Occulta cordis. Contrôle de soi et confession au Moyen Âge (II) - article ; n°30 ; vol.15, pg 117-137
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Description

Médiévales - Année 1996 - Volume 15 - Numéro 30 - Pages 117-137
Occulta cordis. Self-control and Confession in the Middle Ages - Two forms of silence existed in the Middle Ages : the silence of monastic asceticism and that of aristocratic prudence. This dual silence concealed the most intimate secrets of the heart, intended for the scrutinatio of God alone. A resulting parallel art of self-control, hindering all spontaneous communication, corresponded to the hermeneutics of the « exterior man ». This elementary structure of social behaviour was rendered more complex by the pressure of another religious imperative : the duty of self-examination and of confession to God to perfect sincerity. The historical turning point came with the institution of obligatory auricular confession by the Fourth Lateran Council (1215), stressing not so much introspection as avowal, as disclosure of the occulta cordis, on which depended eternal fate. Stemming from the search for hidden sins of thought was the logical corollary to confession, the Inquisition, which, like God's central gaze, was intended to pierce the secrets of the heart. Absolute transparency, which had been the exclusive prerogative of God, became the main purpose of this institution both sacred and potilical, which claimed to be God's representative on earth.
Au Moyen Âge, il existait deux formes de silence, celle de l'ascèse monastique et celle de la prudence aristocratique. Derrière ce double silence se cache le secret individuel du cœur, réservé à la seule scrutinatio de Dieu. À l'herméneutique de « l'homme extérieur » répondait un art parallèle du contrôle de soi empêchant toute spontanéité communicative. Cette structure élémentaire du comportement social se complique sous la pression d'un autre impératif religieux : le devoir de s'examiner soi-même et de se confesser à Dieu en parfaite sincérité. Le tournant historique du concile de Latran IV (1215), instituant la confession auriculaire obligatoire, mit l'accent sur l'aveu, sur la révélation des occulta cordis, dont dépendait le salut éternel. La recherche des péchés clandestins de la pensée induisait, comme corollaire logique à la confession, l'Inquisition qui, à l'image du regard central de Dieu, se proposait d'ouvrir de force les secrets du cœur. La transparence absolue, autrefois privilège exclusif de Dieu, devint le but de cette institution à la fois sacrée et politique, qui se disait son représentant sur terre.
21 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1996
Nombre de lectures 32
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Monsieur Peter Von Moos
Occulta cordis. Contrôle de soi et confession au Moyen Âge (II)
In: Médiévales, N°30, 1996. pp. 117-137.
Citer ce document / Cite this document :
Von Moos Peter. Occulta cordis. Contrôle de soi et confession au Moyen Âge (II). In: Médiévales, N°30, 1996. pp. 117-137.
doi : 10.3406/medi.1996.1358
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/medi_0751-2708_1996_num_15_30_1358Abstract
Occulta cordis. Self-control and Confession in the Middle Ages - Two forms of silence existed in the
Middle Ages : the silence of monastic asceticism and that of aristocratic prudence. This dual silence
concealed the most intimate secrets of the heart, intended for the scrutinatio of God alone. A resulting
parallel art of self-control, hindering all spontaneous communication, corresponded to the hermeneutics
of the « exterior man ». This elementary structure of social behaviour was rendered more complex by
the pressure of another religious imperative : the duty of self-examination and of confession to God to
perfect sincerity. The historical turning point came with the institution of obligatory auricular confession
by the Fourth Lateran Council (1215), stressing not so much introspection as avowal, as disclosure of
the occulta cordis, on which depended eternal fate. Stemming from the search for hidden sins of
thought was the logical corollary to confession, the Inquisition, which, like God's central gaze, was
intended to pierce the secrets of the heart. Absolute transparency, which had been the exclusive
prerogative of God, became the main purpose of this institution both sacred and potilical, which claimed
to be God's representative on earth.
