Koropokgrus, Aïnous, Japonais, aux origines du peuplement de l archipel. Débats chez les anthropologues, 1884-1913 - article ; n°1 ; vol.30, pg 123-154
34 pages
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Koropokgrus, Aïnous, Japonais, aux origines du peuplement de l'archipel. Débats chez les anthropologues, 1884-1913 - article ; n°1 ; vol.30, pg 123-154

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Ebisu - Année 2003 - Volume 30 - Numéro 1 - Pages 123-154
L'anthropologie moderne émerge au XIXème siècle, produit d'une division entre Sujet et Objet. La Société d'anthropologie de Tokyo est créée en 1884 dans le contexte de la modernisation du Japon. Outre leur discours sur l'Altérité, les chercheurs de cette société discutent des « origines des Japonais », de façon similaire aux débats sur les origines de l'Etat-nation qui parcourent l'Europe à cette époque. La question de la nature raciale du peuplement préhistorique de l'archipel est particulièrement centrale durant l'ère Meiji. Des anthropologues comme le médecin Koganei ou le biologiste Shirai voient rapidement dans les Aïnous de Hokkaidô les « sauvages anthropophages » de l'« âge de lapierre », cautionant ainsi scientifiquement la colonisation des territoires du Nord. Tsuboi, le fondateur de la Société, pense quant à lui que les sites de l'archipel sont le legs des « Koropokgrus », un autre peuple qui aurait précédé le peuplement aïnou. Une étude précise des débats de la Société d'anthropologie durant l'ère Meiji permet de réfléchir sur le questionnement identitaire et le discours sur l'Altérité aïnoue au Japon à la fin du XlXème siècle.
Modern anthropology emerges during the XIXth century as a result of division between Subject and Object. The Anthropological society of Tokyo is created in 1884 in the context of Japan's modernisation. Besides their discourse on Alterity, the Society's scholars discuss the « origin of the Japanese » in a very similar way to the debates on the origin of the Nation-state that take place in Europe. Questioning the racial nature of the prehistoric settlement of the archipel is then one of the main purpose of the Meiji era's anthropology. Soon, anthropologists such as the doctor Koganei or the biologist Shirai identify the Ainus or Hokkaido as « anthropophagous savages » of the « stone age », and therefore scientifically participate to the colonization of northern territories. Tsuboi, foundator of the Society, does consider for his concern that the archaeological sites of the archipelago are those of the « Koropokgrus », who would have preceded the ainou settlement. A detailed study of the anthropological Society's debates during the Meiji era should allow to understand the concern about identity and the discourse on the Ainu alterity by the end of XIX1 century Japan.
32 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 2003
Nombre de lectures 41
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Arnaud Nanta
Koropokgrus, Aïnous, Japonais, aux origines du peuplement de
l'archipel. Débats chez les anthropologues, 1884-1913
In: Ebisu, N. 30, 2003. pp. 123-154.
Citer ce document / Cite this document :
Nanta Arnaud. Koropokgrus, Aïnous, Japonais, aux origines du peuplement de l'archipel. Débats chez les anthropologues,
1884-1913. In: Ebisu, N. 30, 2003. pp. 123-154.
doi : 10.3406/ebisu.2003.1334
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ebisu_1340-3656_2003_num_30_1_1334Résumé
L'anthropologie moderne émerge au XIXème siècle, produit d'une division entre Sujet et Objet. La
Société d'anthropologie de Tokyo est créée en 1884 dans le contexte de la modernisation du Japon.
Outre leur discours sur l'Altérité, les chercheurs de cette société discutent des « origines des Japonais
», de façon similaire aux débats sur les origines de l'Etat-nation qui parcourent l'Europe à cette époque.
La question de la nature raciale du peuplement préhistorique de l'archipel est particulièrement centrale
durant l'ère Meiji. Des anthropologues comme le médecin Koganei ou le biologiste Shirai voient
rapidement dans les Aïnous de Hokkaidô les « sauvages anthropophages » de l'« âge de lapierre »,
cautionant ainsi scientifiquement la colonisation des territoires du Nord. Tsuboi, le fondateur de la
Société, pense quant à lui que les sites de l'archipel sont le legs des « Koropokgrus », un autre peuple
qui aurait précédé le peuplement aïnou. Une étude précise des débats de la Société d'anthropologie
durant l'ère Meiji permet de réfléchir sur le questionnement identitaire et le discours sur l'Altérité aïnoue
au Japon à la fin du XlXème siècle.
Abstract
Modern anthropology emerges during the XIXth century as a result of division between Subject and
Object. The Anthropological society of Tokyo is created in 1884 in the context of Japan's modernisation.
Besides their discourse on Alterity, the Society's scholars discuss the « origin of the Japanese » in a
very similar way to the debates on the origin of the Nation-state that take place in Europe. Questioning
the racial nature of the prehistoric settlement of the archipel is then one of the main purpose of the Meiji
era's anthropology. Soon, anthropologists such as the doctor Koganei or the biologist Shirai identify the
Ainus or Hokkaido as « anthropophagous savages » of the « stone age », and therefore scientifically
participate to the colonization of northern territories. Tsuboi, foundator of the Society, does consider for
his concern that the archaeological sites of the archipelago are those of the « Koropokgrus », who
would have preceded the ainou settlement. A detailed study of the anthropological Society's debates
during the Meiji era should allow to understand the concern about identity and the discourse on the Ainu
alterity by the end of XIX1 century Japan.Ebisu 30, Printemps-été 2003, Maison Franco-Japonaise, Tokyo, p. 123-154.
