce type est attestée en effet, au plus tard à la fin du IVe pour les banquets nuptiauxsiècle, dans la cité carienne de Iasos,17. L’autre cas, plus connu, est celui d’Athènes, où une loi imposée par Démétrios de Phalère fixait à trente le nombre des invités aux banquets et chargeait les gynéconomes de contrôler son observation18. Elle s’inscrit dans une politique de répression de l’extravagance aristocratique illustrée aussi par sa loi sur les funérailles que mentionne Cicéron19 plus qu’à Iasos,. Mais, pas les dépenses ne sont expressément limitées. Ce n’est pas dans des règlements concrets, mais dans un texte théorique, un passage desLois se trouvent énon- quede Platon,
14Cf. M. Bonamente, « Leggi suntuarie », cit.supra, p. 67-91, qui développe cette idée aux p. 89-91 ; P. Culham, « Again, what meaning lies in colours ?»,ZPE, 64, 1986, p. 235-245. 15parure, cf. n. 6. Ces parallèles sont rappelés par P. Culham. PourPour le vêtement et la l’usage du char, une loi athénienne attribuée à Lycurgue l’interdisait aux femmes qui se ren-daient à Éleusis — sans doute pour les Mystères — « pour que les <femmes du peuple> ne soient pas humiliées par les riches » (Plut.,Mor., 842a) : cf. L. Gallo, « Le leggi suntuarie », cit. supra, p. 194-195, n. 50. 16classique de C.Wehrli, « Les gynéconomes »,Sur les gynéconomes, l’article MH, 19, 1962, p. 33-38. Plaut.,Aulul., v. 504. 17 s.la durée est limitée à deux jourDont en outre  Elle est mentionnée par Héraclide Lembos dans ses extraits desConstitutionsd’Aristote (Exc. polit., 73). 18de cette loi (trente invités au plus, comptage par les gynéconomes) se dédui-Les clauses sent des extraits d’auteurs d’apophtegmes et de comédies rassemblés par Athénée (Deipn., 6, 245c) ; son attribution à Démétrios de Phalère n’est pas directement attestée, mais très vraisem-blable. Cf. C.Wehrli, « Les gynéconomes », cit.supra, et L. Gallo, « Le leggi suntuarie », cit.supra, p. 196. 19été confiée aussi aux gynéconomes. Cic.,Et dont l’observation semble avoir Leg., 2, 66. Sur cet aspect de la politique de Démétrios de Phalèr e, C. Habicht,Athens from Alexander to Antony, Cambridge, Mass.-Londres, 1997, p. 55-56, et surtout H. J. Gehrke, « Das Verhältnis von Politik und Philosophie im Wirken des Demetrios von Phaleron »,Chiron, 8, 1978, p. 149-193, part. p. 162-170 et 186-187. Les objectifs et la signification de la législation de Démétr ios conti-nuent d’être très discutés : cf. les points de vue de M. Gagarin et H. B. Gottschalk, dans W. W. Fortenbauch, E. Schütrumpf éd.,Demetrius of Phalerum. Text, Translation and Discussion, New Brunswick-Londres, 2000.
