« un spectre hante l europe   le spectre du communisme  » spectre
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« un spectre hante l'europe le spectre du communisme » spectre

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Extrait

« Un spectre hante l'Europe - le spectre du communisme. » Spectre fut donc le premier nom, à l'ouverture du Manifeste du parti communiste. Dès qu'on y prête attention, on ne peut plus compter les fantômes, esprits, revenants qui peuplent le texte de Marx. Mais à compter avec eux, pourquoi ne pas interroger aujourd'hui une spectropoétique que Marx aurait laissé envahir son discours? Spectres de Marx commence par la critique d'un nouveau dogmatisme, c'est-à-dire d'une intolérance : « Tout le monde le sait, sachez-le, le marxisme est mort, Marx aussi, n'en doutons plus. » Un « ordre du monde » tente de stabiliser une hégémonie fragile dans l'évidence d'un « acte de décès ». Le discours maniaque qui domine alors a la forme jubilatoire et obscène que Freud attribue à une -phase triomphante dans le travail du deuil. (Refrain de l'incantation « le cadavre se décompose en lieu sûr, qu'il ne revienne plus, vive le capital, vive le marché, survive le libéralisme économique ! ») Exorcisme et conjuration. Une dénégation tente de neutraliser la nécessité spectrale, mais aussi l'avenir d'« un » « esprit » du marxisme. « Un » « esprit»: l'hypothèse de cet essai, c'est qu'il y en a plus d'un. La responsabilité finie de l'héritier est vouée au crible. Elle réaffirme un possible et non l'autre. Comment ce discernement critique se rapporte-t-il à l'exigence hypercritique - ou plutôt déconstructrice - de la responsabilité? Distinguant entre la justice et le droit, croisant les thèmes de l'héritage et du messianisme, Spectres de Marx est surtout le gage - ou le pari intempestif - d'une prise de position : ici, maintenant, demain. Sa portée s'inscrit, en abrégé, à l'angle de quelques intersections : 1. la conspiration des forces dans une dénégation assourdissante- la « mort de Marx » ; 2. l'espace géo-politique dans lequel résonne cette clameur; 3. une « graphique » de la spectralité (irréductible à l'otologie - dialectique de l'absence, de la présence ou de la puissance -, elle se mesure à cette nouvelle donne, et d'abord à ce que la télé-technoscience des « médias » ou la production du « synthétique », du « prothétique » et du « virtuel » transforme plus vite que jamais, dans la structure du vivant ou de l'événement, comme dans la chose publique, l'espace de la représentation politique ou l'État) 4. l'articulation d'une « spectrographie » avec la chaîne d'un discours déconstructif (sur le spectre en général, la différance, la trace, l'itérabilité, etc.) mais aussi avec ce que Marx en esquisse. Et qu'il n'en esquive pas moins : « en même temps », « à la fois». Spectres de Marx Jacques Derrida © Éditions Galilée, 1993 9, rue Linné, 75005 Paris ISBN 2-7186-EI429-8 ISSN 0768-2395 JACQUES DERRIDA Spectres de Marx L'État de la dette, le travail du deuil et la nouvelle Internationale Galilée À l'origine de cet ouvrage, une conférence prononcée au cours de deux séances, le 22 et le 23 avril 1993, à l'université de Californie (Riverside). Cette conférence ouvrait alors un colloque international organisé par Bernd Magnus et Stephen Cullenberg sous un titre joueur et ambigu, « Whither marxism ?» : « Où va le marxisme ? », certes, mais aussi, en sous-main, « le marxisme est-il en train de dépérir (wither) ? » Augmenté, précisé, ce texte garde néanmoins la structure argumentative, le rythme et la forme orale de la conférence. Les notes y furent ajoutées après coup, bien entendu. Quelques développements nouveaux apparaissent entre crochets. Un nom pour un autre, une partie pour le tout : on pourra toujours traiter la violence historique de l'Apartheid comme une métonymie. Dans son passé comme dans son présent. Selon des voies diverses (condensation, déplacement, expression ou repré- sentation), on pourra toujours déchiffrer à travers sa singularité tant d'autres violences en cours dans le monde. À la fois partie, cause, effet, symptôme, exemple, ce qui se passe là-bas traduit ce qui a lieu ici, toujours ici, où que l'on soit et que l'on regarde, au plus près de soi. Responsabilité infinie, dès lors, repos interdit pour toutes les formes de bonne conscience. Mais on ne devrait jamais parler de l'assassinat d'un homme comme d'une figure, pas même une figure exemplaire dans une logique de l'emblème, une rhétorique du drapeau ou du martyre. La vie d'un homme, unique autant que sa mort, sera toujours plus qu'un paradigme et autre chose qu'un symbole. Et c'est cela même que devrait toujours nommer un nom propre. 