Hydraulique pré-romaine en Tunisie antique
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Archéologie hydraulique pré-romaine en Tunisie antique

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Publié le 31 mai 2013
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Langue Français

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Habib BakloutiHydraulique préromaine en Tunisie antique.Diffusion des techniques de constructiondes citernes puniques en pays numide:à Dougga (Thugga) et à Kalaat Bezzaz
1´Etat de lauestion qEn Afrique, l’hydraulique préromaine, comparativement avec ce qu’onsait sur l’hydraulique pendant la période romaine, est encore peu oumal connue. Le peu de ce qu’on sait sur l’urbanisme préromain serapporte d’ailleurs à la civilisation punique1et, pour une grande part,ne concerne-t-il encore que deux sites majeurs, Carthage2et Kerkoua-
* Habib Baklouti, Département des Sciences humaines, Institut Supérieur desE´ tudes Lettéraires et des Sciences humaines de Tunis, Université de Tunis.1. En effet, sur la civilisation libyco-punique, notre dossier, au sujet de l’urbanismedans le sens le plus stricte du terme, est encore peu instruit. Les travaux qui ont étéjusqu’ici entrepris en la matière n’ont traité le plus souvent que de ce qui relève du do-maine funéraire, religieux ou institutionnel. Nous trouvons une grande partie de cestravaux citée dans A. KRANDEL-BENYOUN`ES,La présence punique en pays numide, Tu-nis 2002. Quelques travaux ont essayé toutefois d’aborder le problème de l’urbanismepréromain dans des cités dont l’origine remonte à la période préromaine en Afrique an-tique; nous en citons à titre indicatif, P.-A. FE´VRIER,Origines de l’habitat urbain enMaurétanie césarienne, «Journal des Savants», 1967, p. 107-23; A. MAHJOUBI,L’urbanis-me de l’Afrique antique à l’époque préromaine, inL’Africa romana II, p. 201-11; N. FER-CHIOU,Habitats fortifiés pré-impériaux en Tunisie antique, «AntAfr», 26, 1990, p. 43-86;M. KHANOUSSI,L’évolution urbaine de Thugga (Dougga) en Afrique proconsulaire: del’agglomération numide à la ville africo-romaine, «CRAI», 2003, p. 131-52.2. Au sujet des derniers travaux portant sur l’urbanisme de la Carthage punique,voir notamment S. LANCELet al.,Byrsa –I, sous la direction de S. LANCEL, Rome1979; ID.,Byrsa –II, sous la direction de S. LANCEL, Rome 1981; S. LANCEL,Car-thage, Paris 1992, p. 37-47, 52-9, 153-211; F. RAKOB,Travaux archéologiques à Car-thage, in «CEDAC Carthage», 16-7, 1997 (traduction française, par J. Ferron d’arti-cles publiés par F. Rakob sur des travaux archéologiques que celui-ci a effectués àCarthage, 1981-1995); les contributions de F. RAKOB, H. G. NIEMEYER, S. LANCELetJ.-P. MOREL, F. CHELBI, L. E. STAGER, H. HURST, inPour sauver Carthage, sous ladirection de A. Ennabli, Paris 1992, p. 29-94 et 203-27 (bibliographie); J. FERRON,L’inscription urbanistique de la Carthage punique, «Africa»,IX, 1985, p. 25-49.L’Africa romanaXVIII,Olbia 2008, Roma 2010, pp. 181-212.
