Plaidoyer pour la noblesse moscovite - article ; n°1 ; vol.34, pg 119-138
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Cahiers du monde russe et soviétique - Année 1993 - Volume 34 - Numéro 1 - Pages 119-138
André Berelowitch, Plea for the Muscovite nobility. In respect of affairs of honor in the seventeenth century.
On basis of lawsuits for insults and the substantial damages they could yield, Muscovite nobles are often accused of being devoid of the sense of honor. Sources nearer to every-day life (informal letters for instance) show that in reality Muscovite honor is that of a shame society with its anthropological meaning. A careful examination of complaints for insults or precedence quarrels of Court nobility demonstrates, on the other hand, that these affairs follow a near-universal pattern: challenge, counter-challenge and redress. Physical punishments, and putting one's life in somebody's hand (vydacha golovoi) could be relics of a real or symbolic fight with the objective of defending one's honor in days of old.
André Berelowitch, Plaidoyer pour la noblesse moscovite. A propos des affaires d'honneur au XVIIe siècle.
En se fondant sur les procès en injure et les dommages substantiels qu'ils pouvaient rapporter, on accuse les nobles moscovites d'ignorer le sentiment de l'honneur. Des sources plus proches de la réalité quotidienne (lettres familières par exemple) montrent qu'en fait l'honneur moscovite est celui d'une « shame society », au sens des anthropologues. L'examen attentif des plaintes pour injures et des querelles de préséance de la noblesse de Cour révèle, d'autre part, que ces affaires d'honneur obéissent au scénario quasi universel des conflits de ce type : défi, contre-défi, et réparation. Châtiments corporels et « reddition à merci » (vydača golovoj) pourraient être les vestiges d'un combat, réel ou symbolique, livré jadis pour défendre son honneur.
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1993
Nombre de lectures 31
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

André Berelowitch
Plaidoyer pour la noblesse moscovite
In: Cahiers du monde russe et soviétique. Vol. 34 N°1-2. Janvier-Juin 1993. pp. 119-138.
Abstract
André Berelowitch, Plea for the Muscovite nobility. In respect of affairs of honor in the seventeenth century.
On basis of lawsuits for insults and the substantial damages they could yield, Muscovite nobles are often accused of being devoid
of the sense of honor. Sources nearer to every-day life (informal letters for instance) show that in reality Muscovite honor is that
of a "shame society" with its anthropological meaning. A careful examination of complaints for insults or precedence quarrels of
Court nobility demonstrates, on the other hand, that these affairs follow a near-universal pattern: challenge, counter-challenge
and redress. Physical punishments, and putting one's life in somebody's hand (vydacha golovoi) could be relics of a real or
symbolic fight with the objective of defending one's honor in days of old.
Résumé
André Berelowitch, Plaidoyer pour la noblesse moscovite. A propos des affaires d'honneur au XVIIe siècle.
En se fondant sur les procès en injure et les dommages substantiels qu'ils pouvaient rapporter, on accuse les nobles moscovites
d'ignorer le sentiment de l'honneur. Des sources plus proches de la réalité quotidienne (lettres familières par exemple) montrent
qu'en fait l'honneur moscovite est celui d'une « shame society », au sens des anthropologues. L'examen attentif des plaintes
pour injures et des querelles de préséance de la noblesse de Cour révèle, d'autre part, que ces affaires d'honneur obéissent au
scénario quasi universel des conflits de ce type : défi, contre-défi, et réparation. Châtiments corporels et « reddition à merci »
(vydača golovoj) pourraient être les vestiges d'un combat, réel ou symbolique, livré jadis pour défendre son honneur.
Citer ce document / Cite this document :
Berelowitch André. Plaidoyer pour la noblesse moscovite. In: Cahiers du monde russe et soviétique. Vol. 34 N°1-2. Janvier-Juin
1993. pp. 119-138.
doi : 10.3406/cmr.1993.2339
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/cmr_0008-0160_1993_num_34_1_2339ANDRÉ BERELOWITCH
PLAIDOYER POUR LA NOBLESSE MOSCOVITE
À propos des affaires d'honneur au xvne siècle
"Death before Dishonour!"
(Mr. Sponge's Sporting Tour)
La noblesse moscovite avait-elle le sens de l'honneur ? La question mérite d'être
posée pour elle-même : le sentiment de l'honneur est le trait le plus saillant de la ment
alité nobiliaire, et un examen, même superficiel, des sources et de la bibliographie
montre qu'il ne revêtait pas les mêmes formes en Russie qu'en Europe occidentale.
S'agit-il bien du même phénomène ? Mais il y a davantage. Les observateurs des xvie
et xvne siècles (avant la lettre) et les historiens postérieurs (sans bien toujours s'en
rendre compte) pourraient souscrire aux aphorismes de Montesquieu : « Ce n'est
point Yhonneur qui est le principe des états despotiques : les hommes y étant tous
égaux, on n'y peut se préférer aux autres ; les hommes y étant tous esclaves, on n'y
peut se préférer à rien »J. En déniant aux nobles moscovites le sentiment de l'hon
neur, ou en leur concédant un honneur rudimentaire et grossier, les voyageurs étran
gers font, comme les historiens, le procès du despotisme russe. Ils dénoncent une
monarchie qui, pour régner, a besoin de réduire la société en esclavage, et notamment
de domestiquer la noblesse bien au-delà de tout ce qu'a pu faire l'absolutisme louis-
quatorzien.
