Huysmans, un antisémite fin-de-siècle - article ; n°95 ; vol.27, pg 113-126
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Description

Romantisme - Année 1997 - Volume 27 - Numéro 95 - Pages 113-126
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1997
Nombre de lectures 82
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

M. Jean-Marie Seillan
Huysmans, un antisémite fin-de-siècle
In: Romantisme, 1997, n°95. pp. 113-126.
Citer ce document / Cite this document :
Seillan Jean-Marie. Huysmans, un antisémite fin-de-siècle. In: Romantisme, 1997, n°95. pp. 113-126.
doi : 10.3406/roman.1997.3187
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1997_num_27_95_3187Jean-Marie SEILLAN
Huysmans, un antisémite fin-de-siècle
La question examinée dans ces pages n'a guère retenu l'attention. À l'exception de
Robert Bessède qui épingle le racisme de Huysmans en le liant avec raison à sa haine
du soleil et de la joie, il a fallu attendre un article de J.-P. Corsetti et une brève antho
logie d'Halina Suwala pour la voir posée, sinon reçue, sans embarras '. Car les huys-
mansiens ont longtemps jeté un voile de pudeur sur l'antisémitisme du romancier : le
Bulletin Huysmans jugeait en 1975 qu'il n'avait pas « manifesté des sentiments ant
isémites ni surtout exécré les Juifs : ce n'était pas sa manière » 2 et la biographie de
Baldick escamote le problème. Sauvegarder sa mémoire d'une accusation odieuse
témoigne, certes, d'un souci respectable; mais, outre que la vérité, si gênante soit-elle,
doit l'emporter, il faut se rappeler que l'antisémitisme, dont notre siècle a révélé toute
l'horreur qu'il recelait, n'était pas jugé condamnable en des années où La Croix se
proclamait « le journal le plus antisémite de France » 3 et où l'on était élu député
comme candidat antijuif. C'est alors, admettons-le simplement, que Huysmans a vécu
et écrit. Ses textes sont tributaires d'un vaste discours social daté; ce qui nous semble
un ramas consternant de clichés et de préjugés était vérité pour un esprit cultivé de
1900, lui servait à interpréter la société et l'histoire, profane ou sacrée.
Il ne s'agit donc pas ici d'instruire le procès de Huysmans ni d'attenter à son
image, mais de réunir les informations permettant de décrire un phénomène mal
connu et d'en saisir les implications. Car son racisme n'est pas une excroissance
fâcheuse sur une pensée « saine », mais un élément d'une vaste constellation imagi
naire dont le noyau le plus ancien et intime est une animosité contre le soleil, étendue
peu à peu en un antiméridionalisme visant le Levantin et le Rastaquouère, puis en un
antisémitisme qui atteint sa pleine virulence dans la dernière décennie de l'œuvre,
avec l'affaire Dreyfus et l'offensive anticléricale de la IIIe République.
*
L'antisémitisme de Huysmans repose sur un concept de race particulièrement flou.
Comme beaucoup, le romancier est imprégné des thèses de Taine qui nomme race un
ensemble de supposés caractères nationaux et de stéréotypes culturels, psychologiques
ou moraux 4. En art, il recourt à « la complexion de notre race » pour expliquer
l'absence d'artistes mystiques français 5, à celle des Espagnols pour apprécier Jean de
la Croix, voire à la race hollandaise pour rendre compte de son œuvre personnelle.
n° 25, 1. 1989, Respectivement p. 393-401 ; : Les La Crise Cahiers de naturalistes, la conscience n° catholique, 63, 1989, p. Klincksieck, 17-25. 1975, p. 387-388; Bérénice,
2. N° 63, p. 56.
3. Voir Léon Poliakov, Histoire de l'antisémitisme, Seuil, coll. Points, 1981, p. 293.
4. Voir F. Léger, « L'Idée de race chez Taine », dans L'Idée de race dans la pensée politique française
contemporaine, CNRS, 1977, p. 89-99.
5. En route, éd. Crès, H, p. 10.
ROMANTISME n° 95 (1997-1) 1 14 Jean-Marie Seillan
Sous sa plume, nation et race sont substituables, témoin ce dialogue d'En route :
« — Et sainte Thérèse, de quelle nation est-elle donc? — Elle est espagnole, mais si
compliquée, si étrange, que sa race à elle s'oblitère » 6. Race sert à ravaler aussi bien