182Habib Bakloutine3. Dans ces deux villes antiques, nos connaissances sur l’eau et surles installations hydrauliques préromaines ne portent, en grande partie,que sur ce qui est convenu d’appeler la petite hydraulique, celle con-çue principalement dans le cadre de l’architecture domestique. Il s’agitde petites citernes, de puits et de petites salles d’eau dont certainessont équipées de ces baignoires “e bot” qui font la réputation desn samaisons de Kerkouane4. La mise au jour par les fouilles archéologi-ques de ces installations est d’ailleurs relativement récente. Pour Ker-kouane, elle ne date que d’une cinquantaine d’années. ´A Carthage, sil’on excepte les fouilles pionnières du début du siècle dernier qui ontamené, en ce qui concerne l’objet de notre étude, d’importantes dé-couvertes5, l’on peut dire que c’est grâce surtout aux grands travauxqui y ont été entrepris dans le dernier quart de ce même siècle quenos connaissances se sont nettement clarifiées quant à l’importanceque l’on accordait à l’eau dans l’habitat punique6. Et si à Kerkouane
3. Cf. M. FANTAR,Kerkouane. Cité punique du Cap Bon (Tunisie), en 3 tomes,Tunis 1984-86.4. Cf.ibid., t. 2, p. 303-94.5. Voir notamment J. RENAULT,Les bassins du trik Dar-saniat, «Cahiers d’ar-chéologie tunisienne», nouvelle série, 1913, p. 9-46 ( = RT, 1913, p. 62-102); Ch.SAUMAGNE,Notes de topographie carthaginoise, «BCTH», 1930-31, p. 641-59 (particu-lièrement p. 651-3); ID.,Le Metrôon de Carthage et ses abords, in S. LANCEL(dir.),Byrsa –I, Paris 1979, p. 283-310; C. PICARD, «Karthago»III, 1951; J. FERRON, M. PI-NARD,Les fouilles de Byrsa, «Cahiers de Byrsa»,V, 1955, p. 31-81 etIX, 1960-61, p.77-170; G. Ch. PICARD,Un quartier de maisons puniques à Carthage, «RA», 1958,I,p. 21-32.6. Voir M. H. FANTAR,Récentes découvertes dans les domaines de l’archéologie etde l’épigraphie puniques, «BCTH», 1973, p. 241-8; S. LANCEL, inByrsa –I, cit., 59-96(Le secteur A, 1974-75); J.-M. CARRI´Eet N. SANVITTI, inibid., p. 97-142 (Le secteurB, 1974-75) ( = «AntAfr», 11, 1977, p. 67-94); S. LANCEL, J.-P. THUILLIER, inibid.,p. 187-280 (p. 187-225: Recherches sur les niveaux d’habitat punique, par S. Lancel;p. 225-80: Fouille dans le secteur nord-est de l’îlot C, par J.-P. Thuillier); J.-P.THUILLIER, inByrsa –II, cit., p. 61-84 (Le secteur Nord-est de l’îlot C et les niveauxde la rueIV); S. LANCEL, inibid., p. 105-41 (L’îlot E) et 365-83 (Conclusions généra-les); F. RAKOB,Rapport préliminaire des fouilles de l’équipe allemande à Carthage,«CEDAC Carthage», 2, 1979, p. 21-9; ID.,Carthage punique: fouilles et prospectionsarchéologiques de la mission allemande, «REPPAL», 1, 1985, p. 133-56; ID.,Travaux,cit., p. 7-14; F. CHELBI,Découverte d’un habitat punique sur le flanc sud-est de la col-line de Byrsa, «CEDAC Carthage», 3, 1980, p. 29-39 ( = inActes du Iercolloque in-ternational sur l’histoire et l’archéologie de l’Afrique du Nord (Perpignan, 14-18 avril1981), «BCTH», n. s. 17 B, 1984, p. 21-33; M. K. ANNABI, Z. BENABDALLAH, F.CHELBI,Découverte d’un quartier punique au Kram, «CEDAC Carthage», 3, 1980, p.17-8.
