Critique de l’idée de sanctionJean-Marie GuyauRevue philosophique de la France et de l’étranger, 1883[243] L’humanité a presque toujours considéré la loi morale et sa sanction commeinséparables : aux yeux de la plupart des moralistes, le vice appelle rationnellementà sa suite la souffrance, la vertu constitue une sorte de droit au bonheur. Aussil’idée de sanction a-t-elle paru jusqu’ici une des notions primitives et essentiellesde toute morale. Selon les stoïciens et les kantiens, il est vrai, la sanction ne sertnullement à fonder la loi ; pour Kant cependant, elle en est le complémentnécessaire : la pensée de tout être raisonnable unit à priori le malheur au vice, lebonheur à la vertu par un jugement synthétique. Telle est aux yeux de Kant la forceet la légitimité de ce jugement que, si la société humaine se dissolvait de son pleingré, elle devrait d’abord, avant la dispersion de ses membres, exécuter le derniercriminel enfermé dans ses prisons : elle devrait liquider cette sorte de dette duchâtiment qui retombe sur elle et retombera plus tard sur Dieu. Même certainsmoralistes déterministes, qui nient en somme le mérite et le démérite, semblentpourtant voir un légitime besoin intellectuel dans cette tendance de l’humanité àconsidérer tout acte comme suivi d’une sanction. Enfin des utilitaires, par exempleM. Sidgwick, semblent aussi admettre je ne sais quel lien mystique entre tel genrede conduite et tel état heureux ou malheureux de la sensibilité ; M ...
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