Où l épistémologie, le style et la grammaire rencontrent l histoire littéraire : le développement de la parole et de la pensée représentées - article ; n°1 ; vol.44, pg 9-26
19 pages
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Où l'épistémologie, le style et la grammaire rencontrent l'histoire littéraire : le développement de la parole et de la pensée représentées - article ; n°1 ; vol.44, pg 9-26

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Description

Langue française - Année 1979 - Volume 44 - Numéro 1 - Pages 9-26
18 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1979
Nombre de lectures 32
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Ann Banfield
Dominique Bègue
Où l'épistémologie, le style et la grammaire rencontrent l'histoire
littéraire : le développement de la parole et de la pensée
représentées
In: Langue française. N°44, 1979. pp. 9-26.
Citer ce document / Cite this document :
Banfield Ann, Bègue Dominique. Où l'épistémologie, le style et la grammaire rencontrent l'histoire littéraire : le développement
de la parole et de la pensée représentées. In: Langue française. N°44, 1979. pp. 9-26.
doi : 10.3406/lfr.1979.6168
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1979_num_44_1_6168Ann Banfield
Université de Californie, Berkeley
OÙ L 'EPISTEMOLOGIE,
LE STYLE ET LA GRAMMAIRE
RENCONTRENT L'HISTOIRE LITTÉRAIRE
LE DÉVELOPPEMENT DE LA PAROLE
ET DE LA PENSÉE REPRÉSENTÉES
Le développement d'une forme linguistique qui n'existe pas dans la
langue parlée pose un problème à la historique et à l'histoire li
ttéraire. Si, comme on l'a souvent supposé, « un style écrit ne se renouv
elle... que par un contact avec la parole » (Thibaudet p. 249), comment une
forme qui n'est pas orale peut-elle apparaître? Est-ce une forme naturelle
de la langue ou une déviation artificielle? Si elle est naturelle, pourquoi cette
forme apparaît-elle seulement à un moment historique donné?
Une forme littéraire, dont l'apparition est relativement récente, donne
des arguments incomparables pour répondre à cette question. Il s'agit du
style connu sous le nom de style indirect libre, ďerlebte Rede, ou de
<r quasi-direct discourse ». Puisqu'il n'existe pas de terme anglais largement
reconnu, je transformerai l'expression de Jespersen « parole représentée »
(represented speech) en « parole et pensée représentées » (represented speech
and thought) afin de refléter plus précisément l'ensemble de ses emplois.
« II avait une étrange habitude autobiographique qui l'amenait à former dans
son esprit, de temps en temps, une courte phrase sur lui-même, et qui possédait
un sujet à la troisième personne et un prédicat au passé. »
James Joyce, Gens de Dublin.
La parole et la pensée représentées sont un type de discours ou de
pensée rapportés qui se distingue à la fois (a) du discours direct et (b)
du discours indirect.
(a) Cam insista, « Non! Non! Non! Je ne le ferai pas! ».
Laure demanda, « Pourquoi ne puis-je pas avoir des travailleurs pour
amis? ». « Oh, comme les travailleurs sont extraordinairement agréables », s'écria
Laure.
(b) Cam dit avec insistance que (* non,) elle ne le ferait pas.
Laure demanda si elle ne pouvait pas avoir des travailleurs pour amis
* si ne pouvait-elle pas avoir des pour
amis.
Laure s'écria que les travailleurs étaient (si) extraordinairement agréables
* oh comme les travailleurs...
(c) « Elle ne donnerait " pas une fleur au Monsieur " comme la nurse le lui
avait dit. Non! Non! Non! Elle ne le ferait pas. »
Virginia Woolf, To the Lighthouse.
« Oh, comme les travailleurs étaient extraordinairement agréables, pensait-
elle. Pourquoi ne pourrait-elle pas avoir pour amis des travailleurs plutôt que
ces garçons bêtes avec qui elle avait dansé et qui viendraient au dîner de
dimanche soir. »
Katherine Mansfield, The garden-party.
On a souvent observé que la parole et la pensée représentées, illustrées
en (c), autorisent les exclamations, l'inversion dans les interrogations, et
d'autres éléments expressifs exclus de la phrase subordonnée du discours
indirect. Toutefois contrairement à ce qui se passe dans le discours direct,
ces éléments peuvent représenter le point de vue d'une troisième personne,
ce qui impose la notion de « Sujet de conscience » ou sujet (self), en plus