Hydraulique préromaine en Tunisie antique183l’on ne se servait que de la nappe phréatique pour s’alimenter eneau7, à Carthage ce sont, par contre, les citernes qui prédominentsans que les puits soient absents8. Ces citernes y sont toutes datéesde la période bien tardive de l’histoire de l’urbanisme de la Carthagepunique (deuxième moitié duIIIesiècle – première moitié duIIesiècle9av. J.-C.) .Par rapport aux citernes romaines, les citernes puniques de Car-thage se présentent généralement en forme de baignoire allongée, dontles extrémités sont inscrites en demi-cercle et dont la longueur ainsique la profondeur dépassent rarement les six mètres. Leur largeur sesitue toujours aux environs d’un mètre (entre 0,90 et 1,20 m au plus)et leur couverture n’est jamais maçonnée ni voûtée, elle est simple-ment constituée de dalles juxtaposées, bien serrées les unes contre lesautres, posées soit à plat soit en bâtière, perpendiculairement au grand
7. M. FANTAR,Le problème de l’eau potable dans le monde phénicien et punique:les citernes, «CT», t.XXIII, 1975, 9-18, p. 10, n. 5.8. Dans le quartier de Byrsa, quartier résidentiel aménagé à flanc de colline dansles premières années duIIesiècle av. J.-C. et où les habitations étaient disposées,pour ainsi dire, en “immeubles” (Appien,Libyca, 168), l’on ne trouve que des citer-nes (LANCEL,Carthage, cit., p. 182-192). Par contre, dans le quartier Magon, situédans la ville basse à front de mer, les maisons, plutôt vastes et somptueuses tellesqu’elles ont été réaménagées au milieu du IIIesiècle av. J.-C., disposaient chacuned’un puits et, parfois, de plus d’une citerne (RAKOB,Rapport, cit., p. 24 et suiv.; ID.,Travaux, cit., p. 10, où l’auteur précise que le nombre des citernes “peut dépassercinq pour une [seule] unité d’habitation”).9. SAUMAGNE,Notes, cit., p. 653; S. LANCEL, inByrsa –I, cit., p. 95-6; ID., inByrsa –II, cit., p. 366-70; ID.,Carthage, cit., p. 175-6; RAKOB,Rapport, cit., p. 24;CHELBI,Découverte, cit., p. 39. En effet, dans l’état actuel de la documentation ar-chéologique, nous n’avons aucune certitude de l’existence de citernes à Carthage an-térieurement auIIIesiècle av. J.-C. Peut-être faut-il admettre avec F. Rakob, que leniveau de la nappe phréatique dans la ville basse étant élevée et l’eau, que l’on ypouvait aisément puiser avec de moindres frais, étant vive et potable, l’on n’éprouvaitpeut-être pas, jusque là, le bésoin, dans les maisons du quartier Magon au moins, deconstruire des citernes. Voir F. RAKOB,L’habitat ancien et le système urbanistique, inPour sauver Carthage, cit., 29-38, p. 35. Par ailleurs, dans une de ses notes qu’il porteen bas de page à son article publié en 1913 sur “les bassins du trik Dar-Saniat”, Ju-les Renault affirme que «tout le long du littoral, de Carthage à la Marsa, il suffit decreuser dans la plage, à quelques mètres du rivage proprement dit, un trou d’unecertaine profondeur pour y trouver de l’eau douce. Les propriétaire de villas ou dechalets sur le bord de la mer connaissent tous ce détail, et certains se sont contentésd’enfoncer un baril défoncé dans le sable et d’y adapter une pompe pour se trouverpourvu d’eau potable». RENAULT,Les bassins, cit., p. 11 n. 3.