Résumé
Au Moyen Âge, il existait deux formes de silence, celle de l'ascèse monastique et celle de la prudence
aristocratique. Derrière ce double silence se cache le secret individuel du cœur, réservé à la seule
scrutinatio de Dieu. À l'herméneutique de « l'homme extérieur » répondait un art parallèle du contrôle de
soi empêchant toute spontanéité communicative. Cette structure élémentaire du comportement social
se complique sous la pression d'un autre impératif religieux : le devoir de s'examiner soi-même et de se
confesser à Dieu en parfaite sincérité. Le tournant historique du concile de Latran IV (1215), instituant la
confession auriculaire obligatoire, mit l'accent sur l'aveu, sur la révélation des occulta cordis, dont
dépendait le salut éternel. La recherche des péchés clandestins de la pensée induisait, comme
corollaire logique à la confession, l'Inquisition qui, à l'image du regard central de Dieu, se proposait
d'ouvrir de force les secrets du cœur. La transparence absolue, autrefois privilège exclusif de Dieu,
devint le but de cette institution à la fois sacrée et politique, qui se disait son représentant sur terre.Médiévales 30, printemps 19%, pp. 117-137
Peter VON MOOS
OCCULTA CORDIS. CONTROLE DE SOI
ET CONFESSION AU MOYEN ÂGE
(suite)*
H. Formes de la confession
Le concept des occulta cordis - l'invisibilité du Moi intérieur
comme donnée ou comme exigence - constituait, au Moyen Âge, un
modèle de comportement qui prônait avant tout le silence et le contrôle
de soi. Comment le mettre en rapport avec un autre idéal, apparemment
contraire, celui de la confessio, de l'expression radicalement sincère des
propres expériences subjectives ? On peut d'abord constater que les
deux visions ont au moins un point commun : le « secret du cœur » y
est négativement connoté. Ce qu'il faut, soit garder pour soi, soit confess
er, ce sont les faiblesses, souffrances et péchés intimes ; et puisqu'il
n'y a que Dieu pour les voir, pour entendre les paroles de plainte ou
d'aveu, la dissimulation devant les hommes et la franchise devant Dieu
font bon ménage. Beaucoup de récits historiques, hagiographiques et
autobiographiques du Moyen Âge, en particulier quand ils traitent du
deuil des défunts, montrent un modèle de comportement que saint
Augustin, le premier, a décrit de façon exemplaire en évoquant ses
sentiments après la mort de sa mère (Confessions, IX, 12). Ce modèle
consiste dans un mouvement allant d'une radicale maîtrise de soi en
public à l'effusion sans réserve des sentiments dans la solitude :
J'adoucissais une torture que vous connaissez, mais qu'eux ne soupçonn
aient pas : ... ils s'imaginaient que je n'avais pas de chagrin. Mais moi,
près de votre oreille, là où nul d'entre eux ne pouvait entendre, je gour-
mandais mon cœur d'être si faible, j'essayais de contenir le flot de ma
douleur, je réussissais à le refouler peu à peu ; mais il reprenait son élan
sans que cela allât toutefois jusqu'au jaillissement des larmes, ni à l'alté
ration de mon visage. Je savais, moi, tout ce que je comprimais dans
mon cœur... Puis ce fut l'enterrement. J'y allai ; j'en revins sans une
Première partie dans Médiévales n°29, Automne 1995, pp. 131-140. 118 P. VON MOOS
larme... pas même au moment des prières je ne pleurai. Mais pendant
toute la journée je sentais dans le secret de moi-même l'accablement de
ma tristesse... Mais quand j'étais seul au lit... je sentis la douceur de
pleurer, en votre présence, sur ma mère et pour elle, sur moi et pour moi.
Je donnai libre cours aux larmes que je contenais, je les laissai couler
tant qu'elles voulurent.
Outre la motivation de saint Augustin - respecter en tant que prêtre
la foi des ouailles -, il y avait bien d'autres raisons de refouler les
sentiments ' ; je n'en voudrais relever que la plus saillante, celle connue
sous le nom de « joie de cour ».
Cet idéal altruiste d'harmonie et de sérénité communautaire n'est
pourtant point réservé à la seule cour. Un des plus beaux exemples de
cet idéal se trouve, au xr siècle, dans le poème germano-latin du Ruod-
lieb. Une scène située justement dans le monde précourtois, plutôt rural
et domestique, montre le départ du jeune héros, pour l'aventure qui le
mènera plus tard à la cour du « grand roi ». Toute la familia, mais
surtout la mère de Ruodlieb, souffre de cette séparation. Prenant congé
de son fils, elle reste cependant d'une contenance proprement virile.
Réprimant sa douleur profonde, elle va, sans une larme, réconforter les
domestiques qui accourent pour la consoler (I, 58-59) :
Quae simulando spem, premit altum corde dolorem,
Consolatur eos, dum maie se cernit habere.
Les notions de « simulation » et de « dissimulation », que l'on ren
contre très souvent dans de semblables contextes, n'ont rien de mora
lement reprehensible. Elles indiquent de façon stéréotypée le même
constant rapport du public au privé, de la sauvegarde du decorum civi
lisé (ou politesse) à la violence d'une émotion qui s'épanche dans les
coulisses. Lorsque Dante, dans sa Vita nuova (31, v. 52 sq.), évoque la
perte de sa bien-aimée, il utilise la même dialectique sociale en l'inté
riorisant, en la remplaçant par les deux pôles subjectifs de la honte et
de la plainte :
... E sifatto divento,
Che dalle genti vergogna mi parte.
Poscia piangendo, sol nel mio lamento.
La « vergogne » le sépare du monde social ; les larmes le rendent
solitaire.
L'intimité, qui permet l'effusion du sentiment, ne se confinait pour
tant pas toujours aux quatre murs d'une cellule. Souvent, dans les des
criptions de scènes de deuil, les affligés sont montrés en compagnie
d'amis ou de confidents. Bernard de Clairvaux se laissa aller à déplorer
la perte de son frère parce qu'il était entouré de ses moines familiers,
1. Je les ai énumérées dans ma thèse sur le deuil et la consolation : Consolatio,
4 vol., Munich, Fink, 1971-72. OCCULTA CORDIS 1 19
et cela, au milieu d'un sermon sur le Cantique des Cantiques dont il
semble perdre le fil, tombant, comme il dit, dans une « confession fra
ternelle » du chagrin qui l'oppresse. Il transforme ainsi en oraison funè
bre ce qui aurait dû être une homélie sur la joie mystique2. Pierre le
Vénérable de Cluny, dans le récit qu'il fait de la vie de sa mère, raconte
la scène suivante : durant l'enterrement de son mari, elle resta immobile
au milieu des lamentations générales, pratiquant une « dissimulation »
exemplaire. Mais, la nuit suivante, elle retourna clandestinement au lieu
de sépulture, comme Nicodème quand il s'est re

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