Comment traduire les philosophes allemands ? Entretien avec Jean-Pierre Lefebvre - article ; n°1 ; vol.7, pg 150-162
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Description

Genèses - Année 1992 - Volume 7 - Numéro 1 - Pages 150-162
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1992
Nombre de lectures 36
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Gérard Noiriel
Peter Schöttler
Jean-Pierre Lefebvre
Comment traduire les philosophes allemands ? Entretien avec
Jean-Pierre Lefebvre
In: Genèses, 7, 1992. pp. 150-162.
Citer ce document / Cite this document :
Noiriel Gérard, Schöttler Peter, Lefebvre Jean-Pierre. Comment traduire les philosophes allemands ? Entretien avec Jean-
Pierre Lefebvre. In: Genèses, 7, 1992. pp. 150-162.
doi : 10.3406/genes.1992.1111
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/genes_1155-3219_1992_num_7_1_1111O I R I R
■ y/ partant de la nouvelle traduction de
ri la Phénoménologie de Hegel que tu viens
■ J de publier, on aimerait que tu nous ex
pliques les problèmes que rencontre un « traduc
teur professionnel » dans son travail concret, en
commençant, si tu es d'accord, par évoquer les
Comment enjeux intellectuels et sociaux sous-jacents à la
traduction depuis le XDČ siècle.
traduire
Historiquement, depuis deux siècles au
moins, il y a toujours eu un lien étroit entre les philosophes
les problèmes « techniques » posés par la tr
aduction des textes philosophiques allemands et
allemands ?
le contexte de leur réception intellectuelle en
France. Depuis le début du XIXe siècle, en
France, la réception de la philosophie all
Entretien emande a été problématique. Jusque-là, la ques
tion ne se posait pas, du fait même que les avec Jean-Pierre Lefebvre
philosophes communiquaient entre eux soit en
latin (cf. encore les premiers textes de Kant),
Gérard Noiriel et Peter Schôttler soit en français. Au XVIIIe siècle, la France est
la référence culturelle centrale en Europe et
la langue française est le véhicule naturel de
toute une tradition cartésienne ou néocarté
sienne, que ce soit en Allemagne, en Holl
ande... Seuls les Anglais échappent à cette
influence en écrivant leurs textes dans leur lan► ►►
gue maternelle, ce qui ne sera peut-être pas
A l'occasion de la parution de sa nouvelle traduction
sans effet sur la réception de leurs concepts de la Phénoménologie de Hegel, nous avons demandé
à Jean-Pierre Lefebvre, maître de conférences en ailleurs en Europe (Leibniz par exemple lit les
allemand à l'École normale supérieure, de nous parler Anglais à partir des traductions françaises). La de son « savoir-faire » de traducteur. Parmi les
question de la traduction ne devient un proouvrages traduits ces dernières années par Jean-Pierre
Lefebvre, citons : blème central qu'à partir du XIXe siècle, au
moment où la langue devient un enjeu essentHegel, Phénoménologie, Paris, Aubier, « Bibliothèque
philosophique», 1991. iel pour la définition de la culture ou de
Hôlderlin, Journal de Bordeaux, Bordeaux, William
Г« identité » nationale. On ne peut comprendBlake and Cie, 1990.
H. Heine, Der Gute Trommler, Hambourg, Hofman re les conditions de la réception de la philo
und Campe, 1986. sophie allemande en France indépendamment K. Marx, le Capital 1, Paris, Éditions sociales, 1983.
de ce changement de conjoncture, marqué par K. Manuscrits de 1861-1863, Paris, Éditions
sociales, 1981. l'affaiblissement du français comme langue
K. Marx, Gundrisse, Paris, Éditions sociales, 1980. philosophique « universelle » au profit de l'aE. Kant, Essai sur les maladies de la tête, Toulouse,
L'Évolution psychiatrique, 1975. llemand qui va véhiculer, au moins jusqu'au
début du XXe siècle, la pensée philosophique Jean-Pierre Lefebvre a aussi écrit un roman, la Nuit
du passeur, Paris, Denoël, 1989. dominante.