184Habib Bakloutiaxe de l’édifice hydraulique10. Leur alvéole est, en général, entière-ment creusé dans la roche et leurs parois sont construites en moellonsou en petits blocs en assises irrégulières, liés avec un mortier d’argileou de terre. Celles-ci, ainsi que le rebord du bassin, sont revêtuesd’un mortier hydraulique gris cendreux bien lissé (de 4 à 5 cm d’é-paisseur) où l’emploi du tuileau de poterie est pratiquement absent11.L’orifice de puisage, presque toujours quadrangulaire, est obtenu parl’évidement des côtés opposés des deux dalles juxtaposées, situées gé-néralement à l’une des deux extrémités de la citerne, le plus souventcelle qui donne sur la cour de la maison. Mais quelquefois, on trouvedes citernes qui acquièrent la forme d’ bouteille12. Dans le quar-unetier Magon13, des citernes en baignoire, dont l’étroitesse et la lon-gueur sont cependant relativement plus sensibles, prennent parfois l’al-lure de “citernes-canaux” en forme de “boyaux” (FIG. 1)14. Sur le
10. LANCEL,Carthage, cit., p. 183, fig. 85 et p. 189, fig. 91. La disposition desdalles en bâtière, note J.-P. Thuillier, «est une technique qui est apparemment adop-tée souvent – mais non obligatoirement – lorsque la citerne est située sous un mur»,THUILLIER, inByrsa –II, cit., p. 77 et p. 83, fig. 101.11. Et ce, tout en sachant que le mortier hydraulique, à base de chaux et detuileau de poterie, est d’un emploi fort fréquent à Carthage ainsi qu’ailleurs dans lescités du monde punique. On l’employait volontiers dans les salles de bain ainsi quecomme matériau de revêtement des faces extérieures des murs exposées aux intempé-ries, particulièrement dans le revêtement de ces imposants empattements que l’onprenait soin de ménager au bas des murs périmétraux des édifices et dont le rôleétait de protéger le pied du mur contre l’affouillement provoqué par les eaux deruissellement. Lors d’une fouille de sauvetage effectuée en 1976 par F. Chelbi sur leflanc sud-est de la colline de Byrsa, ont été mis au jour les vestiges d’un atelier deconcassage de céramique au sein d’une maison punique, concassage destiné, selonl’auteur de la découverte, «à la composition des pavements enopus segmentumet desbétons étanches,opus signinum». Cf. J.-P. THUILLIER, inByrsa –II, cit., p. 62-5, figs.74 et 78, cit., p. 77 et p. 83, fig. 101; CHELBI,Découverte, cit., p. 37; FANTAR,Ker-kouane, cit., t. 1, p. 368.12. Quatre citernes au moins, appartenant à cette forme, sont attestées à Car-thage: deux dans le quartier de Byrsa, une dans le secteur de Dar-Saniat au Nord-estde Carthage et une dans la région de Gammarth au niveau de la Baie des singes. Cf.S. LANCEL, inByrsa –I, cit., p. 77, fig. 22; J.-P. THUILLIER, inByrsa –II, cit., p. 79et fig. 95, plan et coupe des îlots B et C.; J. RENAULT,Les bassins, cit., p. 21-2; FAN-TAR,Récentes, cit.13. RAKOB,Carthage punique, cit., p. 137.14. L’on doit remarquer que, par rapport aux citernes du quartier de Byrsa, laconstruction des citernes du quartier Magon est datée plutôt du milieu duIIIesiècleav. J.-C. Elles ont été aménagées et construites, dans le cadre de grands travaux deremaniement et de réfections ayant pour objet «le groupement d’unités d’habitation
Hydraulique préromaine en Tunisie antique185flanc sud-est de la colline de Byrsa, la maison punique de la rue Aˇs-tarté dont les vestiges ont été mis au jour par F. Chelbi en 1976 etdont la destruction est datée par celui-ci de 146 av. J.-C., comportequatre citernes appartenant au type fréquemment attesté dans les mai-sons du quartier de Byrsa15. Deux de ces citernes, dont l’une est plusgrande que l’autre, sont «reliées entre elles par un étroit boyau»16.Nous avons ici un autre cas de citernes communicantes où la commu-nication, contrairement aux citernes appartenant aux maisons du quar-tier Magon, est plutôt assurée latéralement entre deux vaisseaux, pla-cés l’un à côté de l’autre, de même forme mais dont l’un a 1 m delargeur tandis que l’autre n’en a que 0,40 m17. Cette communicationau moyen “d’un étroit boyau”, traduit-elle ici le principe de la décan-tation si caractéristique des techniques de construction des installationshydrauliques à l’époque romaine? C’est bien dommage que l’auteurne fournit pas davantage de précisions qui permettraient de répondreà cette