Face au racisme - article ; n°1 ; vol.53, pg 73-83
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Description

Autres Temps. Cahiers d'éthique sociale et politique - Année 1997 - Volume 53 - Numéro 1 - Pages 73-83
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié le 01 janvier 1997
Nombre de lectures 131
Langue Français

Extrait

Nicolas Boilloux
Face au racisme
In: Autres Temps. Cahiers d'éthique sociale et politique. N°53, 1997. pp. 73-83.
Citer ce document / Cite this document :
Boilloux Nicolas. Face au racisme. In: Autres Temps. Cahiers d'éthique sociale et politique. N°53, 1997. pp. 73-83.
doi : 10.3406/chris.1997.1940
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/chris_0753-2776_1997_num_53_1_1940Face au racisme
Nicolas Boilloux
Le mot « racisme » présente un avantage propre à toute convention
langagière : il désigne brièvement un fait ou un phénomène sans que
maintes périphrases soient nécessaires pour l'exprimer. Mais, revers
de la médaille, le mot est piégé. Son emploi au singulier masque une
réalité plurielle, complexe, tant dans les fondements que dans les ex
pressions ou les pratiques. Pour être (plus) exact, il faudrait donc par
ler de « racismes » au pluriel.
Rechercher et décrire la complexité n'est ni une figure de style, ni
un simple plaisir intellectuel. C'est un préalable afin de prendre la me
sure de ce à quoi l'on se confronte. Ce est d'autant plus im
portant quand il s'agit de s'engager - ou de renouveler l'engagement
- sur le terrain de la lutte contre le racisme, sujet ô combien difficile.
La caricature peut avoir des vertus pédagogiques mais elle a surtout
une vertu d'exutoire, une fonction libératrice d'énergie. C'est import
ant - cela fait du bien - mais ce n'est pas une fin en soi tant la carica
ture ne traite pas le problème de fond mais simplement le désigne sous
son angle le plus saillant et donc d'une façon très partielle et partiale
avec tous les effets secondaires possibles contraires à ceux recherchés.
La complexité n'est pas non plus un remède en soi. Il faut la conce
voir comme un outil permettant de mesurer la profondeur et l'ampleur
d'un problème, d'en mesurer les tenants et les aboutissants pour élabo
rer les solutions. Cela s'applique au racisme et à l'antiracisme comme
à toute autre question, à plus forte raison lorsqu'elle est sensible.
Le manque, si ce n'est l'absence, de prise en compte de cette comp
lexité est probablement une des causes majeures de l'échec de l'ant
iracisme des années 80, à la fois simpliste et moralisateur. Ce n'est pas
la cause unique et j'aurai l'occasion d'y revenir plus loin. Mais force
est de constater que ces quinze dernières années auront été celles d'un
terrible paradoxe : celui confrontant la montée en puissance puis la
stabilisation électorale du Front National à une mobilisation antira
ciste à peu près proportionnelle et pourtant en échec.
73 faut donc en tirer les conséquences et remettre l'ouvrage sur le Il
métier, repenser discours et stratégies. Et nous avons alors à faire à un
nouveau paradoxe qu'il faudra bien surmonter : se donner le temps de
mesurer la complexité et donc les difficultés tout en faisant face à l'u
rgence tant les progrès du racisme sont réels. Je n'ai pour ma part pro
bablement pas totalement résolu ce paradoxe puisque, dans les lignes
qui suivent, je continuerai à parler du « racisme » au singulier...!
Les expressions du racisme
Pierre-André Taguieff a proposé une analyse fort détaillée et sa
vante des racismes et des antiracismes qui ont été forgés pour y ré
pondre1. Sans entrer dans les détails, j'en retiens ces quelques grandes
lignes, au risque de déformer la pensée de Taguieff :
Les racismes idéologiques
Ils puisent à différentes sources, parfois contradictoires (le Natio
nal-Socialisme par exemple), et qui se combineront parfois avec le co
lonialisme ou l'impérialisme. On peut regrouper ces racismes idéolo
giques en deux grandes familles :
— les racismes universalistes inégalitaires posant comme acquis
l'existence d'une échelle de valeur entre les groupes humains ;