Genèses 7, mars 1992, p. 150-162 150 О I R I R
Les intellectuels français sont-ils en mesure Misère de la philosophie directement en fran
dès le début du XIXe siècle de traduire correc çais. Même chose pour Heine. On a longtemps
tement les textes philosophiques allemands ? dit qu'il avait publié une partie de son œuvre
en français. En fait, même ses œuvres publiées
Je ne pense pas. En fait, il n'y a alors que d'abord en français ont été écrites au départ
très peu de locuteurs francophones, liés au en allemand et traduites pour les journaux
monde universitaire, qui connaissent suffisam français. Le plus souvent, le traducteur était
ment l'allemand et la philosophie pour appré lui-même un Allemand émigré dont la connais
hender correctement des pensées comme sance du français était parfois « limite » ; ce
celles de Kant ou Schleiermacher et encore qui pose le problème du rewriting, très inégal
moins des philosophies comme celles de en ce qui concerne Heine.
Fichte, puis Schelling et Hegel, qui travaillent
de façon plus systématique les aspects langa Il faudrait donc aussi retraduire ces textes
giers de la pensée. en français ?
On parle pourtant souvent, aujourd'hui, de Pour l'un des textes de Heine, c'est d'ail
Г engouement des romantiques pour la philo leurs ce que je suis en train de faire. S 'agissant
sophie allemande. Je pense à Michelet et sur de Marx, la traduction du Capital offre une
tout à Edgard Quinet qui traduit Herder en illustration pathétique de ce problème. En
français. 1868, quand le livre paraît en Allemagne,
Marx et Engels se posent la question du tr
Bien sûr. Il y a eu Madame de Staël, puis aducteur français. Après avoir longtemps cher
toute une tradition, mais elle a surtout des ché, ils trouvent finalement un proudhonnien
effets imaginaires. Sur le plan philologique, le qui a traduit Feuerbach, Joseph Roy. Ils sont
bilan de cet engouement est très maigre. Même persuadés que le résultat est excellent ; ce qui
Quinet n'a pas traduit de l'allemand. On a cru, en soit est un indice de ce qu'ils ne dominent
parce que la mère de Quinet était d'ascendance pas la question ; sinon ils n'auraient pas porté
allemande, qu'il avait traduit Herder de l'a ce jugement. Marx s'engage alors dans un pro
llemand en français. Mais en réalité sa traduc cessus terrible. Je dis toujours qu'il est mort
tion est faite à partir de l'anglais. de ça. En révisant la traduction du Capital, il
est entré dans un cycle pathologique. Il s'est Les cercles politiques révolutionnaires ne
rendu compte que le traducteur n'avait pas s'intéressent-ils pas aux querelles politiques
compris un certain nombre de passages et qu'il que provoque Г hégélianisme en Allemagne ?
fallait qu'il les réécrive. Ce qui n'a fait qu'ac
croître chez lui le désir « palimpsestique », sa Là encore, l'aspect « fantasmatique » est
tendance à toujours vouloir réécrire ce qu'il dominant. Mais il est vraisemblable que sans
avait écrit. Il y a là, je crois, un effet du peu cet aspect, les traductions proprement dites
d'expériences accumulées en ce qui concerne n'auraient pas vu le jour. La connaissance
la traduction des œuvres théoriques, une commence par l'opinion ! D'où les diatribes
preuve de la naïveté qui perdure au moins jusde Marx, par exemple, contre la pseudo-« fo
qu'à la fin du siècle. On est encore dans le rmation allemande » des révolutionnaires fran
monde de Goethe pourtant très attentif aux çais, Proudhon, Leroux. Heine va même
questions de genre et de forme et qui était jusqu'à dénier à Cousin un tel savoir. A l'in
considéré comme un traducteur. Goethe était verse, il ne faut pas surestimer la connaissance
des langues étrangères parmi les exilés poli convaincu qu'il faisait de la traduction et non
tiques. Je ne suis pas sûr que Marx ait écrit une réécriture, lorsqu'il écrivait ce qu'on
151 I R - FAIR O
appellerait aujourd'hui des adaptations de
textes originaux. Quand il s'agit de littérature,
on dispose d'une marge de manœuvre qui fait
partie du genre ; mais il n'en va pas de même
avec les textes philosophiques.
Cet exemple illustre bien le côté relatif des
critères qui définissent la « bonne » traduct
ion. De quel moment peut-on dater la codifi
cation universitaire des normes qui régissent
aujourd'hui la traduction ?
Jusqu'à la fin du XIXe siècle, on ne peut
guère parler de tradition universitaire. La tra
dition dominante est encore celle des XVIe-
XVIIe siècles : c'est celle du face à face des
textes latins ou grecs et de leurs corres
pondants français avec un versant scolaire dif
fusé par les manuels et un théologique
enfermé dan

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