Noms propres et mains sales. De l inscription des luttes sociales dans les praxèmes en nomination individuelle - article ; n°93 ; vol.24, pg 64-83
21 pages
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Noms propres et mains sales. De l'inscription des luttes sociales dans les praxèmes en nomination individuelle - article ; n°93 ; vol.24, pg 64-83

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Description

Langages - Année 1989 - Volume 24 - Numéro 93 - Pages 64-83
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1989
Nombre de lectures 97
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

M. Paul Siblot
Noms propres et mains sales. De l'inscription des luttes sociales
dans les praxèmes en nomination individuelle
In: Langages, 24e année, n°93, 1989. pp. 64-83.
Citer ce document / Cite this document :
Siblot Paul. Noms propres et mains sales. De l'inscription des luttes sociales dans les praxèmes en nomination individuelle. In:
Langages, 24e année, n°93, 1989. pp. 64-83.
doi : 10.3406/lgge.1989.1538
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1989_num_24_93_1538Paul SlBLOT
Université Paul Valéry
Montpellier III
Groupe de Recherche en Linguistique Praxématique
NOMS PROPRES ET MAINS SALES
De l'inscription des luttes sociales
dans les praxèmes en nomination individuelle
0.1. L'examen des noms propres est traditionnellement dévolu à l'onomast
ique, comprise comme une branche de la lexicologie ayant pour tâche
d'expliquer l'étymologie et les motivations des désignations individuelles. Le
Cratyle déjà avait fait de cette quête des origines celle, essentielle, d'une vérité
première qui continue de fasciner l'étymologie populaire. C'est en réaction
contre les errements de celle-ci qu'anthroponymie et toponymie se sont appli
quées à fonder de manière objective et à reconstruire selon des règles sûres des
filiations historiques rationnelles. Pourtant, en dépit de la masse considérable
des données factuelles accumulées, l'onomastique est soumise à .de dures
critiques. Non seulement elle pécherait par l'archaïsme de méthodes positivistes
demeurées en marge des évolutions de la réflexion linguistique contemporaine,
mais elle aurait de surcroît le tort grave de méconnaître son propre objet
théorique. De sorte qu'il faudrait tenir le nom propre pour « le parent pauvre de
la linguistique » (Molino, 1982).
Le jugement paraît sévère. Le déshérité, en fait, n'est pas si mal doté puisque
toute étude approfondie sur le sujet livre une bibliographie de plus de 300 titres.
Ethnologues, anthropologues, sociologues, psychanalystes, philosophes du
langage, lui accordent une attention renouvelée ; les linguistes également comme
l'attestent des études récentes importantes (cf. G. Kleiber, 1981). Faut-il s'en
étonner ? Dans l'identification des individus, les uns reconnaissent la marque de
stratifications et de structurations sociales, d'autres y repèrent l'individuation
ou les investissements fantasmatiques du sujet. Quant aux linguistes, ils y
retrouvent quelques-unes des interrogations fondamentales sur le langage dans
un cas qui semble de prime d'abord particulièrement propice à l'analyse de la
nomination.
0.2. La caractéristique définitoire du nom propre est en effet de désigner un
élément du réel, saisi comme unique, par un terme linguistique lui-même tenu
pour singulier. Le nom propre est ainsi la réalisation limitée, accidentelle, de ce
qui serait un langage entièrement constitué d'hapax : un langage où tout
événement du monde serait perçu dans son unicité et dénommé par un item
propre. Vertigineuse utopie qui rendrait la communication impossible, mais
64 dont le nom propre constitue une occurrence qui présente l'originalité de mettre
le linguistique en relation avec son réfèrent sous les espèces d'une remarquable
biunivocité : l'idéale corrélation entre un Sa et son Se. Telle est l'acception
courante autour de laquelle s'établit un consensus repérable aussi bien dans les
dictionnaires de langue que dans ceux de linguistique ou dans les grammaires de
référence. Quelques citations suffisent à pointer la convergence. Pour le lexico
graphe, le nom propre est un nom « qui ne peut s'appliquer qu'à un seul être, à
un seul sujet, ou à une catégorie d'êtres ou d'objets » (Lexis, 1975), « qui