question...Les caractéristiques architecturales générales ci-dessus exposées sontdevenues si connues et si typiques qu’elles sont aujourd’hui considé-rées parmi les indices les plus distincts qui permettent, en la présenceou en l’absence d’autres indices, d’attribuer à la période punique laconstruction ou, tout au moins, l’origine de la construction de l’édificeau sein duquel s’inscrit un tel type de vaisseaux. Elles permettent parlà même de suivre la diffusion des techniques de construction de cesinstallations hydrauliques au-delà des murs de la ville de Carthage etde sa péninsule. C’est ainsi par exemple que ces techniques sont attes-tées au moins dans deux sites situés dans lachorade Carthage, à Rased-Drek au Cap Bon18et à Oudhna (Uthina)dans la région dugrand Tunis. Et si à Oudhna le contexte auquel appartiennent les ves-tiges de la citerne punique que nous avons mise au jour relève,comme à Carthage, du domaine de l’architecture domestique19, il con-
plus anciennes en grandes maisons, dont l’énorme superficie de plus de 1000 m2nerencontre pas d’exemple dans le monde punique». RAKOB,Rapport, cit. p. 24-6; ID.,Travaux, cit., p. 10.15. CHELBI,Découverte, cit., p. 29, 30 (plan de la fouille), 31 fig. 4, 36 fig. 17,37 fig. 18.16.Ibid., p. 36.17.Ibid., p. 30 (plan de la fouille).18. Cf. F. BARRECA,Le fortificazioni puniche sul Capo Bon.II. Ras ed-Drek, inProspezione archeologica al Capo Bonpublié par F. BARRECA, M. H. FANTAR, Roma1983, p. 17-28, fig. 1.19. H. BAKLOUTI,Une fouille à Uthina, «REPPAL», 10, 1997, p. 30-1 et fig. 3
186Habib Bakloutivient de remarquer qu’à Ras ed-Drek, les deux édifices puniques ausein desquels ont été aménagées les installations hydrauliques relèvent,l’un du domaine de l architecture militaire (une forteresse), l’autre decelui de l’architecture religieuse (un petit temple), c’est-à-dire, sommetoute, de domaines appartenant au secteur public20.Ayant les mêmes caractéristiques architecturales que celles relevéesà Carthage, les cinq citernes mises au jour par F. Barreca dans la for-teresse de Ras ed-Drek offrent cependant la particularité d’être dis-posées en batterie, rangées les unes à côté des autres et inscrites ausein d’un massif de maçonnerie (en blocage) de 16,5 m de long sur8,5 m de large; leurs couvertures sont faites de dalles disposées en bâ-tière dont les petits côtés sont taillés en biseau21. L’on ne fait aucunemention de portes de communication ou de quoi que ce soit qui au-rait relié ces bassins les uns aux autres. Quant au petit temple situésur le même site, en contrebas de la forteresse en question22, il n’acompris qu’une seule citerne dont la forme dite en “L”23rappellecelle d’une autre citerne mise au jour par Ch. Saumagne dans les an-nées vingt du siècle dernier sur le versant est de la colline de Byrsa àCarthage, dans les vestiges de la maison dite d’Attis24. Et si de parses dimensions et les techniques de sa construction la citerne du tem-ple de Ras ed-Drek, fouillée et publiée par M. H. Fantar25, se trouvedans les normes que nous avons ci-dessus mentionnées, elle en diffèrecependant de par l’envergure et la composition de l’enduit étanchedont sont revêtues ses parois. En effet, de 10 cm d’épaisseur, celui-ciest formé de deux couches superposées dont une, la deuxième, estfaite de chaux et de poterie concassée (5 cm d’épaisseur). L’emploide la poterie concassée n’étant pas signalé jusque là dans la composi-tion du mortier hydraulique qui revêtait les parois des citernes puni-
et 17-18. En parfaite conformité avec les caractéristiques architecturales typiques desciternes de Carthage, cette citerne, qui n’a été, pendant la phase romaine de l’histoirede la cité, que partiellement conservée pour servir de structure de soutènement à unpalier d’habitation inférieur, a 5 m environ de long sur 1 m de large avec un peuplus de 3 m de profondeur.20. FANTAR,Le problème, cit.; BARRECA,Le fortificazioni, cit.21. BARRECA,Le fortificazioni, cit., p. 22 et figs. 3-5, tavs.XXI-XXIV; FANTAR,Leproblème, cit., p. 15 et pl.II.22. Cf. M. H. FANTAR,Le temple de Ras ed-Drek, inProspezione, cit., p. 42-63(particulièrement p. 53-5), figs. 3 et 7.23.Ibid.; ID.,Le problème, cit., p. 15-7.24. SAUMAGNE,Le Metrôon, cit., p. 301 et fig. 16.25. Voir tableau ci-joint porté en Annexe.
