Où sont passés nos Villages nègres ? - article ; n°1 ; vol.13, pg 191-200
11 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Où sont passés nos Villages nègres ? - article ; n°1 ; vol.13, pg 191-200

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
11 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Revue européenne de migrations internationales - Année 1997 - Volume 13 - Numéro 1 - Pages 191-200
10 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1997
Nombre de lectures 17
Langue Français

Extrait

Olivier Chavanon
Où sont passés nos Villages nègres ?
In: Revue européenne de migrations internationales. Vol. 13 N°1. pp. 191-200.
Citer ce document / Cite this document :
Chavanon Olivier. Où sont passés nos Villages nègres ?. In: Revue européenne de migrations internationales. Vol. 13 N°1. pp.
191-200.
doi : 10.3406/remi.1997.1540
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remi_0765-0752_1997_num_13_1_1540Revue Européenne des Migrations Internationales, 1997 (13) 1 pp. 191-200 191
NOTE DE RECHERCHE
Où sont passés nos Villages nègres ?
Olivier CHAVANON'
La problématique du fonctionnement de la mémoire est relativement peu
traitée par la sociologie. Si l'on s'en tient au champ de l'immigration, on peut dire que
nous ignorons beaucoup de choses de l'organisation des souvenirs individuels et
collectifs. Nous méconnaissons en grande partie les règles sociales qui conditionnent la
construction et la reconstruction de la mémoire au fil des générations, c'est-à-dire
comment et pourquoi les personnes ou les groupes se souviennent, en fonction de quels
intérêts et dans quels contextes ils élaborent une mémoire des événements.
C'est un de ces aspects que nous voudrions succinctement explorer ici, à partir
de quelques pistes qui nous paraissent fécondes.
Les propos qui suivent rendent compte d'une recherche commencée il y a
quatre ans et qui porte sur des quartiers qui ont accueilli dans l'entre-deux- guerres une
partie de l'immigration transalpine, essentiellement à la périphérie des grandes
agglomérations et des zones en cours d'industrialisation. C'étaient en général des
ensembles de baraquements en bois relativement précaires et insalubres, le plus
souvent construits sur des terrains laissés à disposition par les pouvoirs publics. Y
habitaient des immigrés de plusieurs nationalités (presque un million d'Italiens en
1931) appelés à travailler en France, alors que l'on observait une diminution de la
population active, des mesures de limitation du temps de travail et une recrudescence
de l'exode rural.
Démolis, rasés à la fin des années trente, ces « lieux » sont aujourd'hui oubliés.
« Trous noirs » dans notre mémoire collective, ils n'ont en effet laissé aucune trace
morphologique dans l'espace, aucune empreinte physique susceptible de rappeler leur
existence et aucun document n'y fait référence dans les archives municipales ou
départementales. Pas même la presse de l'époque n'y consacre quelque article. Seuls de
rares témoignages oraux, le plus souvent divergents, confirment leur existence. Mais on
constate que l'exercice de mémoire n'a pas le même sens pour les uns et pour les autres.
Doctorant en Sociologie, 79 rue Paul-Bert 69003 Lyon, France. 192 Olivier CHAVANON
II contribue la plupart du temps à « brouiller » les pistes et à morceler l'histoire de ces
lieux en autant de souvenirs singuliers qui versent dans la nostalgie ou la négation, la
honte ou la fierté, la dénonciation ou au contraire la revendication.
Entre l'amnésie générale qui frappe ces lieux et les quelques témoignages
contradictoires que l'on recueille, on ne peut que s'interroger sur le fonctionnement du
souvenir et sur les enjeux sociaux qu'il révèle.
Maurice Halbwachs écrivait à propos du rapport entre mémoire et espace que
« tout se passe comme si la pensée d'un groupe ne pouvait naître, survivre, et devenir
consciente d'elle-même sans s'appuyer sur certaines formes visibles dans l'espace »l.
Pour lui il n'existe pas de mémoire collective qui ne se déroule dans un cadre spatial et
c'est vers l'espace, que notre pensée doit se tourner pour que resurgisse tel ou tel
souvenir. Or à propos de l'immigration, Gérard Noiriel constate que : « les millions
d'immigrants qui ont bouleversé la composition de la population française rencontrent