— les racismes différentialistes postulant un « déni d'humanité com
mune ».
Le point commun entre ces racismes est l'appel à la biologie mais
dans des optiques différentes : la hiérarchisation des « races » ou l'a
ffirmation de « non-humanité ».
En face, deux pôles antiracistes se dessinent :
— un universalisme égalitariste affirmant l'égalité et l'unité de l'hu
manité ;
— un différentialisme affirmant la reconnaissance des identités col
lectives et le « droit à la différence ».
Il y a une sorte d'interactivité entre ces racismes et leur antiracisme
respectif, les uns s'alimentant à la source des autres. C'est ainsi que,
dans les années 80, en s'en prenant à l'immigration, le Front National a
amené l'antiracisme sur le terrain du différentialisme, lequel a alimenté
la revendication par l' extrême-droite du droit à la différence... mais pour
les Français cette fois. La « préférence nationale » en est une expression.
Les pratiques
La « préférence nationale » chère au F.N., l'apartheid en Afrique du
Sud ou encore la « solution finale » des nazis renvoient, chacun à sa
74 à d'autres formes du racisme que sont les pratiques. Elles sont façon,
alimentées par les idéologies, sont plus ou moins violentes et prennent
des tournures différentes selon l'idéologie qui prévaut et selon les ci
rconstances.
Pour autant, toutes les pratiques ne sont pas nécessairement fondées
sur des idéologies. C'est ainsi que le colonialisme a été un outil pour
le racisme même s'il n'était pas en soi élaboré dans un esprit raciste.
Et puis, plus près de nous, nous constatons des pratiques discriminat
oires qui ne sont pas forcément fondées idéologiquement même si
elles ont un caractère raciste : racisme à l'embauche, attributions de
logement H.L.M., etc.
Cela renvoie au phénomène auquel nous sommes actuellement
confronté qu'est la banalisation du racisme.
La banalisation du racisme
La liste des pratiques, discours ou simples petites phrases discrimi
natoires s'allonge de jour en jour. Elle n'est pas seulement le fait de
l'extrême droite de même qu'il n'est pas nécessaire d'apporter ses suf
frages à Le Pen pour être acteur de discrimination. L'exclusion des
étrangers, et plus généralement de l'autre, paraît de plus en plus légi
time dans l'opinion publique. On entend même des revendications du
type : « J'ai voté Le Pen », « Je n'aime pas les étrangers », etc. Cette
« légitimité » trouve deux fondements :
— la nécessité, affirmée par le chef d'entreprise, l'artisan ou le com
merçant arguant que ce sont les clients qui ne veulent pas voir d'im
migrés. Les affaires sont les affaires ;
— Y évidence, selon laquelle il est clair que les immigrés clandestins
sont légion, que les étrangers sont un poids économique ou encore que
l'islam est une religion inadaptée à la démocratie et à la république.
Bien sûr, les statistiques et toutes sortes d'autres chiffres ou des évé
nements extérieurs (la guerre civile en Algérie) viennent alimenter
cette force de l'évidence.
In fine, nous nous trouvons face à des pratiques inacceptables (r
acisme à l'embauche, etc.), face à des discours non moins inquiétants et
intolérables (sur l'inégalité des races par exemple) et face à une crise en
profondeur, véritable enjeu pour la santé de notre société, qu'est le refus
de vivre ensemble2. On en trouve les causes dans la crise économique et
sociale que nous traversons et qui génère chômage, ras le bol et peur de
l'avenir. Cette cause est réelle mais n'est à mon sens pas la seule.
Il faut accepter de reconnaître les responsabilités politiques des partis
« traditionnels », hors de l'extrême droite. Depuis 1974, la fermeture
75 des frontières à l'immigration est de rigueur. C'est l'accélération depuis
1986, les gouvernements successifs, de droite comme de gauche même
si c'est à des degrés divers, menant des politiques dites de « maîtrise
des flux migratoires » qui entérinent progressivement l'idée selon la
quelle l'immigration est d'abord un danger. Ainsi, ces politiques encou
ragent de fait le racisme et la

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