Hydraulique préromaine en Tunisie antique187ques, cela porte à croire que la citerne du temple de Ras ed-Drek au-rait continué, tout comme celle de Carthage de même forme signaléepar Ch. Saumagne, à fonctionner pendant la période romaine26.Mais bien au-delà du territoire de Carthage, tel que celui-ci fut cir-conscrit par lafossa regia, il est d’autres sites où la diffusion de cestechniques en matière de construction d’installations hydrauliques estégalement constatée. Nous nous proposons ici de faire part de casconstatés dans deux sites où il nous a été donné, sous l’égide de l’Ins-titut National du Patrimoine de Tunisie (l’INP) et grâce au concoursque nous a toujours apporté notre cher collègue et ami, le ProfesseurMustapha Khanoussi, d’entreprendre des travaux de recherche archéo-logique. Il s’agit des sites de Dougga (Thugga) et de Kalaat Bezzaz,situés l’un et l’autre dans la région du Nord-ouest tunisien, région,comme on le sait, des plus urbanisées et des plus imprégnées de cul-27ture punique en pays numide .
2Des citernes puniques en pays numide
2.1. Des citernes à caractère privé (domestique) à Dougga`A Dougga28, les citernes “de type punique”29que nous avons rele-vées sont généralement conformes aux caractéristiques architecturalesde celles découvertes à Carthage. Nous en avons relevé trois qui se
26. SAUMAGNE,Le Metrôon, cit., p. 301; ID.,Notes, cit., p. 653.27. Cf. G. CAMPS,Les Numides et la civilisation punique, «AntAfr», 14, 1979, p.43-53; M. GHAKI,Recherches sur les rapports entre les Phénico-Puniques et les Libyco-Numides,Vesiècle-Iesiècle av. J.-C., Thèse pour le doctorat deIIIeCycle, ParisI, 1979(dact.); KRANDEL-BENYOUN`ES,La présence, cit.28. Pour un aperçu rapide sur l’histoire et la géographie de ce site, voir notam-ment Cl. POINSSOT,Les ruines de Dougga, Tunis 1958, p. 9-26; M. KHANOUSSI,Doug-ga, Tunis 1998, p. 5-10; S. SAINT-AMAN,Topographie religieuse de Thugga (Dougga),Ausonius, Scripta Antiqua 9, Bordeaux 2004, p. 17-9.29. Contrairement à celles de Carthage, voire même à celles de Ras ed-Drek, cesciternes, n’étant encore fait l’objet d’aucune étude stratigraphique qui pourrait leurattribuer une datation assez précise, et bien que de par leur forme et leurs dimen-sions elles auraient selon toute vraisemblance appartenu à la période punique del’histoire de la cité, période bel et bien attestée àThuggarien que par le témoignagetrès éloquent que constitue notamment son célèbre mausolée libyco-punique mis enœuvre, à la fin duIIIeou dans la première moitié duIIesiècle av. J.-C., par uneéquipe mixte formée, d’après l’inscription bilingue que portait ce monument funé-raire (cénotaphe), de numides et de puniques, c’est par mesure de prudence que
188
Habib Baklouti
Fig. 1: Dougga. Deux citernes puniques accolées, à l’entrée sud des ther-mes antoniniens (cl. de l’auteur).
