Du Moyen Âge à nos jours : européo-centrisme et découverte du Tiers Monde - article ; n°3 ; vol.21, pg 465-487
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Description

Annales. Économies, Sociétés, Civilisations - Année 1966 - Volume 21 - Numéro 3 - Pages 465-487
23 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1966
Nombre de lectures 28
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Ignacy Sachs
Du Moyen Âge à nos jours : européo-centrisme et découverte
du Tiers Monde
In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 21e année, N. 3, 1966. pp. 465-487.
Citer ce document / Cite this document :
Sachs Ignacy. Du Moyen Âge à nos jours : européo-centrisme et découverte du Tiers Monde. In: Annales. Économies,
Sociétés, Civilisations. 21e année, N. 3, 1966. pp. 465-487.
doi : 10.3406/ahess.1966.421392
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1966_num_21_3_421392ÉTUDES
DU MOYEN AGE A NOS JOURS :
Européo-centrisme
et découverte du Tiers Monde
appelons comme and consiste « He Nous island nous. is à barbares n'aimerions a are être barbarian » the (La épouvantés laws ; Bruyère, et, pas of and s'il nature. à de y thinks être a Caract., voir en » traités (G. that nous d'autres B. the xn, ainsi Shaw, quelque customs 22). peuples de Britannus). ceux barbarie, of raisonner que his nous tribe elle
En 1905, Vlaminck et Matisse « découvrirent » la sculpture africaine.
Cette découverte fut à certains égards aussi importante pour l'esthé
tique que la découverte de l'Amérique l'avait été pour les représentations
que le xvie siècle se faisait de l'homme. Élargissant leurs horizons
et les incitant à une plus grande liberté artistique, elle confirma ces
peintres dans leur recherche esthétique et les aida à dépasser les tra
ditions de la culture européenne г. Un nouveau rapport s'établit avec
les créations artistiques des autres continents. On ne se borna plus
à leur emprunter occasionnellement des thèmes, des couleurs ou des
techniques. On chercha à les intégrer dans une synthèse. L'engouement
des impressionnistes pour les peintres japonais annonçait déjà ces
tendances nouvelles. Mais, à la différence de celui des grandes civil
isations de l'Asie, l'art africain était resté ignoré et sa révélation provoqua
un choc d'autant plus grand que les artistes de l'Europe étaient eux-
mêmes à la veille d'accomplir une révolution esthétique beaucoup
plus radicale que l'impressionnisme.
Deux questions surgissent : comment expliquer que cette découverte
des arts dits primitifs ait été si tardive ? Comment rendre compte de l'i
nfluence soudaine qu'ils eurent sur les créations artistiques de l'Europe ?
La première question ne soulève guère de difficultés. La colonisation
de l'Afrique avait été — selon une expression de Conrad — une « danse
joyeuse de la mort et du commerce » et, à quelques exceptions près,
1. La critique moderne s'accorde pour interpréter de cette façon l'influence de la
statuaire africaine sur les fauves, les cubistes et Picasso. Cf. M. Raynal, Picasso,
Genève 1953, p. 38 et suiv. ; G. Habasque, Le Cubisme, Genève, 1959, p. 17.
465
Annales (21* année, mai-juin 1966, n° S) 1 ANNALES
comme celle du jésuite A. Kircher qui, au xvne siècle, avait rassemblé
une collection de statuettes du Congo, les explorateurs, les colonisateurs
et même les missionnaires avaient bien d'autres soucis que d'admirer
la sculpture africaine 1. La même indifférence envers les arts préco
lombiens avait d'ailleurs accompagné la découverte du Nouveau
Monde. Si Durer avait admiré la beauté des objets ramenés à la cour
espagnole par Cortez, en 1875, lors d'un Congrès américaniste tenu
à Nancy, le curateur d'une importante collection européenne refusait
encore toute valeur esthétique à Г art-colombien et tout sens moral
aux premiers habitants de l'Amérique 2.
La seconde question appelle des réponses plus complexes : d'abord
comme on l'a dit, l'art africain révélait une esthétique qui allait dans le
sens des recherches effectuées par ceux qui allaient devenir les « fauves »
et les cubistes. Ensuite, l'écart entre les traditions et les styles qui se
trouvaient soudain confrontés était tel qu'il allait en résulter un véritable
choc. Par ailleurs, l'influence africaine se fit surtout sentir sur la musique
et les arts plastiques, plus ouverts aux influences extérieures parce
qu'ils sont asémantiques. Enfin, comme l'a souligné Henri Moore,
la photographie avait familiarisé les artistes modernes avec trente
mille ans de sculpture mondiale : la révélation des arts préhistoriques
et de ceux de l'Asie, de l'Amérique et de l'Océanie a ainsi contribué
à ruiner l'emprise du classicisme de la Grèce et de la Renaissance sur
l'esprit européen 3.