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cées les normes les plus proches de celles qui figurent dans les lois Orchia et Fannia — encore ne concernent-elles que les banquets de noces : limitation de la dépense en fonction du niveau censitaire de chacun et du nombre des invités20 ces rapprochements s’avèrent donc partiels et imparfaits.. Tous Ainsi, sans minimiser ces parallèles ponctuels entre normes grecques limitant l’ostentation de la richesse dans l’équipage des femmes, les funérailles et les banquets de fête, et mesures romaines du même type, et nier de possibles emprunts, il demeure que la législation somptuaire romaine présente des spé-cificités bien marquées, à plusieurs égards21 lois en dix son ampleur :. D’abord moins de deux siècles pour le seul luxe de la table. Ensuite son contenu : comme on l’a indiqué plus haut, ni les dépenses liées aux funérailles, ni celles des parures féminines ne font l’objet de prescriptions aussi nombreuses. Enfin, son caractère répétitif et sa réception : ces lois réitèrent les mêmes interdits selon un rythme régulier, tous les vingt ou trente ans, et suscitent des réactions contrastées — adhésion, refus, évitement — tout au long de ces deux siècles. Ces caractéristiques sont bien connues, grâce aux deux longs textes, très voisins, qui constituent la documentation la plus complète à leur sujet : les récapitulations, émaillées de commentaires, transmises par deux auteurs large-ment postérieurs à l’époque républicaine,Aulu-Gelle et Macrobe. Or, un exa-men attentif de ces textes permet de poser de nouvelles questions sur cette législation. La recherche de ces vingt dernières années s’est en effet focalisée sur ses objectifs et sa signification générale dans l’histoire sociale et politique de la République, en apportant des interprétations nouvelles et éclairantes, qui ont largement convaincu, et sur lesquelles nous ne reviendrons pas22. Elle ne
20Plat.,Lois la question de evingt rappelle la loi de Iasos et soulèv,VI, 775a. Le nombre de savoir si la théorisation platonicienne repose sur l’expérience législative concrète. 21  sOutre le fait que les censeurinterviennent parfois dans ce domaine, en surveillant la ges-tion des patrimoines à l’occasion de l’examen des mœurs qui accompagne lecensus, ou par des édits concernant l’importation ou la vente de produits de luxe. Mais nous laisserons de côté délibérément ces éléments pour ne traiter que des lois. 22Elles remontent à l’article « fondateur » de G. Clemente, « Le leggi sul lusso e la società romana tra il III et il II secolo a.C. », dansSocietà romana e produzione sc hiavistica, III, Rome-Bari, 1981, p. 3-14. Substituant une perspective de type politique et sociologique à la perspective tra-ditionnelle restée, comme celle des Anciens, exclusivement morale, Clemente interprète les lois somptuaires comme visant à éviter que le luxe permette, par le biais des banquets notamment, un accroissement excessif des clientèles personnelles qui mettrait en péril la stabilité de la classe dirigeante et sa place dominante dans l’ordre socio-politique. L’idée selon laquelle la législation somptuaire est un mode d’auto-régulation de la libéralité de l’aristocratie avait déjà été avancée, à partir d’une comparaison avec les pratiques des clubs anglais, par D. Daube,Roman law. Linguistic, social and philosophical aspects, Édimbourg, 1969, p. 117-128 :The protection of the non-tip-perles études qui ont suivi (par exemple. Ce type d’interprétation a été largement repris dans dans l’ vrage d’E. Baltrusch, der SenatorenRegimen morum : die Reglementierung des Pr ivatlebens ou und Ritter in der römischen Republik und frühen Kaiserz eitMunich, 1989), bien que C. Edwards ait, justement attiré l’attention sur les enjeux symboliques de la dimension morale de cette législa-tion (dans son compte rendu de l’ouvrage cité :JRS, 80, 1990, p. 200-201). Leur prise en compte permettrait de mieux comprendre un point qui est souvent négligé, la focalisation de la législa-tion somptuaire sur le luxe des repas. De Caton, qui oppose table et vertu (ORF, 8, fr. 146), à la dénonciation du ventre comme élément le plus vil du cor ps et du banquet comme lieu de la
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s’est pas intéressée en revanche aux conditions dans lesquelles cette collection de lois avait été constituée.Tel est donc le propos premier de cet article : ten-ter de déterminer l’origine de ces répertoires. Cette enquête conduira à reve-nir sur l’histoire de la législation somptuaire en elle-même : son développe-ment, les péripéties qui l’ont marquée comportent-ils des caractères particu-liers qui pourraient expliquer pourquoi les lois ont fait après coup l’objet d’une récapitulation ? Il faudra alors élargir la perspective à la question mal connue de la réflexion générale sur les lois à l’époque républicaine, notam-ment leur rapport aux mœurs, leur vieillissement et leur renouvellement, leur application. Ainsi cette étude devrait permettre,in fine, de mettre en évidence l’originalité de la législation somptuaire de Rome, non plus seulement par rapport à ses antécédents grecs, mais dans son propre contexte romain23.
