L’assurance sociale maladie dans les pays en développement : un défi permanent Guy Carrin Organisation mondiale de la Santé Cet article traite la question de la faisabilité de l’assurance « sociale » maladie (ASM) dans les pays en développement. L’ASM a pour objet de protéger tous les groupes de la population contre les risques financiers dus à la maladie. Sa mise en oeuvre entraîne néanmoins des difficultés substantielles en raison de l’absence de débat et de consensus quant à l’étendue de la solidarité financière, de problèmes concernant la fourniture des services de santé, et de l’insuffisance des capacités d’encadrement. La transition vers la couverture universelle risque de prendre de longues années, mais ce processus peut être accéléré. L’adoption d’une approche « familiale » de la protection financière, un soutien financier soutenu des pouvoirs publics et des donateurs, et un développement déconcentré de l’ASM permettraient de gagner plusieurs années sur le temps nécessaire à la réalisation d’une protection universelle totale contre les dépenses de soins de santé. Les dépenses de soins de santé ont considérablement augmenté, passant de 3 pour cent du produit intérieur brut mondial (PIB) en 1948 à 7,9 pour cent en 1997 ; mais cette augmentation ne s’est en aucun cas accompagnée d’une amélioration aussi considérable de la 1couverture universelle. La rareté des ressources économiques, la modestie de la croissance économique, les ...
Lassurance sociale maladiedans les paysen développement :un défi permanentGuy CarrinOrganisation mondiale de la SantéCet article traite la question de la faisabilité de lassurance « sociale »maladie (ASM) dans les pays en développement. LASM a pour objetde protéger tous les groupes de la population contre les risques financiersdus à la maladie. Sa mise en oeuvre entraîne néanmoins des difficultéssubstantielles en raison de labsence de débat et de consensus quant àlétendue de la solidarité financière, de problèmes concernant la fournituredes services de santé, et de linsuffisance des capacités dencadrement. Latransition vers la couverture universelle risque de prendre de longuesannées, mais ce processus peut être accéléré. Ladoption dune approche« familiale » de la protection financière, un soutien financier soutenu despouvoirs publics et des donateurs, et un développement déconcentré delASM permettraient de gagner plusieurs années sur le temps nécessaire àla réalisation dune protection universelle totale contre les dépenses desoins de santé.Les dépenses de soins de santé ont considérablement augmenté,passant de 3 pour cent du produit intérieur brut mondial (PIB) en1948 à 7,9 pour cent en 1997 ; mais cette augmentation ne sest enaucun cas accompagnée dune amélioration aussi considérable de lacouverture universelle.1 La rareté des ressources économiques, lamodestie de la croissance économique, les contraintes pesant sur lesecteur public et la faiblesse des capacités institutionnelles expli-quent pourquoi la mise en place de systèmes appropriés de finance-ment de la santé dans les pays en développement à bas revenusreste une tâche ardue et suscite dimportants débats.2
1 OMS :Rapport sur la santé dans le monde, 2000 - Pour un système de santé plusperformant. Genève, Organisation mondiale de la Santé.2 Les pays en développement à faibles revenus sont définis comme ceux ayant un produitnational brut égal ou inférieur à 760 USD par habitant.
