Modernisme et déshumanisation de la linguistique - article ; n°15 ; vol.4, pg 85-98
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Description

Langages - Année 1969 - Volume 4 - Numéro 15 - Pages 85-98
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1969
Nombre de lectures 38
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Vasilij Inavnovitch Abaev
Modernisme et déshumanisation de la linguistique
In: Langages, 4e année, n°15, 1969. pp. 85-98.
Citer ce document / Cite this document :
Abaev Vasilij Inavnovitch. Modernisme et déshumanisation de la linguistique. In: Langages, 4e année, n°15, 1969. pp. 85-98.
doi : 10.3406/lgge.1969.2520
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1969_num_4_15_2520V. I. ABAEV (MOSCOU)
MODERNISME ET DÉSHUMANISATION
DE LA LINGUISTIQUE *
Dans l'histoire de notre science on peut aisément distinguer trois
périodes : 1° des années 20 à la discussion de 1950, 2° de la discussion
de 1950 à la liquidation du culte de la personnalité, 3° la période actuelle.
Qu'est-ce qui caractérise chacune de ces trois périodes?
Quelle que soit l'appréciation que l'on peut donner sur la première,
celle du marrisme, une chose est certaine : elle fut engendrée par notre
réalité révolutionnaire. La Nouvelle Théorie de Marr fut une tentative
— même si elle a été incomplète et malheureuse — pour répondre, dans
son domaine aux exigences de l'époque. Elle s'est inspirée d'une idée
fondamentalement juste : un pays révolutionnaire doit avoir des sciences
révolutionnaires. Son antiracisme vigoureux, l'attention extrême qu'elle
portait non seulement aux langues importantes, aux langues de civil
isation, mais également aux petites langues, aux langues infimes, non
écrites, jamais étudiées, ses efforts pour les élaborer et les inclure dans le
courant général de la vie culturelle soviétique, — tout ceci correspondait
pleinement à la conception philosophique générale de la révolution et a
contribué pour beaucoup à populariser la Nouvelle Théorie. Celle-ci n'au
rait pas existé si son créateur n'avait pas été emporté par l'élan de la
révolution. L'esprit combattif et l'exaltation des transformations de
l'époque soviétique ont inspiré l'activité de Marr dès les premiers jours
de la révolution. Il était mû par la conviction que la nouvelle opinion
publique qui se créait en Russie exigerait qu'un nouveau contenu fût
coulé dans toutes les sciences sociales, y compris en linguistique. C'est
à cette œuvre qu'il se donna avec toute l'énergie et le tempérament
qui lui étaient propres.
Malheureusement la réalisation d'idées fondamentalement justes
s'avéra des moins satisfaisantes. Influèrent et le manque de préparation
1. Extrait de Questions de linguistique, 1965, n° 3. La rédaction des V. Ja. avait
accompagné cet article d'une note indiquant que certaines questions ici traitées sor
taient du cadre de la linguistique mais que comme elles faisaient un tout avec la concep
tion générale de l'auteur, elle n'avait pas voulu les exclure de l'article. Pour des raisons
de longueur, quelques coupures ont été faites ici. Elles ne modifient en rien le sens de
l'article. (N. du Tr.) 86
philosophique et également l'absence d'une véritable école linguistique.
(Marr était plus un philologue qu'un linguiste). Le résultat fut une inter
prétation simplifiée, caractérisée par un sociologisme vulgaire, des phéno
mènes et des processus complexes de l'évolution linguistique. Des thèses
comme celles du caractère de superstructure de la langue, de son caractère
de classe, de l'unité du processus de formation des langues, de l'évolution
par stades furent affirmées sans argumentation sérieuse.
Je ne parlerai pas, non plus, de cet aspect honteux de la période
« marriste », caractérisé par l'emploi de méthodes inadmissibles en science
et qui visaient, par des méthodes organisationnelles, administratives, à
imposer les idées « approuvées » et à écraser ceux qui pensaient autre
ment. Cette honte, hélas, s'est répétée — mutatis mutandis — pendant
la période suivante, la période stalinienne.