La constitution de la liste des lois somptuaires La plupart des lois somptuaires qui portent sur le luxe de la table figurent en effet dans les deux listes, très voisines, qu’en ont données, à deux siècles d’inter-valle, deux auteurs d’époque impériale,Aulu-Gelle dans sesNuits attiques(2, 24) et Macrobe dans sesSaturnales s’agit là d’une situation tout à fait ori-(3, 17). Il ginale, à laquelle les chercheurs modernes habitués aux classements thématiques — c’est un effet pervers de l’utilisation du recueil de Rotondi — n’ont pas été, à mon sens, suffisamment attentifs : la documentation antique concernant la législation romaine ne comporte aucun autre exemple de collection de lois de même objet classées selon l’ordre chronologique24. Cette particularité appelle une explication, qui portera sur deux aspects : quelle sorte d’intérêt, justifiant l’énoncé de cette série de lois, ces deux auteurs portaient-ils à la législation somptuaire républicaine ? et quelle part ont-ils eu à l’élaboration de la liste qu’ils présentent : l’ont-ils eux-mêmes constituée ou sont-ils tr ibutaires d’une liste antérieure, dont il faudra éventuellement tenter de retrouver l’origine ?
consomption pathologique, dans la réflexion philosophique et morale de la fin de la République et du début de l’Empire (cf. S. Citroni Marchetti, VecchioPlinio il, cit.supran. 4, p. 99-100, 108, 135, 167-170, 265-267) court une critique radicale qui, en même temps que le souci de modé-rer le développement des clientèles auquel les banquets pouvaient facilement contribuer, nous paraît susceptible d’expliquer la continuité de la législation somptuaire. 23Elle constitue un prolongement du travail de rédaction des notices des lois somptuaires qui m’a été confié par J.-L. Ferrary et P. Moreau dans le cadre du projet « Nouveau Rotondi ». Pour cette raison, le contenu des lois, les discussions auxquelles il peut donner lieu, les ques-tions de datation, qui ont été développés dans ces notices, ne seront évoqués ici que si néces-saire et brièvement. Un tableau récapitulatif succinct des lois figure en annexe. 24Le seul cas grossièrement comparable est celui des textes officiels (lois et sénatus-consultes) rassemblés par Frontin dans la dernière partie de son traitéSur les aqueducs(94-129) ; mais ceux-ci y sont présentés comme des citations incor porées dans un discours ordonné qui présente un bilan des règles en vigueur, et non sous la forme d’une liste récapitulative. On sait cependant que Pompée, puis César, ont eu le projet de rassembler et de mettre en ordre la législation, ce qui aurait impliqué sans doute des regroupements par objet. Mais l’entreprise, que ni l’un ni l’autre
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Certes, la série des lois répertoriées par l’un et l’autre est presque identi-que25 suivi dans les deux cas est chronologique, la, l’ordre manière de présen-ter les lois, en résumant leurs dispositions en quelques lignes, est très proche, les citations de textes se rapportant à certaines d’entre elles sont parfois les mêmes26. De plus, Macrobe cite explicitement Aulu-Gelle à propos de la date de promulgation de l’une d’elles27et l’utilise sans le dire mais en l’inter -prétant de façon erronée — à propos d’une autre28. Cependant, leurs deux lis-tes présentent des différences assez significatives pour convaincre que Macrobe ne s’est pas contenté d’emprunter à Aulu-Gelle. Il mentionne des lois (Orchia, Didia) ou édits (d’Antoine) ignorés par Aulu-Gelle et omet, inversement, des mesures que ce dernier avait retenues (le sénatus-consulte qui précéda la loi Fannia, la loi somptuaire d’Auguste et l’édit qui la modifia). Il indique quasi systématiquement le nom durogatorde chaque loi, ce qu’Aulu-Gelle ne fait que pour celle de Sylla. Il s’applique à situer chacune d’elle dans le temps, en général en indiquant le nombre d’années qui la sépare de la précédente, ce que néglige Aulu-Gelle. Le détail des prescriptions, enfin, diffère parfois de l’un à l’autre29et surtout la manière de les énoncer : qu’Aulu-Gelle vise à la pré- alors cision, Macrobe s’en tient le plus souvent au principe. Au vu de ces différences, il est clair déjà qu’au moins une partie de l’infor-mation dont disposait Macrobe ne provient pas d’Aulu-Gelle et que tous deux utilisent une liste déjà constituée, dont on peut préciser dès maintenant qu’elle présentait les lois dans l’ordre chronologique et ajoutait à l’énoncé de leur contenu des citations contemporaines, tirées de discours ou de bons mots qui s’y rapportaient. C’est vraisemblablement dans cette liste que Macrobe a puisé un extrait de discours prononcé en faveur de la loi Fannia, extrait qu’il a inséré dans le chapitre précédant immédiatement celui qui nous occupe30. Cette même liste a aussi été utilisée manifestement par Sammonicus Serenus, cet érudit proche de Septime Sévèr e qui semble avoir encouragé la volonté
