Etude 2007
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Etude 2007 La laïcité ou la Raison citoyenne Olivier BORUCHOWITCH Regards – Revue juive de Belgique Rue de l’Hôtel des Monnaies 52 – 1060 Bruxelles Tél : 32.2/543.02.80 – Fax : 32.2/537.55.65 regards@cclj.be – www.cclj.be/regards TABLE DES MATIÈRES I. Introduction ............................................................................................... 3 II. Aux confins de conceptions contradictoires : qu’est-ce que la laïcité ?..6 1. Etymologie grecque ................................................................................. 6 2. Acception chrétienne................................................................................ 7 3. Acception moderne .................................................................................. 8 III. La tolérance garantie et définie par l’Etat : les sources majeures de la tolérance préfigurant la tradition laïque....................................................... 11 IV. Entre sécularisation et laïcisation : peut-on catégoriser les formes de la laïcité ?............................................................................................................ 16 V. Conclusion................................................................................................ 21 VI. Bibliographie ........................................................................................... 23 2 I. ...

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Etude 2007 La laïcité ou la Raison cito enne
Olivier BORUCHOWITCH Regards – Revue juive de Belgique Rue de l’Hôtel des Monnaies 52 – 1060 Bruxelles Tél : 32.2/543.02.80 – Fax : 32.2/537.55.65 regards@cclj.be – www.cclj.be/regards
TABLE DES MATIÈRES
I. Introduction ............................................................................................... 3 II. Aux confins de conceptions contradictoires : qu’est-ce que la laïcité ? ..6 1. Etymologie grecque ................................................................................. 6 2.Acceptionchrétienne................................................................................73. Acception moderne .................................................................................. 8 III. La tolérance garantie et définie par l’Etat : les sources majeures de la tolérance préfigurant la tradition laïque....................................................... 11 IV. Entre sécularisation et laïcisation : peut-on catégoriser les formes de la laïcité ? ............................................................................................................ 16 V. Conclusion................................................................................................21 VI. Bibliographie...........................................................................................23
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I. Introduction La résurgence des fanatismes, les pressions exercées sur l’Union européenne visant à inclure les racines et les valeurs chrétiennes dans l’origine du projet européen, la multiplication des foyers communautaristes, sont autant d’exemples illustrant le retour du religieux. Ces dernières années, celui-ci semble bien avoir regagné un terrain considérable sur la Raison. Cette propension au repli vers les religions, vers leurs fondeme nts parfois les plus dogmatiques, c’est-à-dire exempts de tout esprit critique de contextualisation autre que celle d’une herméneutique purement religieuse, comprise dans un espace int erprétatif exclusivement théologique visant à se substituer à la sécularisation de la pensée, des institutions et du dialogue interculturel, fait écho à d’autres phénomènes analogues tout aussi inquiétants autour de l’ethnie, de la langue ou du clan. S’accompagnant fréquemment d’un recul du droit, en particulier de celui des minorités, étrangères aux marqueurs identitaires exclusifs de la majorité dominante, ces restrictions multiples du vivre-ensemble s’inscrivent dans une dynamique contraire au sens du progrès tel qu’il fut envisagé depuis plus de deux siècles avec l’avènement de la Modernité, et singulièrement du projet de la laïcité qui s’est progressivement imposé dans nos pays, non pas contre les peuples, mais au contraire avec leur concours et sous leur impulsion. Faisant face à ces multiples axes de fracture