une appartenance régionale (« la race subalterne du Poitou » 7) qu'une catégorie
socioprofessionnelle (« la race des paysans » 8), et quand le mot acquiert une accep
tion proprement raciste, il incrimine par amalgame, avec la doxa de l'époque, ce que
Maurras appellera « les quatre états conférérés » : Juif, Protestant, Franc-Maçon et
Métèque. Au reste, à le comparer à Chirac 9, Drumont ou même Barrés, Huysmans
n'a rien d'un raciste à plein temps. Jamais il n'a créé de personnage romanesque juif.
Son antisémitisme, conforme aux stéréotypes que serinait le discours social ambiant
10, n'est porteur d'aucune théorie biologique, intention doctrinale ou visée politique
consistantes. Quant à sa rhétorique, Griffiths a montré en analysant deux phrases de
L'Oblat qu'elle différait peu de celle de ses contemporains n.
Il est malaisé de dater son apparition dans la correspondance, imparfaitement
connue, ou d'en déceler les causes occasionnelles. Peu de traces jusqu'au milieu des
année 80, mais vers 1888 les insultes antisémites (salaud de Juif, horrible petit Juif,
Youtre, Youpin, Youddi, voire Juiffaillon) deviennent familières à cet amateur de
mots grossiers. Naissent-elles de rivalités littéraires ou professionnelles ? Cette année-
là, Gustave Kahn, nouveau rédacteur en chef de La Revue indépendante, reprend la
Chronique d'art de Huysmans, qui semble en garder racune à « ce sale petit juif à
profil de bouc » 12. L'année suivante, Huysmans est promu sous-chef du 4e bureau à
la Direction de la Sûreté, dirigé par J. Grumbach, un Israélite : plus tard, il liera son
antisémitisme à « l'affreux milieu de Juifs et de Francs-Maçons » 13 du ministère.
« Aucune illusion, dira-t-il à Descaves en 1901, sur ce que ces gens-là nous
réservent ». Pourtant il écrit à son supérieur sur un ton amical et confiant l4...
Sans doute le succès inouï des sommes de Drumont puis la parution de La Libre
Parole (1892) ont-ils accrédité l'antisémitisme dans la pensée de Huysmans. La
France juive (1886) a eu sur lui l'effet pressenti par Goncourt dans son Journal :
« désigner comme l'objectif à la haine, un peu diffuse et non déterminée, du capital
l'argent juif » 15. Car Huysmans estime Drumont, juge salutaire son entreprise. S'il
reconnaît sa nullité artistique, Là-Haut voit en lui « un journaliste probe et un homme
brave » qui a « poussé un cri d'alarme [...] que le pays a entendu et [...] déterminé un
mouvement parmi les masses » 16. Huysmans pourtant a anticipé ce mouvement, porté
6. Ibid, I, p. 146.
7. Les Foules de Lourdes, éd. Crès, p. 85.
8. Lettre à Céard de 1903, dans Les Foules de Lourdes, Pion, 1958, p. 265.
9. Ce prédécesseur de Drumont publia un essai intitulé Les Rois de la République (Arnould, 1883,
réédité en 1890) inscrit sur la ligne de l'antisémitisme économique.
10. Voir Marc Angenot, « Ce que l'on dit des Juifs en 1889 », Cahiers de Recherche du CIEE, n° 6,
Montréal, octobre 1984.
1 1. The Use of Abuse, Berg, New York-Oxford, 1991, p. 42-47.
12. Lettres à Désirées, début 1888 (Droz, 1967, p. 128 et 134). Voir encore la lettre à Prins du 27 jan
vier 1888.
13. Lettre à Dom Besse du 10 février 1895.
14. Bibl. de l'Arsenal, fonds Lambert, n° 48.
15. En date du 20 avril 1886, Laffont, coll. Bouquins, t. II, p. 1244.
16. Ouvr. cité, p. 140. « Quant à l'époque, vous avouerez qu'elle est fétide, écrit Huysmans au Dr
Dumas le 4 juin 1894. Il n'y a qu'un homme qui ait un courageux bon sens, c'est Drumont ».
ROMANTISME n° 95 (1997-1) smarts, un antisémite fin-de-siècle 115 Huy
peut-être par la première vague antisémite due au krach de l'Union générale (jan
vier 1882). Paru en mars 1885 dans la Revue indépendante l7, « L'Emblème » fait du
palais du Trocadéro, bâti pour l'Exposition de 1878 et détruit en 1937, le symbole iro
nique de la modernité et compose un texte programme qui mêle les trois courants dis
tingués par Léon Poliakov dans l'antisémitisme des années 1885-1900 l8.
D'abord un antisémitisme économique et social fondé sur le rejet de la société
industrielle et de l

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