Rhétorique et testaments : formes antérieures de l utopie ? (2e Partie) - article ; n°18 ; vol.9, pg 93-100
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Rhétorique et testaments : formes antérieures de l'utopie ? (2e Partie) - article ; n°18 ; vol.9, pg 93-100

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Description

Médiévales - Année 1990 - Volume 9 - Numéro 18 - Pages 93-100
8 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1990
Nombre de lectures 99
Langue Français

Extrait

Monsieur Denis Hüe
Rhétorique et testaments : formes antérieures de l'utopie ? (2e
Partie)
In: Médiévales, N°18, 1990. pp. 93-100.
Citer ce document / Cite this document :
Hüe Denis. Rhétorique et testaments : formes antérieures de l'utopie ? (2e Partie). In: Médiévales, N°18, 1990. pp. 93-100.
doi : 10.3406/medi.1990.1170
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/medi_0751-2708_1990_num_9_18_1170Médiévales 18, printemps 1990, p. 93-100
Denis HÙE
RHÉTORIQUE ET TESTAMENTS :
FORMES ANTÉRIEURES DE L'UTOPIE ?
2e Partie
Utopie d'outre-tombe
Quoi qu'on fasse, c'est le modèle religieux qui restera longtemps
le modèle de la perfection, le utopique d'un univers abouti.
D'une certaine façon, et c'est là la fin de notre itinéraire, c'est au
fur et à mesure que les textes poétiques s'approchent d'une certaine
image de la religion que l'utopie prend lieu.
S'approcher de la religion : c'est-à-dire, s'approcher de sa mort.
Représentation du vif, anticipation de sa propre mort, le testament
est le genre littéraire qui, le plus évidemment, va nous mettre au bord
de ce qui serait et pourra être une forme d'utopie.
C'est qu'au-delà du genre juridique qu'est, strictement, le testa
ment, il ne faut pas oublier de quel travail de mise en scène la mort
est l'objet à la fin du Moyen Age. On a amplement traité ce sujet,
je me contenterai ici d'en rappeler quelques traits. La mort, à la fois
espérance de la vie parfaite et absolue à venir, est aussi la crainte
de l'enfer, figurée par toute une série de textes moraux, et surtout,
de la corruption de la chair. L'enfer, pour l'homme de la fin du
Moyen Age, c'est d'imaginer son propre corps réduit à la putréfact
ion, et dévoré aux vers. Plus exactement encore, de sentir physique
ment sa propre dévoration, sa propre putréfaction. C'est cela le comble
de l'horreur, l'objet chéri des sermons édifiants des frères prêcheurs.
L'horrible dans des textes comme les Dits des Trois Morts et des Trois
Vifs n'est pas de rencontrer un cadavre, mais de rencontrer le sien
propre.
C'est que la mort est spectaculaire ; immobile, inerte, elle se prête
idéalement à une représentation, à une mise en image, sculpture ou
enluminure. Certes, on peut évoquer les gisants de tous les tombeaux ; mais surtout, pensons aux pleurants, ceux par exemparistocratiques
le qui entourent les tombeaux des ducs de Bourgogne, figés dans une
procession sans fin, lovée sur elle-même, celle-là qui accompagna les
corps des ducs au long du cortège qui les ramena à Dijon. Images
symbolisées de la douleur, épurées dans les plis des vêtements, repré
sentations exemplaires du planctus que le bon vassal doit à son maît
re parfait. C'est eux, les vivants, qui nous retiendront aujourd'hui :
non pas la mise en scène de leur douleur, extraordinairement rendue
par À. Le Moiturier, mais l'ordonnancement général de la cérémon
ie, la mise en ordre définitive du geste, de la mémoire, de la perfec
tion emblématique.
Plus que la constatation dystopique d'un monde amoureux de la
chair que nous offrent par exemple les danses macabres, et que rien
de constructif ne vient racheter, pas même paradoxalement l'espoir
du salut, c'est cette mise en scène, cette mise en ordre qui est mise
en évidence dans les testaments.
Car il s'agit ici d'un genre littéraire à part entière. Sans compter
les deux Testaments de Villon, sur lesquels on reviendra, il faut bien
voir que d'innombrables textes, Testament Fin Ruby de Turquie, de
Jenin de Lesche, du Chevalier des Barres, de François Levrault, d'un
Amoureux, de la Guerre... attestent la vivacité d'un genre,
modèle ; la nécessité aussi d'un type de discours, dont on va voir en
quoi il peut nous intéresser.
L'amour, la mort et l'utopie