et ces dive rses forces centrifuges qui les traversent, les nations européennes continuent de résister à ces différentes inclinations et de proposer un projet de cohésion sociale fondé sur l’idéal laïque, même si elles n’en utilisent pas toujours la formulation explicite ou si elles ne disposent pas né cessairement d’une séparation totale de l’Eglise et de l’Etat. Pourtant, en dépit des remparts qu’elles ont dressés, elles présentent, çà et là, des fissures préoccupantes par lesquelles s’immiscent ces influences, souvent hostiles à la société moderne. Il serait illusoire de penser que les catalyseurs de l’extrémisme, de la recherche de la domination d’un groupe sur les autres par l’imposition de la conformité des règles de la vie en société à celles de la religion, fussent étrangers à l’histoire même de l’Europe. Au contraire, le passé de l’Europe, des régions, des nations, des Etats qui la composent, atteste des multiples guerres qui ont égrené les relations souvent conflictuelles entre ses différentes entités. Mais depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, sous l’influence de la mémoire des millions de morts causés à la fois par le pangermanisme et l’antisémitisme génocidaire du nazisme, les Etats européens ont décidé de se doter d’une structure commune dans l ’espoir que les survivances de cette histoire tumultueuse et sanguinaire puissent, une fois pour toutes, être contenues et neutralisées. Leur passé respectif les avait portés, au niveau national, à l’instauration progressive d’un système de sécularisation, davantage axé sur la tolérance et l’organisation harmonieuse de la diversité, dans une égalité de traitement de l’ensemble des tendances philosophiques et confessionnelles constituant leurs tissus nationaux. Toutefois, depuis une trentaine d’années, cette volonté d’apaisement et de conciliation pacifique, qui signalait la victoire progressive de l’Etat libéral sur les conservatismes religieux, est entravée par une série de signaux relativement constants envoyés à l’encontre d’un projet commun garantissant la tolérance, la liberté de pensée et l’égalité de traitement : la remise en cause de l’idée de progrès, fortement liée à la Modernité, le retour de l’influence des valeurs traditionnelles ou religieuses, la multiplication de zones de non-droit où s’impose la règle du plus fort, la montée en puissance des communautarismes, etc. En d’autres termes, le néo-tribalisme, c’est-à-dire l’effrangement des sociétés modernes au travers d’organisations
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sociales de repli ou de marqueurs identitaires particularistes, est devenu l’un des facteurs contemporains les plus prégnants de la socialisation, qui fragilise les équilibres institutionnels et les garanties d’un vivre-ensemble fondé sur la tolérance et la Raison. L’introduction de ce que l’on a appelé « le réenchantement du monde » a certes redonné du sens aux projets collectifs, mais au détriment de la neutralité de la vie en commun régissant et rendant possible l’harmonie des valeurs communes transcendant la montée de ces différences socialement revendiquées. Cette propension à la consolidation de nouveaux réseaux identitaires spontanés, décentralisés, ne passant pas par les formes modernes de la socialisation institutionnelle incarnée par l’Etat, est en expansion dans nos pays. Et la multiplication de vecteurs de rassemblement locaux autour de l’ethnie, de la religion ou de la caste, dominées par des règles d’organisation traditionnelles auxquelles échappe tout contrôle de la loi - porteuse de tolérance et d’égalité -, a progressivement contribué à la fragilisation du lien social par intégration civique, dépassée par des structures d’agrégation de proximité et des valeurs fédératives de groupes plus restreints. Ainsi, la médiation de l’Etat dans la constitution du lien social entre les citoyens, et inversement l’espace de représentation symbolique que les citoyens réservent à la fonction de socialisation remplie par l’Etat se sont considérablement rétrécis. Le recul des valeurs fédératrices incarnées par l’Etat citoyen est d’autant plus marqué que la prolifération de nouveaux cercles d’appartenance tend progressivement à se substituer à lui pour sédimenter les identités. Ce phénomène global du néo-tribalisme qui sévit en Europe, vise donc à trouver dans des