Intervention deClaude Madeleine OUDOTau séminaire du 10/11/2000 Université Paul Valéry – Montpellier III
L’intitulé que j’ai choisi pour cette courte intervention m’est apparu, à la réflexion, ambigu et plein de questions:Le repas rituel. Seraitce qu’un seul repas est rituel et que les autres ne le seraient pas ? Le repas ? Pourquoi « le » ? L’adjectif « rituel » signifieraitil succession ou séquence de gestes et de paroles ?Tout repas, sembletil, est constitué par un ensemble de conduites à la fois individuelles et collectives avec un support corporel (verbal, gestuel, postural), à caractère plus ou moins répétitif, à forte charge symbolique pour ses acteurs, conduites fondées sur une adhésion mentale, souvent incons 1 ciente, à des valeurs jugées importantes. Je viens de donner là la définition du rite par Claude Rivière. Si, entre midi et une heure et demi, beaucoup d’entre nous continuent d’arrêter leur activité rémunérée, rentrent chez eux, retrouvent conjoint et enfants, mettent dans le microonde des légumes déjà préparés, de la viande décongelée, disposent sur la table couverts et assiettes, dessous de plat , eau et vin, sortent les serviettes, servent ou se font servir (selon les cas ou le sexe ..) la nourriture multiforme achetée le samedi précédent au supermarché, cela ne signifietil pas que le repas du soir, plus encore que le repas du midi qui rassemble de moins en moins la famille, reste un ensemble de rites quotidiens et tellement intégré que ses valeurs ne sont plus conscientes et, même, perdent leur signification et leur importance dans le stress de la vie quotidienne. D’où peutêtre, pour certains, le désir et l’attente de repas, dignes de ce nom, appelés encore banquets ou festins ou plus simplement repas de fête. Mais alors, le repas rituel ? Pour Freud, il serait la reproduction et la fête commémorative d’un événement historique, à savoir le parricide primitif c’estàdire le meurtre du père de la horde par ses fils jaloux. Au cours de ce repas, les fils se réconcilient rétrospectivement avec le père offensé. En consommant la chair de l’animal totem, symbole du père, ils renforcent leur identité à celuici et leur identité entre eux . Ils accomplis sent rituellement, c’estàdire selon des règles, ce qu’ils s’interdisent en dehors de la cérémonie, l’incor poration du totem ; ils démontrent ainsi que ce qui est prohibé en temps ordinaire (comme expression de leur culpabilité et de leurs regrets) devient permis et même obligatoire dans certaines conditions définies, sous le signe du sacré : de la répression qu’est le tabou, on passe à la réalisation de la tendance réprimée mais cette réalisation est symbolique, elle s’appelle « sacrifice ».En revanche les auteurs non freudiens ne croient pas nécessaire de faire appel au meurtre du père. Ils expliquent le banquet rituel comme le simple désir de participer à la puissance du père ou des ancêtres. La communion devient un moyen de s’assimiler ce qu’on souhaite de plus: un surcroît de force et de vitalité. La médiation de l’animal consommé atteste qu’on entend préserver la transcendance du père ou des ancêtres dont la victime n’est qu’un représentant. Tous les sacrificescommunion conservent ce double trait : d’une part, il y a toujours un substitut, une médiation, d’autre part, à travers le substitut, c’est bien à quelque chose de transcendant qu’on communie.
A titre de faisceau d’hypothèses, je propose donc la recette suivante : Pour faire un bon banquet rituel, à l’ancienne, prendre un bel agneau sans défaut, mâle, né dans l’année. Préparer à part du pain non levé et de la salade amère. Au jour fixé, par exemple le quatorzième jour du mois de printemps, le soir, à l’heure où apparaît dans le ciel la première étoile, la communauté sera réunie. Pour être à l’unisson du cosmos, les femmes allumeront des lampes. Tous seront debout autour de la table familiale ou de l’autel selon les cas. Si le repas est domestique, le père interroge son fils adolescent sur le sens de cette commémoration et le pourquoi de chaque ingrédient du menu rituel.