KOROPOKGRUS, AÏNOUS, JAPONAIS,
AUX ORIGINES DU PEUPLEMENT DE L'ARCHIPEL
Débats chez les anthropologues, 1884-1913
Arnaud NANTA
Maison Franco-Japonaise / Université Paris 7
La mise en place du nouveau gouvernement de Meiji en 1868 marque le
début de la modernisation du Japon. Le Japon entre dans l'âge du nationalisme. La
modernisation signifie une refonte de l'État et aussi de la société suivant le modèle
de l'État-nation occidental. Ce processus implique une réorganisation du système
du savoir. Le mode moderne occidental du savoir sépare, d'un côté, des disciplines
comme l'histoire et la littérature (les « humanités »), étudiant l'Identité et le Soi un processus en mouvement, et, d'un autre côté, les champs de l'anthropologie
(l'« anthropos »), qui étudient l'Altérité, saisie comme une essence immuable et
fixe. La Société d'anthropologie de Tôkyô, fondée en 1884, constitue l'un des lieux
de cette étude de l'Autre, saisi dans sa différence radicale. Les champs de
l'anthropologie rassemblent alors l'ethnologie, l'anthropologie physique,
l'archéologie préhistorique et la linguistique. L'anthropologie saisit en effet l'Altérité
comme une essence immuable, fixe dans le temps et identique à elle-même depuis
la préhistoire. L'anthropologie est un champ occidental du savoir qui participe du
projet colonial des États-nations, parfois activement sur le terrain, parfois
indirectement en légitimant l'infériorité par essence des populations conquises et
soumises.
Les débats de la Société d'anthropologie portent dès sa fondation sur la
question du « Peuple japonais » ainsi que sur la nature raciale du peuplement
préhistorique de l'archipel, de manière similaire aux débats européens du XDv e
siècle sur les origines de l'Etat-nation. Une des questions centrales est alors de
savoir quel sort réserver aux Aïnous. Certains chercheurs de Tôkyô associent
rapidement le « sauvage anthropophage » de l'« âge de la pierre » avec les populations
aïnoues de Hokkaidô et de Sakhaline, zones colonisées et intégrées au Japon en
1 Voir Pierre-François Souyri, « La Colonisation japonaise : un colonialisme moderne mais
non occidental », in Marc Ferro, Le Livre noir du colonialisme, Robert Laffont, 2003, 845 p., p. 407-430. 1 24 KOROPOKGRUS, AINOUS, JAPONAIS
1868 et 1875. Ces chercheurs s'appuient en cela autant sur leurs recherches que
sur une lecture rationalisante des chroniques du VIIFme siècle selon laquelle les
Japonais, « peuple de la Culture du Fer », auraient chassé les « autochtones » de
l'archipel pour y fonder la dynastie impériale il y a 2 600 ans.
L'archéologie préhistorique et l'anthropologie font une large place à des
concepts nouveaux comme celui de « peuple » spécifique et de sa « Culture »
associée. Les « peuples » de l'anthropologie sont autant d'unités où race et esprit
sont saisis en congruence. La problématique raciale et l'anthropologie physique
dominent dans cette vision des populations aïnoues au Japon.
D'autres encore se reposèrent sur une méthode ethnologique et cherchèrent
l'Altérité barbare préhistorique ailleurs, tandis qu'ils argumentaient l'intégration
par assimilation des Aïnous au sein de la nation japonaise.
Une étude des débats relatifs au « Peuple Japonais » sur la période 1884-1913
permet de comprendre comment cette opposition de vues au sujet des Aïnous s'est
superposée à une divergence méthodologique entre d'une part l'ethnologie et d'autre
part l'anthropologie physique. Cette divergence de méthode ne doit cependant pas
masquer les continuités du champ de l'anthropologie. Dans leurs études du
peupement préhistorique, les premiers discutaient de la « Culture » pour saisir le
« peuple » tandis que les seconds partaient de la « race » pour aboutir à la « Culture ».
Origine des Japonais et préhistoire de l'archipel :
les premiers débats anthropologiques autour de Morse et Milne
Dans le cadre de la mise en place du système universitaire moderne, des
professeurs étrangers sont recrutés en grand nombre par le gouvernement Meiji
dans la décennie 1870. Parmi ceux-ci, le biologiste américain Edward Sylvester
Morse (1838-1925), originellement venu au Japon pour récolter des échantillons
de brachiopodes, et le géologue britannique John Milne (1850-1913). Tous deux
chercheurs de premier plan, leurs réflexions concernant les « origines des Japonais »
dans le cadre du débat sur la préhistoire de l'archipel ont constitué un corpus de
textes de référence entre 1879 et 1882.
Après avoir opéré en 1877-1878 des fouilles sur l'amas coquillier d'Omori
[Ùmori kaikyo JkMSï'^, entre Tokyo et Yokohama), et suite à un voyage à Hokkaido
durant l'été 1878, Morse présente sa vision du peuplement préhistorique de l'archipel
dans l'article « Traces of an Early Race in Japan » en janvier 1879, puis dans le
rapport « Shell Mounds of Omori » au mois de juillet. Le premier texte pense la
préhistoire de l'archipel en terme d'alternance raciale entre indigènes et allogènes
(Japonais). Morse prend ici pour modèle l'histoire américaine de l'alternance entre
colons blancs et populations autochtones i

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