On touche là à un vaste problème, qui commande tous les autres : le statut de la
noblesse dans la société et dans l'État moscovite. Il est hors de question de le
résoudre ici ; je m'efforcerai, plus simplement, de reprendre l'étude d'un dossier qui
n'a guère été traité, jusqu'à présent, que dans une perspective juridique2 ou littéraire3,
et d'esquisser les grandes lignes de ce que pourrait être une approche plus sereine, et
proprement historique, du sujet.
Cahiers du Monde russe et soviétique, XXXIV (1-2), janvier-juin 1993, pp. 119-138. 120 ANDRÉ BERELOWITCH
Je rappellerai d'abord les termes de l'accusation, en citant, pêle-mêle, les voya
geurs occidentaux et l'article de Lange4 : leurs descriptions coïncident, en effet, pour
des raisons qui apparaîtront par la suite.
Les nobles russes sont incivils, arrogants, querelleurs :
« ...la gloire et la suffisance des Moscovites est grossière, sotte et impertinente, et l'or
gueil de ceux qui se sentent tant soit peu advantages en honneurs et en biens, est insup
portable [. . . ] au lieu de se faire civilité, ils prennent les uns sur les autres la main, et tous
les autres avantages qu'ils peuvent. »
Et plus loin :
« Ils sont tous fort querelieux, de sorte qu'on les voit çà et là dans la rue se prendre de
paroles, et se chanter des injures comme des harangères. »5
Sur ce point, Olearius contredit Herberstein (« Presque tous sont lents à se mettre
en colère »6) et Margeret (« Vray est qu'ils ne prennent pas chaque parolle à pied
leué, car ils sont fort simples en leur parler, veu qu'ils n'usent que de toy... »7).
La moindre vétille suffit à provoquer une querelle : une erreur sur le patronyme,
une forme d'adresse incorrecte, une lettre péremptoire8, sans parler des insultes, qui
sont monnaie courante (« Les titres de fils de putain et de chien estoient les moindres
injures qu'ils se disoient... »9). Cette extraordinaire susceptibilité ne va pas sans de
bonnes raisons : « L'outrage, qui le plus souvent n'était sans doute même pas ressenti
comme une offense personnelle, n'était que le prétexte pour introduire une action en
injures, parfois assez lucrative »l(). L'amende, égale soit à un montant fixé à l'avance,
soit au traitement annuel (oklad) de l'offensé11, pouvait atteindre en effet des sommes
considérables. Les procès se multiplièrent à tel point que les autorités durent mettre
le holà : au cours de la seconde moitié du xvne siècle, certains motifs de plainte
furent déclarés irrecevables.
Lorsque l'offense n'est pas considérée comme une source additionnelle de reve
nus, on en tire vengeance à grand renfort de horions, comme des charretiers :
« ...s'ils se battent, c'est à coups de poing ou de fouet, et leurs derniers efforts se font à
coups de pieds, qu'ils se donnent dans le ventre et dans le costé {...] Les Grands Seigneurs
et les Knez et Bojares mesmes, se battent à cheval à beaux coups de fouet, et vuident ainsi
leurs querelles sur le champ. »12
Le duel, auquel s'attache tant de prestige en Europe occidentale, est inconnu :
« ...il faut noter qve il n'y a nuls duels entre-eux, car premièrement ils ne portent nulles
armes sinon à la guerre ou en quelque voyage, et si l'on est offencé de paroles ou autre
ment de quelques-vns, il ne s'en faut ressentir que par la voie de iustice... »13
« L'on n'a pas encore veu que les Moscovites se soient battus entťeux à l'espée et à coups
de pistolet, ou qu'ils se picquent de cette bravoure en laquelle plusieurs font consister faus
sement le véritable courage. »14
Laissons conclure Lange :
« L'honneur (česť) était confondu avpr les dignités (poťesť), ne reflétant que les rapports
extérieurs et fortuits entre les membres de la société, leur position au sein de celle-ci, non PLAIDOYER POUR LA NOBLESSE MOSCOVITE 121
la conscience intime qu'ils pouvaient avoir de leur valeur personnelle. » [C'est que) « la
personne n'était pas conçue comme une entité autonome : on ne lui accordait, en tant que
telle, aucune importance. Elle était inséparable du lignage, des titres, du grade (čin), de
l'appartenance à un ordre (soslovie). »15
Les documents originaux confirment, sur bien des points, l'exactitude de ce
tableau. À qui serait tenté de le prendre pour argent comptant, il convient toutefois
de présenter deux objections. La première relève de la critique des sources la plus
classique. Les relations de voyage, même si elles sont l'œuvre de bons observateurs
comme Margeret ou Olearius, n'ont pas, et pour cause, de prétentions ethnogra
phiques. Elles visent, selon le cas, à plaire au roi ou au public instruit, et rendent,
avec plus ou moins de sincérité, les impressions de l'auteur. Il serait absurde de
prendre c

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