n’a menée à bien, paraît avoir visé à une « codification », c’est-à-dire à une actualisation des règles de droit et non à la constitution d’un répertoire de toutes les lois passées. Suét.,DJ, 44, 2 :(destinabat) ius ciuile ad certum modum redigere atque ex immensa diffusaque legum copia optima quaeque et necessaria in paucissimos confer re libros; Isid.,Etym., 5, 1, 5 : isleges autem redigere in libr primus consul Pompeius instituere uoluit, sed non perseuerauit obtrectatorum metu ; deinde Caesar coepit facere, sed ante interfectus est. Indications bibliographiques à la n.73. 25de la loi somptuaire de César.Avec la même omission 26À propos de la loi Fannia (NA, 2, 24, 4 ;Sat., 3, 17, 5). 27La loi Fannia (Sat., 3, 17, 3). 28La loi Aemilia (3, 17, 13) : il la place après la mort de Sylla et l’attribue au « consul Lepidus » (M. Aemilius Lepidus, consul en 78), en se fondant manifestement sur l’ordre suivi par Aulu-Gelle, qui mentionne cette loi après celle de Sylla (2, 24, 12), mais dans une sorte de parenthèse qui lui fait abandonner provisoirement l’ordre chronologique auquel il se conforme dans l’ensemble du chapitre, ce qui a échappé à Macrobe. D’autres sources permettent d’établir que cette loi remonte à 115 et que son initiative revient au consul de cette année-là, M. Aemilius Scaurus. 29À propos de la loi Licinia (NA, 2, 24, 7 ;Sat., 3, 17, 9) et de la loi Cornelia (NA, 2, 24, 11 ;Sat., 3, 17, 11). 30Sat3, 16, 14-16. .,
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d’austérité affichée par le prince31: Macrobe à cite, propos de la même loi Fannia, un extrait d’une lettre qu’il lui adressa, où il présente la loi en repre-nant la substance de ce discours32. À qui remonte cette liste ? Une remarque incidente de Pline l’Ancien à propos de la loi Fannia — l’un de ses articles « est passé ensuite de loi en loi »33— fait penser que lui aussi en a disposé qu’il ait eu sous les : soit yeux la série entière des lois (remarquons qu’il ne précise pas « somptuai-res », signe qu’il raisonne dans le cadre d’une collection déjà constituée par objet), soit qu’il ait simplement repris la remarque faite antérieurement par un précédent utilisateur de la liste, ou déjà par celui qui l’avait dressée. C’est le signe, en tout cas, qu’il a conscience de l’existence d’une catégorie spécifique de lois. Un indice essentiel sur l’origine de la liste se trouve chez Aulu-Gelle lui-même : au tout début du chapitre qu’il consacre aux lois somptuaires, après avoir annoncé son sujet, il écrit : « Je viens de lire dans lesConiectanead’Ateius Capito un sénatus-consulte ancien… » ; après en avoir rapporté le contenu, il entame l’exposé des lois successives : « Mais après ce sénatus-consulte fut por-tée la loi Fannia… » Le nom du grand juriste reparaît tout à la fin de cet exposé, qui s’est achevé sur la loi d’Auguste : « Ateius Capito dit qu’il y eut encore un édit, du divin Auguste ou de Tibère, je ne me souviens plus assez… » Un ensemble d’arguments conduit à penser que la série des lois elle-même provient de la même source34 . Le premier se tire de la comparaison avec les autres chapitres desNuits atti-quesportant sur des questions de droit35 observe que les manières de pro-. On céder d’Aulu-Gelle sont diverses, mais peuvent se ramener à trois types de démarches : tantôt il rassemble un nombre de sources assez élevé et effectue un travail de recomposition assez poussé36 il se fonde sur deux; plus souvent, sources seulement, mises sur le même plan et se confirmant m utuellement37, ou bien hiérarchisées, l’une servant de fil conducteur à l exposé — et c’est en général la source juridique —, l’autre — la source littéraire — servant à confirmer ou à contredire un détail de la première38 chapitre sur les. Notre lois somptuaires paraît relever de cette dernière catégorie : il est vraisemblable