Lassurance sociale maladie dans les pays en développement : un défi permanentLune des premières réponses à la pénurie de fonds publics asouvent été de créer des régimes basés sur une participation desassurés. De nombreuses études ont toutefois mis en garde lesdécideurs sur les effets négatifs que les régimes basés sur uneparticipation des assurés pouvaient avoir sur lutilisation des soins,3en particulier chez les plus pauvres.4 Si le renforcement de léquitéreste un objectif fondamental de la politique de la santé, uneparticipation accrue des pouvoirs publics est nécessaire pour lefinancement et lorganisation des soins de santé. Un progrèsimportant consisterait à mettre sur pied des systèmes de santé quisoient financés par limpôt et/ou des cotisations dassurancemaladie, et qui regroupent les risques. Ces mécanismes definancement de la santé séparent lutilisation du paiement direct etpeuvent ainsi assurer laccès aux soins de santé, même pour lesgroupes les plus vulnérables.Le financement de la santé par limpôt ne sera pas facile, enparticulier dans les pays en développement à faibles revenus, enraison dune assiette fiscale réduite et de la faiblesse des capacitésorganisationnelles pour recouvrer limpôt ou éviter une évasionfiscale à grande échelle. Lassurance maladie, quelle soit organisée àléchelon national, sur une base volontaire ou à un niveaucommunautaire, nest pas non plus un système exempt deproblèmes. Mais cela nempêche pas les régimes dassurancemaladie de susciter actuellement un vif intérêt. Lune descaractéristiques importantes de ces régimes est de ne pas fairereposer la totalité de la charge du financement sur les pouvoirspublics, mais de répartir le coût total des dépenses de soins desanté des assurés sur plusieurs partenaires. Cela peut en partieexpliquer pourquoi les décideurs publics semblentaujourdhuiporter un intérêt accru à lassurance maladie. Ainsi, les institutionsfinancières internationales et les donateurs considèrent de plus enplus lassurance maladie comme lun des mécanismes viables definancement de la santé quils approuvent, et cela de façon plusexplicite quil y a dix ans.Dans cet article, nous traiterons spécifiquement la question dela faisabilité de lassurance « sociale » maladie dans les pays endéveloppement, dont lobjectif de base est de sétendre à tous lesgroupes de la population. Nous aborderons dabord le conceptdassurance sociale maladie, puis nous analyserons les questions demise en oeuvre, principalement sur la base de lexpérience asiatique,mais pas exclusivement. Nous examinerons aussi plusieurs facteursfaisant obstacle à une évolution régulière vers un régimedassurance sociale maladie pleinement développé. Avant deconclure, nous nous demanderons sil existe une voie rapide vers lacouverture universelle, ou tout au moins plus rapide que celleenvisagée. Cette question est particulièrement pertinente pour lespays en développement à faibles revenus, pour lesquels sont
Lassurance sociale maladie dans les pays en développement : un défi permanentprévues de longues périodes de transition vers la couvertureuniverselle. Les observations finales figurent dans la dernière partie.Lassurance sociale maladie :du concept à la mise en oeuvreLe conceptLassurance sociale maladie (ASM) regroupe dune part les risquesde santé de ses affiliés, dautre part les cotisations des entreprises,des ménages et des pouvoirs publics. Les cotisations des ménages etdes entreprises sont en général basées sur les revenus, tandis queles cotisations des pouvoirs publics sont principalement financéespar limpôt. Lassurance sociale maladie répond à lobjectif de lacouverture universelle en donnant accès à un ensemble de servicessanitaires de base à toute la population, indépendamment durevenu ou du statut social. LASM se distingue donc clairement desrégimes basés sur la participation aux frais ou le paiement directpar lusager, où ce dernier assume seul le coût de ses soinsmédicaux. LASM partage avec le système de financement de lasanté par limpôt la caractéristique de regrouper les risques et lescotisations. Il existe une différence importante : dans la méthode definancement par limpôt, les gens cotisent mais seulement de façonindirecte à travers limpôt. Cest pourquoi on dit aussi que lASMest une assuranceexplicitecar les gens ont directementconscience, à travers leurs cotisations, dêtre affiliés à lassurance.Dans la méthode par limpôt, lassurance peut être qualifiédimplicite.5En principe, lASM suppose une affiliation obligatoire. De lasorte, elle sécarte des pièges de lassurance maladie sur la basedune libre adhésion. Dabord, elle évite que certains groupes de lapopulation, comme les plus pauvres et les plus vulnérables, nesoient exclus du système. Dans un régime volontaire, il peut y avoirexclusion en raison du manque dintérêt politique à inclure les grou-pes vulnérables. Lexclusion peut aussi résulter du fait que les pluspauvres sont tout simplement dépourvus de la capacité ou de lavolonté de payer les cotisations dassurance maladie proposées.Ensuite, de par sa nature, lassurance obligatoire interdit la sélection adverse ». Celle-ci se produit dans un cadre volontaire«quand des gens en bonne santé considèrent que les cotisationsdassurance maladie sont trop chères et choisissent de ne passassurer. Lassurance volontaire peut de ce fait se retrouversurchargée dassurés présentant des risques sanitaires moyens ouélevés. La sélection adverse et son impact sur les dépenses et lescotisations dassurance maladie peuvent même provoquer ladisparition de lassurance volontaire : en raison des mauvaisrisques, les niveaux de cotisation peuvent tellement augmenter que