11 Spectres de Marx disciple ou du maître à l'esclave (« je vais t'apprendre à vivre, moi »). Telle adresse hésite alors : entre l'adresse comme expé- rience (apprendre à vivre, n'est-ce pas l'expérience même ?), l'adresse comme éducation et l'adresse comme dressage. Mais apprendre à vivre, l'apprendre de soi-même, tout seul, s'apprendre soi-même à vivre («je voudrais apprendre à vivre enfin ») n'est-ce pas, pour un vivant, l'impossible ? N'est-ce pas ce que la logique elle-même interdit ? Vivre, par définition, cela ne s'apprend pas. Pas de soi-même, de la vie par la vie. Seulement de l'autre et par la mort. En tout cas de l'autre au bord de la vie. Au bord interne ou au bord externe, c'est une hétérodidactique entre vie et mort. Rien n'est plus nécessaire pourtant que cette sagesse. C'est l'éthique même : apprendre à vivre - seul, de soi-même. La vie ne sait pas vivre autrement. Et fait-on jamais autre chose qu'apprendre à vivre, seul, de soi-même ? Étrange engagement pour un vivant supposé vivant, dès lors, que celui-ci, à la fois impossible et nécessaire : « Je voudrais apprendre à vivre. » Il n'a de sens et ne peut être juste qu'à s'expliquer avec la mort. La mienne comme celle de l'autre. Entre vie et mort, donc, voilà bien le lieu d'une injonction sentencieuse qui affecte toujours de parler comme le juste. Ce qui suit s'avance comme un essai dans la nuit - dans l'inconnu de ce qui doit rester à venir -, une simple tentative, donc, pour analyser avec quelque conséquence un tel exorde « Je voudrais apprendre à vivre. Enfin. » Enfin quoi. Cela ne peut se passer, si cela reste à faire, apprendre à vivre, qu'entre vie et mort. Ni dans la vie ni dans la mort seules. Ce qui se passe entre deux, et entre tous les « deux » qu'on voudra, comme entre vie et mort, cela ne peut que s'entretenir de quelque fantôme. Il faudrait alors apprendre les esprits. Même et surtout si cela, le spectral, n'est pas. Même et surtout si cela, ni substance ni essence ni existence, n'est jamais présent comme tel. Le temps de 1'« apprendre à 14 Exorde vivre », un temps sans présent tuteur, reviendrait à ceci, l'exorde nous y entraîne : apprendre à vivre avec les fantômes, dans l'entretien, la compagnie ou le compagnonnage, dans le commerce sans commerce des fantômes. À vivre autrement, et mieux. Non pas mieux, plus justement. Mais avec eux. Pas d'être-avec l'autre, pas de socius sans cet avec-là qui nous rend l'etre-avec en général plus énigmatique que jamais. Et cet être-avec les spectres serait aussi, non seulement mais aussi une politique de la mémoire, de l'héritage et des générations. Si je m'apprête à parler longuement de fantômes, d'héritage et de générations, de générations de fantômes, c'est-à-dire de certains autres qui ne sont pas présents, ni présentement vivants, ni à nous ni en nous ni hors de nous, c'est au nom de la justice. De la justice là où elle n'est pas encore, pas encore là, là où elle n'est plus, entendons là où elle n'est plus présente, et là où elle ne sera jamais, pas plus que la loi, réductible au droit. Il faut parler du fantôme, voire au fantôme et avec lui, dès lors qu'aucune éthique, aucune politique, révolutionnaire ou non, ne paraît possible et pensable et juste, qui ne reconnaisse à son principe le respect pour ces autres qui ne sont plus ou pour ces autres qui ne sont pas encore là, présentement vivants, qu'ils soient déjà morts ou qu'ils ne soient pas encore nés. Aucune justice — ne disons pas aucune loi et encore une fois nous ne parlons pas ici du droit ¹ - ne 1. Sur une distinction entre la justice et le droit, sur l'étrange dissymétrie qui affecte la différence et la co-implication entre ces deux concepts, sur certaines conséquences qui s'ensuivent (notamment quant à une certaine indéconstructibilité de la « justice » — mais on peut lui donner d'autres noms), qu'on me permette de renvoyer à « Force of law, " The mystical foundation of authority " » (dans Deconstruction and the Possibility of Justice, tr. M. Quaintance, ed. D. Cornell, M. Rosenfeld, D.G. Carlson, Routledge, New York, London, 1992. En allemand, Gesetzeskraft, " Der mystische Grund der Autorität ", tr. A. Garcia Dütt- mann, Suhrkamp, 1991.) A paraître aux Editions Galilée en 1994. 15 Spectres de Marx paraît possible ou pensable sans le principe de quelque res- ponsabilité, au-delà de tout présent vivant, dans ce qui disjointe le présent vivant, devant les fantômes de ceux qui ne sont pas encore nés ou qui sont déjà morts, victimes ou non des guerres, des violences politiques ou autres, des exterminations nationalistes, racistes, colonialistes, sexistes ou autres, des oppressions de l'impérialisme capitaliste ou de toutes les formes du totalitarisme. Sans cette non-contemporaneité à soi du présent vivant, sans ce qui secrètement le désajuste, sans cette res- ponsabilité et ce respect pour la justice à l'égard de ceux qui ne sont pas là, de ceux qui ne sont plus ou ne sont pas encore présents et vivants, quel sens y aurait-il à poser la question « où ? », « où demain ? » (« whither ? »). Cette question arrive, si elle arrive, elle questionne au sujet de ce qui viendra dans l'à-venir. Tournée vers l'avenir, allant vers lui, elle en vient aussi, elle provient de. Elle doit donc excéder toute présence comme présence à soi. Du moins doit-elle ne la rendre possible, cette présence, que depuis le mouvement de quelque désajointement, disjonction ou dis- proportion : dans l'inadéquation à soi. Or si cette question, dès lors qu'elle vient à nous, ne peut certes venir que
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