de celle de sujet parlant. Il n'est pas nécessaire, dans ce style, que le
sujet soit le sujet parlant, ni que maintenant (now), qui est un point
de référence temporel pour les adverbes, soit contemporain du présent,
comme dans le discours ordinaire. Le fait que, dans une phrase avec un
sujet parlant, ce dernier soit toujours le sujet de conscience, s'explique
par un principe qui détermine la priorité de la première personne en tant que
sujet de conscience. Le fait que les phrases de la langue parlée possèdent tou
jours un locuteur, et que celles de la parole et de la pensée représentées
peuvent ne pas en avoir, permet à la troisième personne d'être un sujet. Si
la première personne est un sujet, les phrases de ce style se distinguent au
discours direct par la contemporanéité du présent déictique (maintenant) et
du passé grammatical (passé).
Cependant, on remarque moins fréquemment que ce style exclut certains
des éléments autorisés dans le discours direct : l'adresse directe, les indica
tions de prononciation, les adverbes de phrase tels que franchement qui
prennent place dans la relation locuteur interlocuteur. L'absence de ces él
éments provient de l'absence de deuxième personne et accompagne l'ab
sence de présent grammatical contemporain de maintenant. De l'absence de
tous ces signes de la fonction communicative du langage, je conclus que la
parole et la pensée représentées ont une valeur expressive, à la différence du
discours indirect, mais n'ont pas de valeur communicative, à la du direct. Comme telles, la parole et la pensée représentées ne sont pas
des formes de discours à proprement parler. Cette division entre expres
sion et communication provient du fait qu'une représentation formelle de
ce style exige que les notions de sujet parlant et de sujet soient définies
indépendamment l'une de l'autre, et qu'il en soit fait de même pour les notions
de présent et de maintenant.
10 « Bally croyait qu'il s'agissait là d'un phénomène particulier au français,
mais Lerch et Lorck en ont trouvé un grand nombre d'exemples en allemand, bien
qu'ils aient pensé qu'il peut-être là de formes empruntés au
et en particulier à Zola (!). En fait, on le trouve très couramment en anglais à
une époque bien antérieure à celle de Zola — comme chez Jane Austen, par
exemple —, en danois et certainement dans bien d'autres langues. J'en ai
récemment trouvé des exemples en espagnol. Il s'agit là d'une forme d'expres
sion qui semble si naturelle qu'elle a très bien pu apparaître en différents points
sans qu'il y ait nécessairement là un lien d'influence. »
Otto Jespersen, La philosophie de la grammaire.
« C'est sous cet angle que le style indirect libre, négligeable pour qui n'en
visage que sa forme extérieure, prend toute son importance, et apparaît avec
le caractère propre à un procédé « européen », issu des tendances profondes
qui rapprochent les langues et les sociétés modernes. »
Marguerite Lips, Le style indirect libre.
« Les langues ont-elles créé spontanément ce type de syntaxe? ou, au
contraire, serait-il né dans un idiome privilégié, dont bénéficient les autres par
voie d'emprunt? Comment cette propagation se fait-elle d'une langue à l'autre? »
Marguerite Lips, Le style indirect libre.
« Le langage, selon Lorck... n'est pas un moyen ou un instrument servant à
atteindre des buts, mais un organisme vivant avec ses propres buts qu'il porte
en lui et qu'il réalise aussi en lui-même. »
Vološinov, Marxisme et philosophie du langage.
L'apparition spontanée de la parole et de la pensée représentées dans la
littérature européenne rend peu plausible une théorie selon laquelle le style est
une déviance linguistique inaugurée par un écrivain précis et diffusée d'écri
vain en écrivain par les voies de l'imitation. L'ensemble des spécialistes s'ac
corde à reconnaître le premier exemple de ce style, dans une forme pleine
ment développée, en français chez La Fontaine, et en anglais chez Jane
Austen et Walter Scott, quoiqu'il s'en présente quelques exemples assez tôt
chez Fielding. Suivant Lerch, Vološinov maintient que le « style indirect libre
se développe très tardivement en allemand. Comme tour délibéré et développé,
il est utilisé pour la premi

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