trouvent bien dégagées et relativement en bon état de conservation.Deux parmi elles sont bien visibles, à droite, en accédant aux thermesantoniniens (ex – thermes liciniens) par leur sous-sol qui donne sur larue du temple anonyme I (Dar-el-Acheb) (FIG. 1)30. Il s’agit de deuxbassins oblongs accolés, orientés Sud sud-est/Nord nord-ouest, séparéspar un mur en blocage de 0,55 m de large et décalés l’un par rap-port à l’autre de 0,95 m (FIG. 2). Ayant à peu près les mêmes dimen-
nous préférons toutefois les qualifier en tant que tel. L’emploi des voûtes n étant pasencore, selon toute vraisemblance, en usage dans les premiers siècles de la présenceromaine en Afrique, notamment pendant la période républicaine et les premières dé-cennies de l’instauration de l’empire, l’on avait certainement continué àThugga,comme dans bien d’autres cités en pays numide qui continuaient à vivre au diapasonde la civilisation punique bien après la destruction de Carthage, à construite des ci-ternes selon le modèle punique. Aussi, et comme nous l’avons souligné au début decette note, nous nous gardons d’attribuer d’amblée les citernes dont il s’agit ici à lapériode punique. Au sujet du mausolée de Dougga, cf. POINSSOT,Les ruines, cit., p.58-61; M. GHAKI,E´ pigraphie libyque et punique à Dougga (TGBB), in M. KHANOUSSI,L. MAURIN(éd.),Dougga (Thugga). E´ tudes épigraphiques, Bordeaux 1997, p. 27-43;M. KHANOUSSI,Dougga, p. 72-4.30. Cf. POINSSOT,Les ruines, cit., plan h. t.; KHANOUSSI,Dougga, cit., p. 12-3(plan du site).
HydrauliquepréromaineenTunisieantique
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Fig. 2: Dougga. Plan des deux citernes puniques à l’entrée sud des thermesantoniniens (relevé de l’auteur).
sions31ils ne sont pas cependant tout à fait identiques de par leurforme. Alors que les deux extrémités de l’un sont inscrites en demi- qu une seucercle (0,60 m de rayon), l’autre n’en a ’ le ainsi dessinée(0,70 m de rayon) tandis que sa deuxième extrémité est parfaitementrectiligne; cette disposition inédite était peut-être dictée par la naturedu terrain à flanc de colline dans lequel sont creusées les deux citer-nes et qui est en bonne partie constitué par l’affleurement du banccalcaire nummulitique. En effet, l’on constate que, contrairement auxautres parois qui sont confortées de maçonnerie faite de gros moellonsplus ou moins équarris, disposés en assises plutôt régulières et liés àl’argile, celle qui forme le long côté nord de la citerne septentrionaleest carrément constituée du substrat rocheux dont nous venons de
31. 4,60 m de long sur 1,10 m de large pour l’un et 4,70 m de long sur 1 m delarge pour l’autre, les deux ont 4 m environ de profondeur chacun.