Le premier qui nous retiendra, un des plus anciens, mais aussi
un des plus intéressants en ce qu'il contient en germe, est un texte
de la première moitié du XVe siècle, attribué à Pierre de Hauteville,
prince d'Amour de la Cour Amoureuse Paris, compagnon du Chapel
Vert à Tournai. Intégré dans la grande compilation qu'est le Jardin
de Plaisance, le texte a l'intérêt d'être, d'une part un des plus anciens,
d'autre part un de ces textes proches de l'authenticité de la vie quoti
dienne : c'est la ressemblance du poème avec le testament authenti
que de Pierre de Hauteville qui a contribué à lui attribuer la pater
nité de ce texte poétique.
Ici, ce qui nous intéresse, c'est la double orientation du texte ;
dans un premier temps, le poète fait ses legs à toutes sortes d'amour
eux. Dans un deuxième temps, il met en ordre, en place sa propre
mort, son propre enterrement. La mort même du poète est prévue,
annoncée dans les derniers vers du Testament :
« A ce coup, l'esperit rendray,
Ne point plus avant passeray,
Car icy dois finer mon terme,
Je m'en vois, plus je ne vivray ; 95
Adieu. Jamais ne vous verray :
Je vous recommande mon ame1. »
Ainsi, les deux composantes se rejoignent ; dans un cas comme
dans l'autre, il s'agit de régler, de mettre en ordre. De proposer, pour
un avenir inexistant, comme la belle image de ce que l'on désire, de
ce qu'on ordonne représentatif de soi, du temps que l'on a
passé sur terre, de l'image surtout que l'on se fait d'un monde en
place, d'un monde en ordre, d'un monde accompli.
L'amoureux règle les détails de son enterrement, comme d'un
spectacle, « tout autrement qu'on a coustume de faire » dit le texte ;
la couleur du deuil, pour lui, sera de rouge et de vert, ses armes,
spécialement blasonnées pour la circonstance, seront
«... de noir basty
sur ung champ bleu tout amorty
Dedans lequel entre deux "m**
y aura ung cueur myparty
de dueil et de douleur mysorty (sic)
et le champ tout batu en lermes »2.
Son corps ne sera pas tout de suite enterré, on attendra quelques
heures ; surtout, dans une sorte d'autopsie, l'amoureux réclame que
la partie de son corps qu'aura touchée la mort soit jetée :
« Car après moy ne vueil que habite :
Tout le demourrant gasteroit,
Et plus tost pourrir le feroit3... »
Ainsi, laisser le monde derrière soi, c'est l'ordonner une dernière
fois, selon son vœu ; s'espérer immortel ; pouvoir aussi donner à cha
cun non seulement ce que l'on a : son âme, son corps, l'une que l'on
rend à Dieu, l'autre qu'on abandonne à la terre, ses biens matériels,
que généralement on laisse à ses enfants, mais surtout ce que l'on
n'a pas, les conseils, la sagesse, l'ordre du monde. Regardons les legs
de l'Amoureux Oultré d'Amours. Ce qu'il offre, ce qu'il laisse, c'est
l'image d'un monde codifié, où les gens comme les comportements
ont leur place ; place parodique, place psychologiquement souvent plus
vraie qu'inattendue :
« Je laisse aux povres amoureux
Qui sont courcez et douloureux
f° CCLVIII 1. Le Jardin b. de Plaisance et fleur de Rhétorique, rééd. Droz-Piaget, SA.T.F., 1890,
2. Id., f° CCLV b.
3. Id., f° v° a. En cueur sans monstrer semblant,
Faire rondeaulx avantureux,
Rire et plorer, et tout pour eulx
Puis entrer en fièvre tremblant.
Aux autres, plus grief ment malades
Qui en faisant leurs embassades
Ont esté chassez par Danger,
Laisse envoyer virlaiz et balades,
Et faire brusler et escardes
Pour par despit eu en vanger4. »
Partant de l'image habituelle de l'amoureux transi, le poète pro
pose à la suite, dans une série d'antiphrases certes topiques de l'épo
que, celle du poète joyeux et fiévreux à la fois. Plus, ceux qui brû
lent d'amour seront chargés de faire le guet, la nuit à l'huis de leur
bien-aimée, au froid... Les souffreteux seront vantés par les flatteurs
qui feront les entremetteurs, avec plus ou moins de succès. Les déconf
ortés rêveront, avec plus ou moins de raison, des réussites idéales.
Chaque strophe nous propose, en quelques lignes, un tableau qui, à
la façon des pronostications, montre un monde, l'accepte comme tel,
dans un tableau qui à la fois décrit de façon lucide et idéalise, exem-
plarise la société

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