modes de rapprochement spécifiques autour de valeurs distinctes de celles de la laïcité et de la sécularisation, de nouveaux motifs d’appropriation de marqueurs identitaires d’un groupe donné. Il ne serait pas préoccupant si, à défaut de les renforcer, il venait s’adjoindre aux processus d’intégration civique. Or, et c’est là le cœur du problème, il vise à se substituer à eux pour devenir non pas un modèle complémentaire, mais un modèle achevé de remplacement. Les limites de cette étude ne permettent évidemment pas de considérer de manière globale ces problématiques en les confrontant à la laïcité. En revanche, celles-ci signalent l’impérieuse nécessité de rappeler les principes et les valeurs du projet laïque, qu’il ne faut pas réduire à l’acception restrictive que le vulgum pecus lui prête, en l’opposant à la religion. Au fil du temps, selon les pays et les configurations politiques, la laïcité a pris différents sens mais elle a pour ambition générale de régir le vivre-ensemble dans la concorde, d’administrer dans un débat respectueux des identités de chacun, les différentes appartenances incluses à l’intérieur d’un espace politique donné. Elle propose, en réalité, un modèle unique de mise en relation harmonieuse, fondée sur la tolérance, entre les principales composantes de la diversité de la société civile et l’institution qui la gouverne, investie d’une position d’arbitre neutre organisant et garantissant l’égalité de l’ensemble des opinions et courants philosophiques ou confessionnels à partir d’un point de vue qui, idéalement - mais, comme nous le verrons, pas toujours pratiquement - n’en épouse aucun. Il n’est donc pas inutile de rappeler les fondements principiels du projet fédérateur de la laïcité, qui constituent le meilleur rempart possible devant la montée du néo-tribalisme. A cette fin, dans la première partie de cette étude, nous essaierons de circonscrire et de préciser les différentes définitions dans lesquelles le sens de la laïcité se déploie. Ce préalable est
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particulièrement décisif pour appréhender dans le détail les diverses acceptions du terme auxquelles renvoie le concept de laïcité et pour identifier l’esprit du projet dont il est porteur. Dans un deuxième temps, nous analyserons certains des textes fondateurs importants qui ont construit et structuré les valeurs de la laïcité, dessinant les contours d’une société ouverte et tolérante, instituant l’Etat comme le garant de la cohésion sociale par le respect dans une stricte égalité, de la liberté des croyances et des convictions de chacun. Dans la dernière partie de ce travail, nous nous pencherons sur plusieurs cas de figures, illustrant différentes versions de la laïcité, au travers de l’opposition ou au contraire de la soumission des Eglises au mouvement global de libéralisation et de sécularisation des sociétés.
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II. Aux confins de conceptions contradictoires : qu’est-ce que la laïcité ? Pour comprendre la laïcité, il faut d’abord saisir le sens précis que le concept recouvre. Au fil des siècles, des historicités et des régions dans lesquelles elle s’est propagée, la désignation laïque a pris des sens différents, voire contradictoires. Il n’est donc pas inutile d’éclairer ce qu’elle recouvre, en examinant ses différentes acceptions qui ne sont pas mutuellement exclusives. Afin de les exposer de la manière la plus structurée, nous avons choisi de distinguer trois moments : la racine étymologique grecque, l’acc eption chrétienne et l’acception moderne. Cette logique d’exposition est assez classique et apparaît fréquemment dans les analyses de l’histoire de la laïcité. 