Constitution des rôles masculins et féminins au XIXe siècle : la voie des larmes - article ; n°4 ; vol.42, pg 925-954

Anne Vincent-Buffault

Description

Annales. Économies, Sociétés, Civilisations - Année 1987 - Volume 42 - Numéro 4 - Pages 925-954
The Constitution of Masculine and Feminine Roles in the 19th Century: the Way of Tears.
Using literary sources and intimate writings associated with normative discourses (e.g. medical writings and treatises on savoir-vivre), we study here how the status of tears figures in the distribution of feminine and masculine roles in the 19th century. Unlike the 18th century in which tears of emotionality shed by men and women were conspicuously displayed, in the 19th century one was more reserved about crying in public; men could only allow themselves rare emotional outbursts in which they gave vent to their intimate suffering in private. But it was above all in the second half of the 19th century that a backlash began against cheap sentimentality and displays of emotion. Women came to be considered effected by the weakness of their nervous Systems. Mastery of one's social and sexual feelings involved an education of the will prohibiting men to cry except when mourning the loss of a loved one.
30 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Sociologie, société et politique

Informations

• Publié par: ANNALES_ECONOMIES_SOCIETES_CIVILISATIONS
• Publié le: 01 janvier 1987
• Nombre de lectures: 18
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 2 Mo