appartient de manière exclusive ou particulière à une personne, une chose ou un
groupe » (Le Robert, 1977). Pour le grammairien, « le nom propre est celui qui ne
peut s'appliquer qu'à un seul être ou objet ou à une catégorie d'êtres ou d'objets
pris en particulier ; il individualise l'être, l'objet ou la catégorie qu'il désigne»
(M. Grévisse, 1964, p. 167). Pour le linguiste enfin, « on appelle nom propre une
sous-catégorie des noms formée de termes qui, sémantiquement, se réfèrent à un
objet extralinguistique, spécifique et unique, distingué par sa dénomination des
objets de même espèce » (J. Dubois, 1973). A condition d'accepter de suspendre
l'extension problématique du nom propre à des « catégories d'êtres » (les
Espagnols), on voit se dégager une définition unanimement acceptée qui peut
être formulée de la sorte :
« Ce qu'on entend ordinairement par nom propre est une marque convent
ionnelle d'identification sociale telle qu'elle puisse dégager constamment et
de manière unique un individu unique » (E. Benveniste, 1974, p. 200).
Or cette acception communément admise semble avoir pour corrélat logique
l'absence de sens du nom propre, lequel « n'a pas d'autre signifié que le nom —
l'appellation — lui-même » (J. Dubois, 1973). Cette position a été exprimée avec
le plus de force par J. Stuart Mill pour qui le nom dénote mais ne « connote »
pas. Ce que Gardiner précise ainsi :
« Un nom propre est un mot ou un groupe de mots dont on reconnaît qu'ils
ont l'identification pour but spécifique, et qui atteignent, ou tendent à
atteindre ce but au seul moyen de leurs sonorités distinctives, sans tenir
compte du sens qui a pu être possédé primitivement par ces sonorités, ou a
pu être acquis par elles du fait de leur association avec l'objet ou les objets
identifiés » (1940).
Ce point de vue est, à quelques nuances près, celui qu'adoptent B. Russel,
L. Bloomfield, V. Brondal, K. Togeby, J. Lyons. Mais cette compréhension du
nom n'est pas la seule et d'autres ont soutenu la position selon laquelle les noms
propres ont un sens, « faible » ou « fort » selon les cas : des linguistes
(E. Buyssens), des grammairiens (A. Dauzat, O. Jespersen), des logiciens (G.
Frege, B. Russel de nouveau, S. Kripke), des pragmaticiens (J. R. Searle, P. F.
Strawson). Reste que l'idée de l'absence de sens dans les noms propres demeure
prévalente pour l'opinion commune et se trouve corroborée par des constats
immédiats : les dictionnaires de langue ne retiennent pas les noms propres (sauf
65 par antonomase), ceux-ci ne sont pas traduits et une question telle que,
« Qu'est-ce qu'un Michel ? », paraît vide de sens. Notre sentiment linguistique
surtout nous conforte dans une telle vision car l'usage n'actualise plus « fabri-
ca » (la forge) dans Fabrègues, ni « Ker-perenn » (maison aux poiriers) dans
Kerberennès, pas plus que « bou ma' za » (l'homme à la chèvre) dans Boumaza
ou « Yohanân » (Dieu a fait grâce) dans Jean :
« Qui donc pense encore à une fleur ou à une perle devant une femme nommée
Rose ou Marguerite, ou bien à la noirceur d'un Maure, à la Renaissance ou au
chiffre huit devant un Maurice, un René ou un Octave ? » (Cl. Lévi-Strauss,
1973).
Aussi est-ce avec la force de l'évidence que s'impose le consensus autour de
la vacuité sémantique des noms propres.
0.3. G. Kleiber a pu montrer, en s'inscrivant dans la logique même des
théoriciens de la non-signifiance du nom propre, comment ceux-ci se trouvaient
enfermés dans d'insolubles contradictions. Nous nous proposons de présenter
une critique parallèle en nous plaçant toutefois dans une tout autre perspective.
L'analyse de discours n'a pas prêté d'attention particulière au nom propre, au
plan théorique du moins, car une lecture attentive révèle qu'en fait les analyses
textuelles prennent en considération les sens réalisés en discours par celui-ci. Des
études littéraires également ont repéré avec pertinence l'importance de la
signification du nom propre dans l'économie du roman (Ch. Grivel, 1973).
Certaines en ont même fait le motif principal de l'écriture romanesque :
« L'événement (poétique) qui a lancé La Recherche, c'est la découverte des
Noms. /.../ (Le Nom Propre) e

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