1 1. Etymologie grecque Si l’on veut penser la visée laïque, on ne peut faire abstraction de la réalité sociétale à laquelle elle se rapporte parce que celle-ci touche aux fondements principiels de sa vision de la nation, qui se trouve intrinsèquement liée au concept du « laos », lequel renvoie à la notion de peuple, compris comme une unité 2 . Comme le précise Henri Pena-Ruiz : « L’origine étymologique du mot « laïcité » est très instructive. Le terme grec, laos, désigne l’unité d’une population, considérée comme un tout indivisible. Le laïc est l’homme du peuple, qu’aucune prérogative ne distingue ni n’élève au-dessus des autres : ni rôle reconnu de directeur de conscience, ni pouvoir de dire et d’imposer ce qu’il convient de croire. Ce peut être le simple fidèle d’une confession, mais aussi celui qui adopte une vision du monde athée, dont la convi ction fondatrice est distincte de celle qui inspire la religion. L’unité du laos est donc simultanément un principe de liberté et un principe d’égalité. L’égalité se fonde sur la liberté de conscience, reconnue comme première, et de même portée pour tous. Ce qui veut dire que nulle conviction spirituelle ne doit jouir d’une reconnaissance, ni d’avantages matériels ou symboliques dont la détention serait corollaire de discrimination » 3 . Cette liaison fondatrice n’est cependant pas exempte d’ambiguïté, voire de contresens. Dans la mesure où la notion grecque de peuple est associée à celle de citoyen - qui est à la base du projet laïque -, il semblerait logique de rapporter « demos » à la laïcité citoyenne, plutôt que « laos », qui n’est pas investi d’une connotation politique. Cette contradiction apparente peut assez aisément trouver son explication. L’une des interprétations les plus plausibles tient à la désignation par ce terme du plus grand dénominateur commun compris à l’intérieur d’une 1 Voir, par exemple, J.L. Wolfs., L. De Coster, S. El Boudamoussi, D. Baillet., « Les multiples significations du concept « laïcité » au sein de l’espace francophone et comparaison, plus particulièrement, entre la France et la Belgique ». Colloque international de l’AFEC et du Siep de Sèvres : Education, Religion, Laïcité. Quels enjeux pour les politiques éducatives ? Quels enjeux pour l’éducation comparée ?, Colloque international d’éducation comparée, Centre International d’Etudes Pédagogiques (CIEP), 19 au 21 octobre 2005, texte disponible s ur http://afecinfo.free.fr/ERL05/index.html . Précisons toutefois que pour des raisons de clarté, nous ne sommes pas entrés dans la distinction formelle entre laïcité philosophique et laïcité politique, dont les principes généraux ne varient pas. Nous avons considéré ici qu’il s’agit de deux modes opératoires d’une conception commune, sur lesquels nous reviendrons dans la dernière partie de cette présente étude. 2  En grec, la notion de peuple s’entendait de trois manières : dans une perspective différentialiste, ethnos , qui désigne une communauté qui a des ancêtres communs vivant sur un territoire donné, demos , qui renvoie à l’acception politique, aux citoyens reconnus comme tels (tous les membres d’une communauté ne l’étaient pas), et laos , qui représente le peuple compris dans son unité, dans l’indistinction, à opposer notamment à la notion de puissants ou d’élites. 3 H. Pena-Ruiz., « Laïcité : le mot et le principe », extrait de Qu’est- ce que la laïcité ? , Gallimard Folio actuel, Paris, 2003 - l’intégralité de l’article extrait de l’ouvrage, dont est extrait le passage précité, est consultable sur http://www.observatoirelaicite13aix.org/Historique,%20textes/La%EFcit%E9%20le%20mot%20le%20principe %20H%20Pena%20Ruiz.doc .
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unité conceptuelle d’un large groupe humain non discriminé par quelque classe ou typologie que ce soit, alors qu’au sein même de la population de la Cité, certains étaient citoyens tandis que d’autres ne l’étaient pas. Une telle généalogie sémantique aurait alors introduit une première critériologie précisément contraire à l’esprit de la laïcité. Comme le note Pena-Ruiz : « L'unité du laos, selon l'étymologie grecque, est celle d'une population dont nul individu ne se distingue des autres par des droits ou des pouvoirs particuliers » 4 . Cette conception fondatrice de la laïcité sera particulièrement prégnante, comme nous le verrons, à l’époque moderne. 