190Habib Bakloutiparler. Cette paroi est revêtue, comme presque toutes les autres, d’unmortier d’étanchéité de 3 à 5 cm d’épaisseur, constitué de trois cou-ches: une couche d’argile plastique (entre 0,5 et 1 cm d’épaisseur, dece matériau même qui sert de liant aux moellons des parois maçon-nées) directement appliquée sur la face rocheuse de la paroi ou surcelle de la maçonnerie; une couche médiane constituée de chaux etde pisé de poterie où apparaissent de petits grains de tuileau (de 1à 2,5 cm d’épaisseur); une couche de lissage faite de chaux et de cen-dre (0,2 cm d’épaisseur). Ce mortier, tel qu’il vient d’être décrit, cou-vre toutes les parois sauf celle qui forme le long côté sud du bassinméridional. Celle-ci est revêtue d’un mortier hydraulique plus épais(5 cm) constitué de trois couches dont les matériaux sont d’une com-position relativement différentes: une première couche constituée d’uncrépis à base de chaux et de petits grains de gravier et de poterie (2cm d’épaisseur); une couche médiane à base de chaux et de tuileauxbien distincts (2,5 cm d’épaisseur); enfin une couche de lissage ayantles mêmes caractéristiques que celle décrite précédemment. Cette rela-tive hétérogénéité dans la composition des couches de mortier d’étan-chéité qui revête les unes et les autres des parois des deux installa-tions hydrauliques et qui atteste des travaux d’entretien et de réfec-tion, laisse penser que, ayant peut-être été construite en période pu-nique ou, au plus tard, pendant les tout premiers siècles de la pré-sence romaine en Afrique32, ces deux citernes avaient probablementcontinué à être utilisée au sein d’une construction que l’on avait peut-être détruite au début duIIIesiècle ap. J.-C. lors de l’ouverture dugrand chantier pour l’édification des thermes antoniniens33. La couver-ture de chacune des deux citernes est constituée de dalles juxtaposéesdans le sens de la largeur, posées à plat34. Relativement en meilleurétat de conservation, la citerne septentrionale conserve encore son pui-sard (FIG. 3)35. Contrairement aux citernes puniques de Carthage36,l’orifice de celui-ci, de forme plutôt trapézoïdale37, est entièrement fo-
32. Voirsupra, n. 29.33. Cf. Z. BENABDALLAHet L. MAURIN, in M. KHAMOUSSIet L. MAURINdir.,Dougga, fragments d’histoire, Ausonius, Memoires 3, Bordeaux 2002, p. 122-4.34. Huit dalles couvraient l’une et sept couvraient l’autre; elles ont en moyenne1,35 m de long, 0,60 m de large et 0,15 m d’épaisseur.5. Pour le deuxième bassin, les dall ’étant pas toutes conservées, l’on ne3 es npeut pas préjuger de l’existence d’un puisard ni de son emplacement.36. Voirsupra, p. 131-2.37. Dimensions: 0,55 m pour la grande base; 0,35 m pour la petite base; 0,55 mpour chacun des deux côtés latéraux.
Hydraulique préromaine en Tunisie antique
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Fig. 3: Dougga. Puisard et son couvercle de l’une des deux citernes puni-ques des thermes antoniniens (cl. de l’auteur).
ré au milieu d’une seule dalle (de 1,15 m de largeur), à plus d’un mè-tre de l’extrémité absidiale orientale de la citerne. Un bloc de pierrede forme cubique, taillé dans le même calcaire, semble avoir servi decouvercle au puisard. Un pavement enopus signinumdont des restess’étalent sur les dalles de couverture de ces deux citernes et qui nelaissait voir de celles-ci, semble-t-il, que leurs puisards, préjuge de l’exi-stence d’une cour qui aurait servi d’impluvium.La troisième citerne “de type punique” que nous avons relevée àDougga (FIG. 4), se situe à quelques mètres en contrebas des deux ci-ternes précédentes, sur la bordure méridionale de la rue du templeanonymeI(Dar-el-Ach’heb), à l’étage inférieur d’une maison en ruines38qui délimite, du côté ouest, la maison dite de Dionysos et d’Ulysse .De par ses dimensions (FIG. 5)39, sa couverture en dalles posées àplat et sa forme en baignoire, elle ne diffère pratiquement en rien desciternes puniques communément décrites. Mais de par les techniquesde sa construction, elle offre les particularités suivantes: – ses paroissont construites plutôt enopus quadratum, avec des pierres soigneuse-ment taillées dans le calcaire local, disposées en assises irrégulièrespseudo-isodomes; – l’enduit d’étanchéité qui couvrait celles-ci est faitd’unopus signinum(mortier de tuileaux), de cetopusdont l’usagecomme matériau de revêtement des parois internes des citernes et desautres installations hydrauliques est plutôt caractéristique de la période
38. Cf. POINSSOT,Les ruines, cit., plan h. t.; KHANOUSSI,Dougga, cit., p. 12-3(plan du site).39. Elle est de 5 m de long sur 1,45 m de large et 2,5 m environ de profondeurvisible.
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