Extrait

Anne Vincent-Buffault
Constitution des rôles masculins et féminins au XIXe siècle : la
voie des larmes
In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 42e année, N. 4, 1987. pp. 925-954.
Abstract
The Constitution of Masculine and Feminine Roles in the 19th Century: the Way of Tears.
Using literary sources and intimate writings associated with normative discourses (e.g. medical writings and treatises on "savoir-
vivre"), we study here how the status of tears figures in the distribution of feminine and masculine roles in the 19th century. Unlike
the 18th century in which tears of emotionality shed by men and women were conspicuously displayed, in the 19th century one
was more reserved about crying in public; men could only allow themselves rare emotional outbursts in which they gave vent to
their intimate suffering in private. But it was above all in the second half of the 19th century that a backlash began against cheap
sentimentality and displays of emotion. Women came to be considered effected by the weakness of their nervous Systems.
Mastery of one's social and sexual feelings involved an education of the will prohibiting men to cry except when mourning the
loss of a loved one.
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Vincent-Buffault Anne. Constitution des rôles masculins et féminins au XIXe siècle : la voie des larmes. In: Annales. Économies,
Sociétés, Civilisations. 42e année, N. 4, 1987. pp. 925-954.
doi : 10.3406/ahess.1987.283425
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1987_num_42_4_283425ANNE VINCENT-BUFFAULT
CONSTITUTION DES LES MASCULINS ET MININS
AU XIXe SI CLE LA VOIE DES LARMES
Les larmes plus un nouvel objet histoire dessinent une scène où se
noue et se dénoue une série de signes et de codes La propension verser des
pleurs constitue souvent un facteur de distinction sexuelle mais son apparte
nance la sphère féminine est plus ou moins tranchée certaines époques et
dans des circonstances précises il est possible et même recommandé aux
hommes de pleurer La figure changeante de individu en larmes permet ainsi
éclairer les partages symboliques entre rôles féminins et masculins et imagi
naire du corps auquel ils sont associés
Hélène Monsacré1 récemment étudié comment dans Iliade les rôles
masculins et féminins se distribuaient travers les larmes pour elle les pleurs
féminins part ceux Hélène renvoient une douleur passive dont idéal
type serait la lamentation funèbre tandis que les héros masculins qui pleurent
tous manifestent de cette fa on une souffrance active un supplément énergie
virile qui est refusé aux femmes La douleur du héros qui se développe bruyam
ment par des sanglots participe des valeurs masculines de héroïsme Dans le
monde grec il faut attendre la période classique pour que les hommes fassent
aux femmes le don des larmes en les considérant comme une manifestation de
faiblesse et de vulnérabilité
Plus près de nous se dessine un autre cycle de transformations Au
xvne siècle les hommes pleuraient en public hui la chose est devenue
plus difficile et plus rare Les femmes seules conservent ce droit pour com
bien de temps encore se demande Norbert Elias2 en donnant ce problème
une singulière acuité Si usage des larmes en public été progressivement
réservé aux femmes on peut chercher comprendre comment la pratique des
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larmes est intimisee de fa on différente selon les sexes Et les larmes que
les hommes ont appris réserver la sphère privée seront bientôt les seules que
les femmes pourront autoriser Roland Barthes est déjà penché sur ce pro
cessus en observant lui aussi que les hommes pleuraient au théâtre au
xvne siècle Depuis quand les hommes et non les femmes ne pleurent-ils
plus Pourquoi la sensibilité est-elle un certain moment retournée en
sensiblerie3 Sur échelle des valeurs morales la manifestation des senti
ments par les larmes est passée de exaltation au dénigrement et on va ironiser
sur ce qui auparavant témoignait une qualité inestimable Ce renversement
de quoi susciter la curiosité autant il engage une nouvelle définition des
rôles masculins et féminins
Cette habitude de verser des larmes au théâtre ne est pas perdue au
xviiie siècle essor de la comédie larmoyante les développements du rous-
seauisme et de la littérature sentimentale affirmation de la sensibilité et de la
compassion philanthropique ont accentué le phénomène de valorisation des
larmes masculines Dans la littérature la douceur des pleurs se trouve exaltée
comme une expérience privilégiée de découverte de soi Signe partagé dans
intimité les larmes échangent en famille se mêlent entre amants ou entre
amis Pures fictions romanesques Non puisque les relations privées sont valo
risées et expression des émotions mise honneur Dans les salles de spec
tacle les larmes se répandent grand déploiement de mouchoirs Grâce la
comédie larmoyante le public de théâtre offre le spectacle de la sensibilité en
pleurant sur des familles aimantes et de vertueux amants opposant au
modèle de Cour le public de la Ville célèbre émotion privée en pleurant collec
tivement sur des drames domestiques Dans les salons on se raconte des récits
pathétiques ou des traits humanité en versant de douces larmes Idéalement
les pleurs doivent circuler entre les hommes comme le langage universel de la
Nature ainsi nul moins être barbare ne peut rester insensible la douleur
autrui Malgré tout ces fa ons de pleurer valorisées pour les hommes se
trouvent distinguées des réactions émotives non raffinées que connaissent sou
vent les femmes et les enfants Car les larmes de sensibilité sont liées une
éthique en action et un art de vivre Dans une lettre Sophie Voland Diderot
cite parmi les conditions du vrai bonheur Une émotion forte qui amène les
larmes aux bords des paupières qui fait palpiter le ur qui coupe la voix qui
ravit extase soit elle naisse ou du récit une action généreuse ou un sen
timent de tendresse. Si le corps participe émotion exaltée elle est pas
déterminée par lui on est un homme on pleure de tendresse et surtout
admiration Cette définition de la sensibilité explique pourquoi les hommes
pleurent en public selon des formes précises sans craindre de passer pour
faibles
Durant le xixe siècle amorce un processus spécifique de féminisation des
larmes Il ne agit donc pas seulement de dénoncer la misogynie ambiante
qui pousserait les hommes dénigrer la trop grande faculté de pleurer des
femmes cet égard on est déjà moqué au xvnie siècle des femmes pleu
rant pour des petits riens tandis on aimait par dessus tout un homme
verse une larme audition un récit pathétique Il est bien plus intéressant de
comprendre comment les nouveaux impératifs de la civilité jouent sur la distri
bution des rôles masculins et féminins au point interdire les larmes aux
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hommes Même si les larmes versées par les romantiques forment une image qui
vient immédiatement esprit elles rompent avec le style de la sensibilité des
Lumières et se présentent comme une expérience intime privilégiée La privati
sation des larmes déjà uvre dans la première moitié du xixe siècle trans
forme le langage de émotion en jouant particulièrement sur les différences
entre hommes et femmes La capacité de pleurer des femmes soulève la
méfiance des hommes tandis que émotion masculine valorisée réclame des
larmes rares Cette transformation va en accentuant en 1873 le rédacteur du
dictionnaire Larousse du xixe siècle déclare Dans les sociétés modernes
acte de répandre des larmes est regardé chez les hommes comme une fai
blesse Nous avons laissé les larmes aux femmes et on peut dire elles en
abusent Quand les larmes deviennent un signe féminisé économie de ce
signe corporel en est profondément modifiée Preuve de faiblesse chez les
hommes elles sont abandonnées aux femmes et se trouvent ainsi doublement
dévaluées puisque les femmes en font un usage excessif immodéré La figure de
homme en larmes paraît dès lors troublante elle met en jeu la défini
tion même du rôle masculin dans le nouveau régime des comportements qui
élabore au xixe siècle image un homme en larmes est rarement tolerable
Le discours sur les pleurs des femmes illus