2. Acception chrétienne Ce principe d’indivision va connaître une modification significative liée à l’usage progressif du terme au moment de l’émergence des communautés chrétiennes, qui vont donner au mot un sens plus restreint, opposant le Clergé (« kleros » ) au peuple qu’il entend diriger par la religion : « L'esprit clérical, c'est la prétention de cette minorité à dominer la majorité au nom d'une religion » et « L'esprit laïque, c'est l'ensemble des aspirations du peuple, du laos, c'est l'esprit démocratique et populaire » 5 . Plus spécifiquement, le terme « laïc » désigne, par opposition au Clergé, ceux qui ne s’étaient pas consacrés au service de Dieu : « C’est dans une bulle (1296) du Pape Boniface VIII (Cleiricis Laicos) que la distinction entre ces deux termes apparaît (…). Le pape y dénonçait l’attitude du roi de France Philippe Le Bel (1285-1314) qui s’opposait à l’ingérence pontificale dans les affaires du royaume » 6 . C’est le tournant chrétien de la signification laïque, qui existe encore aujourd’hui et peut donner lieu à de sérieuses ambivalences, car en distinguant le Clergé de la communauté des croyants, le terme introduit deux séries de spécifications distinctives qu’il n’avait pas primitivement, deux séries de marqueurs distinctifs, internes et externes. -Les marqueurs distinctifs internes L’usage de ce terme, dans son acception chrétienne, crée différe ntes formes de distinctions à l’intérieur du monde catholique. Du point de vue de la cl asse sociale, d’abord, il oppose les dirigeants ou dignitaires religieux, les prélats, les dépositaires du message religieux, de l’institution qui le représente, aux fidèles qu’ils conduisent. Du point de vue de l’orientation spirituelle, ensuite, il y a une préemption de la charge sur le laïc, qui n’a pas la possibilité d’influer sur l’interprétation des textes, la liturgie, etc. Enfin, il y a une discrimination proprement politique puisque l’Eglise, en tant qu’institution, a longtemps disposé sur les décisions publiques d’un pouvoir d’influence plus ou moins important selon les époques, pouvant aller de l’oreille du roi à la constitution d’un groupe « parlementaire 7 » en tant que tel au sein des assemblées délibératives. L’organisation de la société féodale, par exemple, distinguait Laboratores  (ceux qui travaillent, le peuple ultérieurement constitué en Tiers Etat), Bellatores  (ceux qui combattent, la noblesse) et Oratores  (ceux qui prient, le Clergé). On observe donc un contresens particulièrement important en regard de la signification première, puisque le laïcat est opposé sur ces différents points au Clergé. 4 « Principes fondateurs et définition de la laïcité », intervention du texte de Henri Pena-Ruiz à l’Université d’été du Mouvement Républicain et Citoyen (MRC) en septem bre 2003, disponible sur le site http://www.communautarisme.net/Principes-fondateurs-et-definition-de-la-laicite_a285.html . 5 C. Coutel, La République et l'école , Paris, Presses Pocket, 1991, p. 228. 6 P. Delfosse (Dir.), Dictionnaire historique de la laïcité en Belgique , Ed. Luc Pire, Bruxelles, 2005, p. 183. 7 Parlementaire est à entendre ici dans son acception contemporaine.
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Les marqueurs distinctifs externes -Ainsi désignés, les laïcs sont inscrits à l’intérieur du monde catholique, ce qui indique une ligne de fracture au sein du peuple, caractérisée par une position ou une option spirituelle au détriment d’une autre. Il s’agit clairement ici d’un marqueur identitaire exclusif fondé sur la foi et la pratique religieuse, ayant des conséquences non seulement catégorielles, mais également intrinsèques à l’organisation sociale fondée sur l’exclusive soit de la naissance soit du ralliement à la conviction dominante, avec toutes les conséquences qui en découlent et qui ont souvent mené à diverses formes d’ostracisation de populations, pouvant aller de la mise à l’index à la persécution ou à la guerre. On oppose ainsi à la tradition partagée par les laïcs catholiques plusieurs autres cas de figure, soit les autres formes de croyances non canoniques au sein du monde chrétien (hérésies, hétérodoxies, apostasies, etc.) reniant les dogmes et/ou l’autorité de l’Eglise catholique romaine universelle, soit les croyances ou pratiques qui lui sont extérieures (autres religions monothéistes, mécréants), soit les religions polythéistes faisant notamment appel au paganisme, soit encore, ultérieurement, le système de croyances qui consiste à nier à l’intelligence humaine la faculté de connaître ou de comprendre Dieu (agnosticisme) ou la négation délibérée de toute croyance en Dieu (athéisme). Cette définition très restrictive du terme, qui renvoie au chrétien baptisé à l’intérieur de l’Eglise catholique romaine universelle et qui n’est pas membre du Clergé, est par conséquent vectrice de séparations, de segmentations, d’oppositions, de dic tature de l’opinion confessionnelle et d’inégalités sociales profondes qui vont précisément à l’encontre de la visée laïque. Ce faisant, c’est précisément pour mettre un terme à ces différentes formes d’oppression intellectuelle, sociale et culturelle, que cette dernière a progressivement vu le jour avec l’avènement progressif de la Modernité et de la sécularisation de la société, qui préparaient la Révolution française. 