Mais en va-t-il de même dans les autres domaines de la pensée et
de l'action ? Dans quelle mesure l'Europe, dont d'ailleurs les frontières
ont changé au cours des temps et dont la civilisation s'étend maintenant
sur le continent américain et l'Australie, est-elle capable de dépasser
les attitudes d'esprit européo-centriques qui l'incitent constamment
à juger de tous les problèmes en fonction de ses propres valeurs ? 4
« Depuis trois ou quatre cent ans que les habitants de l'Europe
inondent les autres parties du monde et publient sans cesse de nouveaux
recueils de voyages et de relations, je suis persuadé que nous ne connais-
1. M. Leikis dans Ъе Courrier de VUnesco (Décembre 1965, pp. 10-12) dresse
une liste sommaire de voyageurs qui, avant la fin du xixe siècle, ont parlé avec
faveur de l'art africain. Il considère par ailleurs l'ouvrage de Cari Einstein, intitulé
Negerplastik (Leipzig 1915) comme la première étude esthétique importante mettant
en valeur la statuaire africaine.
2. Cf. dans le même numéro du Courrier de VUnesco, l'article de H. Lehmann
sur l'art de l'Amérique pré-colombienne, p. 27.
3. Cf. H. Moore, A View of Sculpture (1930), reproduit dans D. Sylwestek,
Henri Moore, I, Sculpture and Drawings 1921-1948, Londres, 1957.
4. Cf. « L'Europe étant une construction de l'esprit humain à partir d'une réalité
géographique mal délimitée, il y a eu depuis que les hommes y réfléchissent une immense
variété d'Europes » (J. B. Dxiroselle, L'idée d'Europe dans l'Histoire, Paris, 1965,
p. 25).
466 DÉCOUVERTE DU TIERS MONDE
sons que les seuls Européens 1. » Cette phrase de Rousseau, vieille de
deux cents ans, fait écho à l'exclamation de Rabelais lorsque, dans
la fameuse Histoire des Gorgias, il fait découvrir un royaume entre les
dents de Pantagruel : « Là commençay penser qu'il est bien vray ce
que l'on dit, que la moytié du monde ne sçait comment l'autre vit » 2.
Rousseau attribuait cette méconnaissance de l'univers au fait
que seuls voyageaient les marins, les commerçants et les missionnaires.
Depuis lors, bien d'autres catégories d'Européens — aviateurs, poli
ticiens, touristes, sportifs, etc. — se sont mis à voyager. Mais les paroles
de Rousseau et de Rabelais ont-elles, pour autant, perdu toute actual
ité ?
Selon une remarque de Sartre, la population du monde se composait,
naguère encore, d'un quart d'hommes et de trois quarts d'indigènes.
« Les premiers disposaient du Verbe, les autres l'empruntaient » 3.
Depuis lors la situation a radicalement changé. L'indépendance de
l'Inde4, la révolution chinoise, la conférence de Bandoung, la décolo
nisation 6 etc. ont introduit une des césures les plus importantes de
l'histoire et inauguré la fin de l'époque de Vasco de Gama.
Nous venons de découvrir le Tiers Monde, et le dépassement de
Peuropéo-centrisme constitue désormais la dimension philosophique
des problèmes que pose cette découverte. Après avoir, par son expansion,
ruiné les vues ethnocentriques de certains des peuples soumis à sa domi
nation coloniale, l'Occident s'est enfermé dans une vision de l'histoire
centrée sur lui-même e alors que d'autres peuples sont maintenant
conduits — malgré les difficultés que souligne J. Berque lorsqu'il
rappelle que la pensée anticolonialiste resta longtemps axée sur la
politique des métropoles 7 — à remettre en question cet européo-
centrisme.
Grousset 8, Chabod 9 et plus récemment Baudet l0 voient dans
l'antinomie Grecs-Barbares le point de départ de Peuropéo-centrisme.
Certes, cette antinomie opposait déjà des cultures. Thucydide

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