31C’est ainsi que Macrobe le présente (Sat., 3, 16, 6). Le personnage et son œuvre sont très mal connus : cf., en dernier lieu, K.Sallmann,Nouvelle histoire de la littérature latine, vol. 4, 2000, § 484. 32Sat., 3, 17, 4. 33NH, 10, 139 :deinde caput translatum per omnes leges ambulauit.quod 34Ce que pensait déjà P. Jörs (RE, II, 2, 1895, s.v.Ateiusn° 7, 1905), suivi par F. P. Bremer, Iurisprudentiae antehadrianae quae supersunt, 2, 1, Leipzig, 1898, p. 285-286, et Hosius, l’éditeur desNoctes atticae (p. XXIX de l’édition de 1903).chez Teubner 35L’œuvre en comporte une vingtaine, concernant majoritairement le droit public. 361, 12 (sur la condition des Vestales) ; 3, 18 (sur les sénateurspedarii) ; 14, 8 (sur la prési-dence du sénat par le préfet des féries latines). 374, 10 (sur la procédure d’interrogation des sénateurs) ; 6, 15 (sur le vol) ; 11, 17 (sur le droit des édiles) ; 13, 12 (sur le droit des tribuns de la plèbe). 386, 4 (sur les ventes d’esclaves) ; 10, 20 (sur lalex) ; 14, 7 (sur la procédure sénatoriale).
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que la source principale, celle qui fournit la trame de l’exposé, est bien Ateius Capito, quoique son nom n’apparaisse que liminairement et en conclusion39. Le second argument tient à la place d’Ateius Capito, d’une manière géné-rale, parmi les sources d’information d’Aulu-Gelle en matière de droit public. Ses écrits constituent pour lui, avec ceux de Varron, la référence principale en la matière40de ses ouvrages et la plupart des titres et, significativement, les fragments qui nous en sont parvenus ont été transmis par Aulu-Gelle41qui le présente comme « extrêmement compétent en droit public et privé »42. Son œuvre comportait, outre un recueil deresponsa traités consacrés au droit, des sacré et d’autres portant sur le droit public, notamment le droit sénatorial et les procès publics. Ces derniers constituaient soit des écrits séparés, soit des livres de l’ouvrage auquel Aulu-Gelle dit avoir puisé pour son chapitre sur les lois somptuaires, lesConiectanea, terme qui signifie « mélange » et suggère la variété des matières présentées ; parmi elles peut-être, ses réflexions sur la nature de lalexfaut supposer à l’arrière-plan de la célèbre définition , qu’il qu’on lui doit43 qui a été transmise précisément par Aulu-Gelle., et Qu’Ateius Capito ait dressé la liste des lois somptuaires utilisée par Aulu-Gelle et Macrobe est donc une hypothèse raisonnable. Pour l’étayer, il faut élargir la perspective et envisager non plus seulement la dépendance d’Aulu-Gelle vis-à-vis de l’œuvre de Capito, mais le rôle joué par ce dernier dans le contexte politique augustéen et tibérien, ce qui devrait permettre de comprendre à quelle intention répondait la constitution de cette fameuse liste. Deux ouvrages récents ont fortement souligné l’implica-tion du grand juriste dans la vie politique de son temps, et les relations entre ses écrits et les réflexions tournant autour du droit public au moment où se construisent les bases juridiques, religieuses et idéologiques du Principat. Le premier, dû à R. A. Bauman, a rappelé sa collaboration étroite avec Auguste, notamment au moment des jeux séculaires et sans doute aussi comme conseil-ler pour la réforme augustéenne des procès publics et pour la législation de manière générale ; comme on le sait grâce à Tacite, le prince avait accéléré sa carrière pour rendre hommage à ses compétences qui l’avaient placé « au pre-mier rang de la cité »44 qu’a second, Fanizza, a écrit R. mis l’accent sur les. Le phases ultérieures de sa carrière, en particulier ses fonctions à la tête des tout
39R. Marache, dans son introduction à l’édition des Belles-Lettres (t. 1, 1967, p. XXXIX), souligne que, de façon générale, Aulu-Gelle tend à minimiser l’importance de sa source princi-pale et que tel ouvrage cité à propos d’un paragraphe se révèle la source de tout le chapitre. 40de la procédure sénatoriale, des droits des tribuns de la plèbeIl s’appuie sur lui à propos et des préteurs, de la définition de la loi, de la condition des Vestales. 41Cf. l’introduction de W. Strzelecki à son édition des fragments de Capito chez Teubner (1967, p. XXII-XXVI). 42NA, 10, 20, 2. 43Ibidem. 44R. A. Bauman,Lawyers and politics in the early Roman Empire, Munich, 1989, p. 27-35 ;Tac., Ann., 3, 75, 1-2. C’est le passage bien connu où est évoquée la réputation opposée des deux grands juristes du temps, Capito et Labeo.