3. Acception moderne L’émergence des valeurs philosophiques liées à la laïcité peut se comprendre comme une réaction aux tendances lourdes précédemment décrites au travers de l’Eglise catholique, et plus génériquement à l’Ancien Régime dont elle était l’un des piliers, visant particulièrement le droit à la liberté de conscience et à la liberté d’examen. La laïcité moderne émerge donc en réaction au pouvoir absolu sur les consciences (mais pas nécessairement, comme nous le verrons, contre la religion ou la foi) et naît de la confluence de plusieurs phénomènes. La Modernité ayant redécouvert la pensée grecque, elle en retiendra la notion de rationalité principalement développée au IV e siècle avant notre ère, c’est-à-dire le recours aux ressources de la Raison comme mode de réflexion personnelle, sociale et politique. D'autre part, le XVI e siècle ayant été déchiré par les guerres de religion, elle conservera la recherche de l'émancipation de l'influence du religieux sur la chose publique et aspirera à la poursuite d'un idéal de tolérance, prévenant le risque de guerre civile (on pe nse évidemment aux persécutions qui visèrent les protestants et les Juifs) au sein des nations, ou de guerres entre nations motivées par la concurrence des influences religieuses et politiques. Les notions d’universalité du point de vue théorique, et de fraternité du point de vue pratique, y trouvent alors pleinement leur justification. La Modernité apportera également la fondation du subjectivisme 8 , c'est-à-dire la naissance du sujet entendu comme être pensant émancipé par la Raison, et posé comme premier dans l’ordre de la connaissance. C ette révolution 8 Voir la deuxième partie de l’étude.
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philosophique est également un facteur déterminant dans la mesure où l’objectivation des méthodes de raisonnement et l’indépendance de la pensée par r apport à toute vérité préalablement affirmée et détenue par une puissante institution se réclamant d’inspiration divine, affranchissent ainsi les hommes, par le procès d’individuation, de toute forme de servilité intellectuelle ou sociale et leur reconnaissent le droit à la liberté d’opinion ou de croyances. L'humanisme y aura aussi laissé son empreinte, en posant l'homme comme la mesure de toute chose. D'une manière globale, on observe donc un mouvement général d'émancipation de l'homme compris comme le rejet de toute contrainte politique pesant sur ses orientations philosophiques ou ses convictions spirituelles, une émancipation permise à la fois par le statut accordé à la Raison, devenue l’unique outil de la science et, plus largement, du savoir, et la Législatrice du fait social et politique. Double affranchissement, donc, de la religion, au profit de l’indépendance conjointe du sujet pensant et de l’Etat légiférant seul dans le sens de l’égalité, de la liberté et de l’universalité : garantissant la liberté de conscience à l'ensemble du laos , perçu comme le peuple indivisible, la laïcité extrait, ce faisant, du champ public toute primauté d'une conviction, d'une confession, et par-là même de toute institution qui l'incarne, sur les autres, et exclut dans ce même élan égalitaire, la possibilité de concéder à une frange de la population le droit d'imposer ses croyances au reste de la communauté nationale. Indivisibilité et unité du laos au travers d’un traitement parfaitement égalitaire de la diversité et de ses particularismes, qui ne sont pas niés, mais simplement coiffés d’une organisation qui assure la poursuite de la cohésion sociale par l’égalité pour tous, au travers de l’exercice de la liberté de croyances. C'est ici que réside souvent une mauvaise compréhension du projet laïque, mécompréhension dont on a notamment pu mesurer l'ampleur à l'occasion de l'affaire du port du voile en milieu scolaire : la laïcité n'est pas le moins du monde hostile à la religion ou à la foi, elle est au contraire le préalable qui en garantit la liberté de l’exercice, en offrant