La discussion de 1950 a mis à nu les erreurs, entachées de matéria
lisme vulgaire, de Marr, et l'intervention de Staline a mis fin aux préten
tions des « marristes » d'exercer leur monopole. Cela fut fort bien. Mais
ce qui fut mal c'est que — comme l'ont montré les années qui suivirent —
les adversaires de Marr n'avaient aucune conception linguistique, une,
totale, qui aurait pu devenir la base de la linguistique théorique sovié
tique. Ceux qui croyaient que la linguistique soviétique allait enfin
montrer son vrai visage devaient être déçus. Dans les premiers temps,
le contenu des articles théoriques de se ramena pratique
ment à la citation et au commentaire, sur tous les modes, de l'ouvrage
de Staline Le Marxisme et les problèmes de la linguistique. Certains se
lancèrent dans cette tâche avec délice, cédant à une graphomanie pleine
d'abnégation. Ceci ne représentait, sur le fond, aucun pas en avant, mais
une nouvelle stagnation de la pensée théorique. Dans les jugements de
Staline, il y avait beaucoup de choses justes; toutefois ces choses justes
ne provenaient nullement des profondeurs de la théorie marxiste 2, mais
étaient dictées par un élémentaire bon sens 3. Le bon sens est bien entendu
utile quand il s'agit de se débrouiller dans des situations simples. Mais
il est insuffisant pour résoudre les grands problèmes théoriques; ce qu'il
faut alors, au premier chef, c'est une connaissance profonde de la matière
dont on juge. Bien sûr, Staline ne possédait pas cette connaissance. Voilà
pourquoi des propositions aussi incontestables, semble-t-il, que La Langue
n'est pas une superstructure, La Langue n'a pas de' caractère de classe,
lorsqu'on les confronte avec toute la complexité, toutes les contradictions
de la réalité linguistique, s'avèrent aussi simplificatrices, aussi unilatér
ales, que leurs contraires. Les jugements de Staline ne tiennent pas
compte des aspects multiples du langage et c'est pourquoi ils sont abso
lument non dialectiques.
Il serait bien sûr inexact de ramener l'histoire de la linguistique
soviétique aux monstruosités de l'époque marriste, puis de l'époque sta
linienne. J'ai déjà eu l'occasion de noter 4 qu'il y avait eu certaines idées
2. Il est caractéristique que Staline n'ait même pas fait allusion aux réflexions
remarquables de Marx et d'Engels, relatives à la langue et contenus dans L'Idéologie
allemande.
3. Je citerai seulement son raisonnement : « Cent ans se sont écoulés depuis la
mort de Pouchkine... »
4. Dans le recueil 0 sootnoSenii sinxronnogo analiza i istoriôeskogo izuôenija jazykoo,
(Des rapports entre l'analyse synchronique et l'étude historique des langues) M., 1960. 87
constantes que la majorité des linguistes soviétiques avaient partagé
indépendamment de Marr et de Staline. C'était la conception que la
linguistique est l'une des sciences sociales, étroitement liée aux autres;
c'était l'idée que l'évolution de la langue est inséparable de celle de la
société; la reconnaissance du fait que la méthode historique est la plus
importante pour connaître les phénomènes linguistiques. Malheureuse
ment, ces idées saines n'ont pu être exposées et argumentées librement
car elles durent être accommodées aux « thèses » tant de la période mar-
riste que de la période stalinienne. Nous avons perdu dans une grande
mesure l'habitude de penser sans « thèses ». C'est pourquoi, lorsque avec
la liquidation du culte de Staline, l'élaboration de « la théorie stalinienne
du langage » est devenue sans objet, il s'est créé dans la linguistique théo
rique soviétique un vide. Dans le même temps, l'élargissement des rela
tions culturelles internationales et l'échange des idées (fait qui est en lui-
même des plus positifs) ont eu la conséquence suivante : dans ce vide
se sont engouffrées les théories à la mode, d'origine étrangère, que nous
réunirons sous le nom de modernisme linguistique.
qu'est-ce que le modernisme ?
Le modernisme comme on le sait n'est pas particulièrement propre
à la linguistique. Il embrasse tous les domaines de la culture à commencer
par la philosophie « à la mode » pour

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