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nouveaux services de gestion urbaine, dans les années 13-15 ; mais surtout, en exploitant des documents épigraphiques récents, il a attiré l’attention sur son rôle dans l’élaboration du sénatus-consulte de Larinum, qui visait à discipli-ner les conduites des élites, et dans le règlement du procès de Pison, où il dut intervenir comme spécialiste du droit criminel45. On pourrait se demander si, de la même façon et bien qu’aucune source ne l’atteste directement, Capito n’a pas joué un rôle dans les débats sur la répres-sion du luxe qui, dans la même période, agitent les milieux sénatoriaux et impliquent Tibère. Le premier débat a lieu en 16, à l’initiative de deux séna-teurs, un consulaire, Q. Haterius, et un prétorien, Octavius Fronto, qui propo-sent d’interdire certains objets et vêtements précieux ou d’en limiter l’usage ; l’intervention d’Asinius Gallus fait rejeter ces propositions, avec l’assentiment de Tibère qui exprime sa réticence à intervenir dans ce domaine46 se trouve. Il que Fronto fera partie, trois ans plus tard, du groupe de sénateurs participant, avec Capito, à la rédaction du sénatus-consulte de Larinum : il se pourrait que les deux hommes soient rapprochés par un commun intérêt pour les questions ayant trait aux conduites aristocratiques, ce qui irait dans le sens d’une impli-cation de Capito dans ces débats. Le second débat, sur lequel Tacite s’attarde longuement47et qui lui donne l’occasion, dans un excursus bien connu, de faire retour sur l’évolution, de la République jusqu’à la disparition des Julio-Claudiens, du luxe de la table — la forme de luxe que combattaient spécifiquement les lois somptuaires dont la liste nous occupe —, se place en 22. Il est lancé, peut-être sur incitation des consuls, car l’un d’eux est D. Haterius, le fils du consulaire homonyme de 16, par les édiles, qui dénoncent le mépris dans lequel est tenue la loi somptuaire (d’Auguste). Les sénateurs, divisés ou prudents, renvoient l’affaire à Tibère qui, après longue réflexion, leur adresse une lettre — manière de clore le débat — dans laquelle, contrairement à ce que beaucoup craignaient, il annonce qu’il refuse de légiférer en la matière et s’en justifie. Or, les arguments qu’il déve-loppe sont intéressants à un double titre : certains d’entre eux se retrouvent fidèlement dans les commentaires dont Macr obe, et à un moindre degré Aulu-Gelle, ponctuent leur énoncé de la succession des lois somptuaires, ce qui laisse penser qu’ils figuraient déjà dans la liste qu’ils ont utilisée et pourraient remon-ter eux aussi à Ateius Capito ; d’autre part, ces arguments marquent une rup-ture avec la réflexion antérieure sur les lois morales, dont font partie les lois somptuaires, ce qui là aussi fait songer à un rôle possible de Capito dans l’ana-lyse, sur un plan général, des rapports entre loi et mœurs. Reprenons d’abord l’argumentation avancée par Tibère. Il commence par affirmer l’impuissance de la loi à combattre des vices devenus trop puissants : « Si les édiles… avaient conféré avec moi auparavant, peut-être leur aurais-je conseillé de fermer les yeux sur des vices puissants et en pleine vigueur plutôt
45L. Fanizza, TraianoSenato e società politica tra Augusto e, Rome-Bari, 2001, p. 65-84. 46Tac.,Ann., 2, 33. 47 Ann., 3, 52-55.