la liberté de conscience et de pensée pour chacun d'entre nous. Liberté assurée pour tous, donc, égalité de droits, également. L'indispensable corollaire nécessaire à la création et à la viabilité d'un tel modèle tient dans le renoncement par l'Etat à la défense de l'exercice d'un pouvoir religieux et à l'obligation de garantir cette diversité au sein du laos tout en continuant à le traiter dans une égale unité indiscriminante. La laïcité est donc étroitement liée à l’idée du peuple appréhendé dans son unité, dans une indistinction formelle qui exclut par nature les particularismes, et une indiscrimination qui abolit les différences de traitement. Comme le précise H. Pena-Ruiz : « Une telle unité se fonde sur trois exigences indissociables : la liberté de conscience assortie de l’émancipation personnelle, l’égalité de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de sexe, ou de conviction spirituelle, et la visée de l’intérêt général, comme seule raison d’être de l’Etat » 9 . Et d’ajouter : « La laïcité consiste à affranchir l’ensemble de la sphère publique de toute emprise exercée au nom d’une religion ou d’une idéologie particulière. Elle préserve l’espace public de tout credo obligé comme de tout morcellement communautariste ou pluriconfessionnel. ()Elleneseconfondpasavecuneindiffréarienetcelegféanuéxr » al 10 e ou un relativisme qui tiendrait la balance égale entre le juste et l’injuste, le v . 9 H. Pena-Ruiz, La laïcité , G. F. Flammarion, Paris, 2003, p. 13. 10 H. Pena-Ruiz, Ibid.
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La sécularisation de l'Etat, comprise comme la séparation de l'Eglise, des institutions publiques et de l'autorité souveraine, est évidemment la clé de voûte du système : « La séparation laïque de la puissance publique et de toute Eglise est la condit ion qui rend possible, sur les plans juridique et politique, l'affirmation des trois valeurs clé de l'idéal laïque. Liberté de conscience, égalité des droits et universalité fondent alors le lien social de façon solide car incontestable du point de vue des droits humains. Il est ainsi permis à la diversité de se vivre librement sans perdre de vue ou compromettre l’unité essentielle de l’humanité, référence majeure de la paix et de la fraternité. ( …) En proclamant l’émancipation réciproque des religions et de la puissance politique, la laïcité permet aux premières de s’affirmer librement, mais non de contraindre, et à la seconde, de se consacrer pleinement à l’intérêt de tous, sans privilège public pour les croyants ou pour les athées. Principe de concorde et souci de la liberté que fondent l’autonomie de jugement, quête inlassable d’égalité, l’idéal laïque s’est forgé au cours d’une longue hi stoire. Contre l’intolérance et les persécutions au nom d’une religion, contre la collusion des pouvoirs politiques de domination et des Eglises, les trois valeurs inséparables de la laïcité (liberté, égalité, fraternité) ont dû s’affirmer par le truchement des résistances à une oppression multiforme, et des pensées affranchies qui les ont inspirées » 11 . Trois moments donc, trois concepts fondamentaux auxquels la laïcité s e trouve inextricablement liée : la liberté de conscience, l’égalité citoyenne et la poursuite de l’intérêt de tous, autrement dit, liberté, égalité et fraternité. On le voit, la laïcité mêlant à la fois les relations entre les différentes composantes de la nation, leur rapport avec l’Etat et les conditions de régulation de la gouvernance sociale entre l’ensemble des citoyens et l’Etat, est l’un des ferments les plus importants de la cohésion sociale qui se trouve menacée par les différents facteurs que nous avions précédemment relevés, liés à l’oppression d’une institution religieuse dominante sur les consciences, et au déterminisme social que celle-ci impose. En ce sens, la laïcité est bien une réaction à l’Ancien Régime, et en particulier au système de privilèges qu’il avait institué en garantissant la cohésion sociale par la répression de la liberté de conscience, la discrimination des convictions et l’entrave à la liberté de pensée. Ce n’est donc pas en réaction à la foi ou à la religion, mais au Clergé compris comme l’un des piliers de l’inégalité sociale, l’un des piliers de l’ordre hérité de la féodalité, que s’est érigée la sécularisation de la société et de ses institutions.
11 H. Pena-Ruiz, Histoire de la laïcité , Découvertes Gallimard, Paris, 2005, pp. 17 à 19.
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III. La tolérance garantie et définie par l’Etat : les sources majeures de la tolérance préfigurant la tradition laïque La révolution constituée par la sécularisation d’abord, et la laï cité ensuite, instaure la tolérance, la liberté de conscience et, par extension, la liberté d’opinion, comme système de gouvernance en tant que tel. On pourrait objecter que la toléra nce laïque instituant la coexistence pacifique des cultes, des opinions et des pratiques cul turelles ne constitue pourtant pas une idée radicalement neuve dans la mesure l’histoire a montré, à quelques rares occasions, que la chose était possible, comme, par exemple, la politique de Convivencia  en Espagne, durant le Moyen Age. Il ne faut cependant pas oublier que cette tolérance était toute relative, qu’elle restait tributaire des relations très complexes entre le pouvoir religieux et le pouvoir politique, que la religion dominante conservait intacte son ascendance sur les autres, comportant des codes de règles discriminatoires, et qu’à ce titre, les minorités restaient largement tributaires du bon-vouloir de l’Autorité politique ou reli gieuse. Il convient également d’ajouter que, loin d’être érigée en modèle, la tolérance constitue une exception dans l’histoire occidentale, davantage dictée par les circonstances que par un projet et une tradition politiques. Au contraire, les régimes avaient plutôt tendance à considérer que la tolérance serait interprétée par le peuple comme un aveu de faiblesse, mettant en péril soit la couronne, soit l’Eglise. De manière générale, d’ailleurs, la tolérance ainsi définie devait s’entendre dans un sens passif, au sens d’être toléré, et certainement pas comme une valeur politique cardinale. Ce qui est radicalement neuf avec la laïcité, c’est le cadre moderne dans lequel elle s’inscrit : elle découle du mouvement global de sécularisation et de la reconnaissance des droits du citoyen, qui institue l’inviolabilité de la personne pour des raisons religieuses, politiques, ou simplement d’opinion. Ces droits sont aujourd’hui garantis par les Constitutions nationales et les droits internes, au sein d’Etats qui sont eux-mêmes comptables du respect de ces droits devant des juridictions internationales qui les garantissent. La nouveauté réalisée par la laïcité est donc l’inscription de la tolérance dans le droit que les Etats occidentaux ont le devoir de respecter.Cet enchâssement de la tolérance dans un cadre moderne qui la gara ntit n’aurait pas été possible sans l’influence d’autres facteurs, qui sont à comprendre c omme le résultat de tendances lourdes dans l’histoire de la généalogie des idées. Ils sont les indispensables corrélats qui ont permis à ce nouveau modèle de s’imposer et que la tolérance ne représente pas à elle seule. Citons la liberté de conscience issue des philosophies grecques et romaines, l’opposition à la résistance religieuse, et la sécularisation de l’autorité publique : « La première source de résistance est l’humanisme grec. La liberté de conscience trouve son fondement dans la volonté d’une pensée autonome, chère aux philosophes grecs Socrate, Aristote, Epictète et bien d’autres. La conscience humaine ne peut être que libre, et les stoïciens en font une citadelle intérieure . Socrate, pour conforter cette liberté, invite à la réflexion personnelle. Ne pas prendre une croyance erronée pour un savoir véritable : tel est le premier pas vers la sagesse. Quant au dogmatisme religieux, il est clairement contesté par Protagoras, l’agnostique. L’universalisme des stoïciens qui, avec Marc-Aurèle, se disent citoyens du monde , stipule qu’il n’y a pas de raison d’opposer les hommes entre eux du fait de leurs origines, de leurs cultures, ou de leurs croyances re spectives, qu’elles soient religieuses ou non » 12 .
12 H. Pena-Ruiz, Histoire de la laïcité , op. cit., p. 44.
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