des difficultés inouïes pour laisser leur empreinte visible et constituer leurs propres
lieux de mémoire. Alors qu'aux Etats-unis, Ellis Island, l'île par où sont passés des
millions d'immigrés européens est devenue un musée, en France des lieux comparables
— comme le centre de sélection de Toul qui a recruté la plus grande partie des
immigrants d'Europe centrale dans l'entre-deux-guerres — ont été rasés, comme s'il
avait fallu effacer magiquement une histoire qui s'accordait si mal avec la morphologie
du terroir »2.
D'une façon générale la mémoire, pour survivre à l'épreuve du temps, a besoin
de repères géographiques sans lesquels elle se perd ou devient illégitime. C'est
d'ailleurs sans doute ce qui explique en partie l'acharnement à détruire les sites
emblématiques chez l'ennemi d'une foi religieuse ou politique, ou, à l'inverse, de
conserver certains monuments qui symbolisent et qui incarnent un événement
particulièrement marquant pour une communauté. Les historiens ont parfois travaillé
sur cette relation entre les formes matérielles et l'espace. Par exemple, selon les travaux
de Pierre Nora sur la notion de lieu de mémoire, il existe en France de très nombreuses
transpositions spatiales qui ont pour fonction d'évoquer un souvenir collectif, même si
pour l'auteur, cette notion ne se résume pas seulement aux lieux en tant qu'espaces,
mais englobe plus largement « tout système de signes ayant une unité organique et
étant porteur d'une mémoire »3.
Pour bien comprendre ce rôle primordial de l'espace et des lieux de mémoire
dans la construction des souvenirs d'un groupe, nous avons choisi d'évoquer le cas de
deux quartiers immigrés de Lyon et Saint- Jean-de-Maurienne, l'un et l'autre appelés
« Village nègre », dont l'histoire est aujourd'hui oubliée par le plus grand nombre.
1 Halbwachs (M.), La mémoire collective. Bibliothèque de sociologie contemporaine, PUF,
Paris, 1968.
2 Noiriel (G.), Le creuset français. Histoire de l'immigration XIX-XX6 siècles. Ed. du Seuil,
Paris, 1988.
3 Nora (P.), Le monde des livres. Vendredi 5 février 1993.
REMI 1997 (13) lpp. 191-200 Où sont passés nos villages nègres ? 193
UN NON-LIEU DE MEMOIRE
Dans le 8e arrondissement de Lyon, au sud de la ville, le Village nègre a
regroupé sur plusieurs hectares environ 300 familles d'Italiens, d'Espagnols, de Gitans,
de Polonais et de Russes. Une photo aérienne de l'époque prise par l'armée montre qu'il
s'étalait en longueur sur près de cinq cents mètres et sur trois cents mètres en largeur.
Deux colonnes en ciment matérialisaient son entrée par la rue du professeur
Beauvisage qui existe encore aujourd'hui. A l'intérieur se trouvaient un point d'eau, des
épiceries, un coiffeur et une chapelle. Ce quartier s'est étendu progressivement alors
que les nouveaux arrivants louaient tantôt une baraque déjà construite, tantôt montaient
la leur avec des planches et du papier goudronné. A la veille de la seconde guerre, les
habitants furent tous expulsés et le quartier entièrement rasé.
Il faut préciser, pour mieux comprendre la situation, que durant cette même
période fut construit, juste en face du Village nègre, la cité des Etats-Unis. Fruit de la
collaboration du maire Edouard Herriot et de l'architecte Tony Gamier, ses premiers
logements furent délivrés dans les années trente aux familles françaises en pleine
ascension sociale. Il s'agissait alors de la première HLM d'Europe, fleuron de la
modernité et du progrès social. Les Lyonnais venaient se promener sur le boulevard
pour rêver devant ces immeubles ultra-modernes dont les appartements possédaient une
salle de bain, l'eau et l'électricité. A quelques dizaines de mètres de là, le Village nègre
constituait l'antithèse de cette toute nouvelle cité.
Il y a quelques années, un projet de réhabilitation de la cité des Etats-Unis a
donné lieu à un travail sur la « mémoire du quartier ». Lancé à l'initiative des locataires
soucieux de revaloriser l'image du lieu, ce chantier fut largement financé dans le cadre
de la politique du Développement Social des Quartiers (DSQ) et obtint en 1991 une
distinction internationale de l'UNESCO : celle du « meilleur projet de la décennie
mondiale du développement cultur

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents