TEMPS ESCHATOLOGIQUE - TEMPS PRÉSENT
Une approche linguistique et cognitive
de la représentation métaphorique du temps
dans le quatrième évangile
Par Mike van Treek Nilsson
INTRODUCTION
1Selon Frey Jörg , le nœud de l’eschatologie Johannique se trouve
dans la compréhension de 4,23 et 5,25 :« L’heure vient, c’est
maintenant ». Orientation au présent ? Au futur ? Toutes les deux ? Les
voies de l’interprétation supposent une contradiction. On a l’impression
de ne pas pouvoir sortir du labyrinthe, c'est-à-dire, nous serions obligés
soit à voir une tension dialectique entre futur et présent soit à expliquer
les textes via la proposition de plusieurs couches de composition. Est-on
coincé entre la lecture dialectique et la lecture historique-critique ? Je
ne le pense pas. Peut être que s’approcher du texte à partir d’un angle
différent révèle d’autres aspects du problème du temps.
D’abord, j’essayerai de montrer comment la linguistique cognitive
(=LC) peut nous apporter des idées pour réfléchir sur le temps. La LC
bâtit ses modèles à partir d’une vision que conjugue assez bien la
dimension corporelle de l’humain avec la dimension expérientielle de la
1
Cf. J. FREY, Eschatology in the Johannine Circle, 47. Temps Eschatologique – Temps Présent
connaissance. Pour être plus précise, je me situe dans la voie des études
2de la métaphore conceptuelle et sa façon de s’approcher au lexique .
À l’avis de cette approche le temps est une représentation
complexe que l’humain construit à partir de l’expérience spatiale et
motrice. Ces deux dimensions constituent les domaines de base à partir
desquels, grâce à la métaphore conceptuelle, nous élaborons un
concept du temps. J’essayerai d’abord, de montrer les bases neuronales
de cette hypothèse. Ensuite, je montrerai comment ce processus se
reflète dans nos langues de deux façons différentes. Premièrement dans
la langue ordinaire, et deuxièmement dans l’évolution même des mots,
c'est-à-dire, dans l’étymologie.
Une fois que le modèle sera établi, je montrerai comment cela
s’exprime dans le texte grec de l’évangile de Jean. On reprendra les
modèles présentés plus haut. À ce moment, j’ajouterai quelques
indications étymologiques du lexique grec du temps. Nous verrons que
le domaine de base de plusieurs mots qui expriment la temporalité est
le de spatial. Dans certains cas, les deux domaines coexistent,
tandis que dans d’autres cas le domaine spatial a disparu
complètement.
LE TEMPS ET L’IMAGINATION
Le temps est partout dans la vie. Le temps coule par nos artères et
nos veines. Purifié ou sale, il arrive à irriguer nos excuses les plus
ordinaires pas moins que nos croyances les plus enracinées. Nous avons
tout un système pour mesurer le temps : horloges, montres, calendriers
et d’autres appareils parfois très sophistiqués et complexes qui se
démultiplient pour accorder les événements à un tic-tac atomique. Nos
« jauges » temporelles touchent ainsi nos croyances. Allez à demander à
quelqu'un ce qu’il attend de l’avenir, quel futur veut-il pour ses enfants.
Comment imaginez-vous votre vieillesse ? Dans quel temps liturgique
nous sommes ? Comment le sacerdoce Maya imagine-t-il le lendemain,
l’histoire même ? Enfin, comment pouvons-nous parler de choses qu’on
n’a pas vues ? Certaines disent « pas encore vu ». Comment pouvons-
2
Je travaille depuis quelque temps sur l’expression métaphorique du plaisir et de
l’érotisme dans le Premier Testament.
2
Temps Eschatologique – Temps Présent
nous parler, dans l’horizon chrétien, d’« eschatologie » ? Certainement,
la réponse n’est pas univoque, tel comme le prouve, pour exemple, la
diversité de l’imaginaire eschatologique néotestamentaire. Pour nous
comprendre, j’utiliserai le mot « eschatologie » dans un sens temporel,
mais pas nécessairement orienté ou situé au futur.
L’auteur du texte du quatrième évangile n’échappe pas non plus à
toutes ces questions. Pour parler du temps, il faut de l’imagination. Et
qui dit imagination dit aussi représentation et création. Or, le quatrième
évangile nous a fourni un terrain fertile pour cela. Je propose, donc, un
modèle d’analyse du temps dans le quatrième évangile, tout en sachant,
moi et le lecteur, qu’il s’agit de un essai. Un modèle, d’ailleurs, n’est
qu’une grille proposée au texte. Je ne prétends guère annuler d’autres
points de vue. Entrons, donc, au terrain.
DES MODÈLES POUR PARLER DU TEMPS
Parmi les modèles de la représentation du temps, j’ai choisi trois.
Ces trois modèles nous donnent la base pour d’autres. En plus, ils
montrent à quel niveau la notion du temps est dépendante du corps et
de l’espace. Les deux premiers modèles considèrent le point de vue d’un
sujet (Ego-Point de référence) tandis que le troisième pas (non-Ego).
Le modèle Ego-Temps de Référence – Temps en Mouvement
Voici quelques expressions en français qui expriment un sens
3temporel :
( 1 ) Dans les trois mois qui suivent la promulgation de la loi
( 2 ) Demain talonne aujourd'hui
3
Pour les expressions j’ai utilisé des expressions du langage naturel. J’ai utilisé plusieurs
bases de données. Pour la langue française : (1) Concordance du « Centre National de Ressources
Textuelles et Lexicales » (http://www.cnrtl.fr); (2) Concordance « Compleat Lexial Tutor » de
l’université du Québec à Montréal (http://www.lextutor.ca/concordancers/concord_f.html) que
j’ai utilisé aussi pour la langue anglaise (http://www.lextutor.ca/concordancers/concord_e.html).
Pour la langue italienne je consulté la « banca dati dell’italiano parlato » de l’université Karl-
Franzens (Autriche) sur le site http://languageserver.uni-graz.at/badip/badip/24_genSearch.php.
Pur l’espagnol je me suis servi de « Corpus de referencia del español actual » sur le site de la
« Real Academia Española » (http://corpus.rae.es/creanet.html).
3
Temps Eschatologique – Temps Présent
( 3 ) Mais la nuit s’approcha sans amener personne
( 4 ) Le film démarre sur un retour en arrière
( 5 ) Ce jour est arrivé
Dans les phrases ( 1 )- ( 5 ) j’ai mis en relief trois expressions qui
mettent en relation des événements. Pourtant, « suivre », « talonner »
et « s’approcher », « arrière » et « arriver » ont leur premier sens dans
le domaine de l’espace. Or, dans les cas ( 1 )- ( 3 ) le futur est représenté
tel que placé devant nous. Le futur s’approche vers nous par le front. Le
passé est, donc, placé derrière nous et le présent est ici. Cela est très
clair dans les expressions ( 4 ) et ( 5 ). Comme le lecteur se rendra déjà
compte, ce phénomène ne se borne pas au français. Voici quelques
autres expressions en italien, castillan et anglais :
( 6 ) Quando arriverà l'estate arriverà il problema del freddo vero
( 7 ) A pesar de la cercanía de las vacaciones estivales
( 8 ) But the day of the deadline came and passed
Comme le francophones,
aussi les italophones, les
anglophones et ceux qui parlent
le castillan se représentent le
temps d’une manière
comparable. Ce phénomène
s’explique tout simplement
Illustration 1 – E-TR (Temps en mouvement.
parce que nous parlons du
temps à partir de l’espace. C’est, donc, un procédé métaphorique où le
domaine source est l’espace et le domaine cible est le temps. À ce
premier modèle, on l’appellera, tout en suivant la nomenclature des
auteurs, Ego-Temps de Référence (E-TR) car la référence qui permet
d’établir l’ordre est bien un sujet (Voir Illustration 1).
QUELQUES INFÉRENCES À PARTIR DU MODÈLE :
Un observateur face à une direction fixe voit venir une longue
séquence d’objets qui passent du front vers le dos. Les objets
ont leurs fronts et leur dos. Ils ne peuvent pas faire
mouvement en arrière.
4
Temps Eschatologique – Temps Présent
Cette représentation nous rend capables de faire quelques
inductions que nous constaterons tout de suite dans la langue.
L’observateur ou l’observatrice est situé(e) dans le présent.
Un objet-2 est derrière un objet-1 → l’événement-1 adviendra
plus tôt que l’événement-2.
Un objet-2 est devant un objet-1 → le temps-2 est passé en
référence au temps-1.
L’ensemble d’objets se déplace rapidement → le temps passe
vite ; les événements se suivent rapidement.
La distance entre les objets → le temps entre un événement et
le suivant.
Un objet-1 est plus grand qu’un objet-2 → l’événement-1 dure
plus longtemps que l’événement-2.
Le modèle Ego-Temps de Référence-Ego en Mouvement
Parlons d’une autre façon de nous représenter le temps. Regardez
ces expressions :
( 9 ) Je ne sais (sic) quand nous atteindrons le printemps
( 10 ) El régimen dictatorial ha iniciado su camino hacia el fin
( 11 ) Io ho cominciato a capirlo un po' verso i quattro cinque anni
( 12 ) We passed the deadline
( 13 ) Tout le monde peut assister à cette fête
L’ordre temporel impliqué dans les énoncés ( 1 )- ( 8 ) est identique
à celui qui résulte de l’analyse de ( 9 )-( 12 ). Ici comme là, le futur est
avant nous : ( 9 )-( 11 ), le passé est derrière et nous : ( 12 ), habitons
dans le présente : ( 13 ). Malgré ces similitudes, nous remarquons une
grande différence.
Dans ces derniers énoncés, ce
n’est pas le futur que se déplace vers
nous sinon tout le contraire. Le temps
est fixé est métaphorisé comme une
région délimitée. Nous nous déplaçons
Illustration 2 – E-TR (Ego en Mouvement)
5
Temps Eschatologique – Temps Présent
par un chemin. Nous sommes dans le présente en mouvement vers le
futur à partir d’un passé à nos dos. La différence réside, donc, dans ce
que bouge : le temps ou l’observateur. En conséquence nous
appellerons Ego-Temps de Référence - Temps en Mouvement (E-TR-TM)
au premier mode et Ego-Temps de Référence - Ego en Mouvement (E-
TR-EM) à ce second mode de représentation temporel (Voir Illustration
2).
QUELQUES