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que d’arriver seulement à rendre évidente notre impuissance devant ces hon-teuses pratiques. » Et il énumère la variété des formes prises par le luxe et l’am-pleur qu’elles ont atteinte, évoquant les troubles que provoquerait une répres-sion à la hauteur du mal. Puis il rappelle la multiplicité des lois antérieures et le mépris dont elles ont été l’objet : « Tant de lois imaginées par nos ancêtres, tant d’autres, que fit voter le divin Auguste, abolies, les premières par l’oubli, les autres, ce qui est plus honteux encore, par le mépris, ont rendu le luxe sans ris-que. » Imputant ce changement des conduites à l’accroissement de la puissance de Rome aux dimensions d’un empire, il insiste sur les risques, bien plus gra-ves à ses yeux, que comporte cette nouvelle situation pour la survie de l’Italie et sur les devoirs, autrement cruciaux que la répression du luxe, que lui impose sa fonction de prince. On voit que le cœur de sa démonstration est constitué par l’idée de la disproportion entre l’ampleur du mal que constitue le luxe et la faiblesse avérée du remède que constituent les lois somptuaires. Or cette idée est le fil conducteur du chapitre que Macrobe leur consacre. Revenons donc sur ce texte, pour interroger cette fois non l’énumération des lois, mais les commentaires qui l’accompagnent. D’emblée, le préambule met en relation le degré de raffinement atteint par le luxe de la table et le grand nombre des lois48: « Il serait trop long pour moi d’énumérer tous les raffinements du palais nés de l’imagination ou perfectionnés par l’étude, chez les anciens Romains ; et ce furent là assurément les raisons pour lesquelles tant de lois furent proposées au peuple sur les dépenses de la table. » Puis, à pro-pos de plusieurs d’entre elles, est exprimée l’idée que leur origine réside dans l’inefficacité de celle qui la précède : à la loi Orchia succède la loi Fannia car « une nécessité accrue exigeait l’autorité d’une nouvelle loi » ; puis la loi Didia, parce que « l’Italie tout entière, et non seulement Rome, devait être soumise à une loi somptuaire » ; à celle-ci succède la loi Licinia, proposée parce qu’« on cherchait l’autorité d’une nouvelle loi, la crainte qu’inspirait l’ancienne s’effaçant » ; la loi Antia, enfin, « était excellente, mais la persévé-rance du luxe et l’inébranlable conspiration des vices lui ôtèrent toute effica-cité »49 de évitait de dîner hor s auteur lui-même la savait bafouée, qui: son chez lui pour ne pas avoir à le constater. La signification de ce détail est claire : comme l’exposait Tibère dans sa lettre, la lutte est devenue inégale entre le pouvoir de la loi et celui du phénomène qu’elle prétend combattre. Pourtant Macrobe n’explicite pas l’idée : il interrompt l’énumération des lois et men-tionne seulement un édit d’Antoine, dont il ne précise pas le contenu, mais qui lui sert à introduire la pittoresque anecdote, longuement développée, de la perle que Cléopâtre fit dissoudre dans du vinaigre. Rapportée aussi par Pline l’Ancien50 qui Macrobe l’a manifestement empruntée, elle introduit, à
483, 17, 1 :quot instrumenta gulae… tot numero leges de cenis et sumptibus. 49Loi Fannia :cum auctoritatem nouae legis aucta necessitas imploraret :(3) ; loi Liciniain ea ferenda quaesita est nouae legis auctor itas, exolescente metu legis antiquioris(8) ; loi Antia :quamuis esset optima, obstinatio tamen luxuriae et uitiorum firma concordia… ir ritam fecit(13). Traduction C. Guittard, CUF, 1997. 50NH, 9, 119-121.
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