L Argot ou les mots de la pudeur - article ; n°1 ; vol.75, pg 85-96
13 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

L'Argot ou les mots de la pudeur - article ; n°1 ; vol.75, pg 85-96

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
13 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Langage et société - Année 1996 - Volume 75 - Numéro 1 - Pages 85-96
Françoise Mandelbaum-Reiner Argot, or words of modesty.
Argot is often conceived as vulgar, associated with swear-words, insults, and other expressions of lowly instincts. But looking more closely at its use shows that, on the contrary, it is often the expression of modesty by ordinary people. First of all, it is not used with everyone ; based on the assumption that the speakers are in league with each other, argot allows them to broach delicate subjects in a private way that excludes third parties, unless they commit some indiscretion. Next, argot is creative, applying understood metaphors which are all the opposite of using the crude right terms. Finally, the study shows that argots are all but closed systems, an incessant play on circumventing and reconstructing forms for the greater benefit of sociability.
L'argot est souvent vu comme grossièreté, conjoint aux injures, jurons insultes et autres expressions des bas instincts. Mais en ré-examinant les pratiques argotiques, on peut au contraire y voir une série de manifestations de la pudeur populaire. Dans son énonciation tout d'abord, c'est une pratique qui ne s'adresse pas à tout le monde. Supposant une connivence, l'argot permet d'aborder des sujets délicats dans un espace qui protège son statut privé, d'où le tiers est exclus ou ne peut comprendre que par indiscrétion. Dans son inventivité ensuite, faisant un large usage de métaphores convenues qui sont tout le contraire de la crudité du mot propre. Cet exercice permet de montrer que les argots ne sont pas des systèmes clos mais au contraire un jeu constant de détournement et de reconstruction des formes dans une sociabilité.
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1996
Nombre de lectures 39
Langue Français

Extrait

Françoise Mandelbaum-Reiner
L'Argot ou les mots de la pudeur
In: Langage et société, n°75, 1996. pp. 85-96.
Abstract
Françoise Mandelbaum-Reiner Argot, or words of modesty.
Argot is often conceived as vulgar, associated with swear-words, insults, and other expressions of lowly instincts. But looking
more closely at its use shows that, on the contrary, it is often the expression of modesty by ordinary people. First of all, it is not
used with everyone ; based on the assumption that the speakers are in league with each other, argot allows them to broach
delicate subjects in a private way that excludes third parties, unless they commit some indiscretion. Next, argot is creative,
applying understood metaphors which are all the opposite of using the crude "right" terms. Finally, the study shows that argots
are all but closed systems, an incessant play on circumventing and reconstructing forms for the greater benefit of sociability.
Résumé
L'argot est souvent vu comme grossièreté, conjoint aux injures, jurons insultes et autres expressions des bas instincts. Mais en
ré-examinant les pratiques argotiques, on peut au contraire y voir une série de manifestations de la pudeur populaire. Dans son
énonciation tout d'abord, c'est une pratique qui ne s'adresse pas à tout le monde. Supposant une connivence, l'argot permet
d'aborder des sujets délicats dans un espace qui protège son statut privé, d'où le tiers est exclus ou ne peut comprendre que par
indiscrétion. Dans son inventivité ensuite, faisant un large usage de métaphores convenues qui sont tout le contraire de la crudité
du mot propre. Cet exercice permet de montrer que les argots ne sont pas des systèmes clos mais au un jeu constant
de détournement et de reconstruction des formes dans une sociabilité.
Citer ce document / Cite this document :
Mandelbaum-Reiner Françoise. L'Argot ou les mots de la pudeur. In: Langage et société, n°75, 1996. pp. 85-96.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lsoc_0181-4095_1996_num_75_1_2730Françoise MANDELBAUM-REINER
UFR de linguistique générale et appliquée
Université de Paris V René Descartes
L'argot ou les mots de la pudeur '
([...] voiler de pudeur, par nos mots imagés, nos chagrins,
nos malheurs, nos deuils, nos misères, nos désespoirs. »
Auguste Le Breton,
« Prélude à des mots verts »,
L'argot des vrais de vrais, p. 1 2
« Et la discrétion, alors ?[...] dans l'usage du langage. »
Alphonse Boudard
« Fragilité et solidité des argots »,
La Méthode à Mimile, p. 1 7
< Les paroles envolées demeurent muettes si l'on ne prend
pas soin de les recueillir, non pour en faire un musée,
mais pour retrouver, au creux de leur légèreté,
la profondeur grave des révoltes et des consentements
jaillis de bouches auxquelles jamais
on ne demandait (ni n'autorisait) la parole. »
Ariette FARGE,.
Dire et mal dire, l'opinion publique au XVIIIe siècle, p. 9
1. Je ne peux plus imaginer de parler d'argot sans rendre hommage à l'œuvre d'Auguste le
Breton qui est sans doute le premier à avoir mis l'accent sur cette fonction de pudeur et dont
la sincérité des témoignages est le phare me gardant de perdre le cap sur cette réalité.
© Langage et société n° 75 - mars 1996 86 FRANÇOISE MANDELBAUM-REINER
A fréquenter des argotiers, j'ai rencontré leur "pudeur" ou la "dis
crétion", sa variante, jusque dans l'usage créatif des fameux mots
d'argots, soit le langage de cette "chevalerie du trottoir", si chère à
Auguste Le Breton (1975 : 313). Mais qu'on ne s'y trompe pas ! En
privilégiant cette fonction pudique, il ne s'agit pas, ici, d'édulcorer
l'usage provocateur d'une parole libératrice de subversion dans le
vocabulaire sage des convenances. Le but est plutôt de montrer
comment, par ces mots de la pudeur, les argotiers passent outre le
mépris rejetant et la honte isolante, de même qu'ils ne se privent pas
d'exprimer des sentiments et réflexions, dont la noblesse n'étonne
que les profanes de la conception populaire de la dignité. La prime
du parcours serait d'entamer des certitudes erronnées, sans autre
fondement que des amalgames, confusions, ignorances. . ., qui courent
sur la socialite argotique.
CE QUE L'ARGOT N'EST PAS
Le goût actuel pour l'expression argotique - 1. qui ne date pas de la
dernière pluie, - 2. dont l'usage signale encore des gens "incorrects"
aux gens "polis", - 3. qui a toujours été considérée comme une indi
gnité sinon une monstruosité ou même un exotisme langagier à
portée de bouche, serait-il l'indice d'une réconciliation avec l'argot et
les argotiers ? Ne confondons pas vitesse et précipitation. J'entends si
souvent : « L'argot ? Ah, oui! les grossièretés, la vulgarité, les injures. . . ».
Et ben, non ! l'argot c'est pas ça. Car il ne suffit pas de jurer comme un
beauf pour parler argot. Et je ne connais pas d'autre vulgarité que
l'hypocrisie2 qui ne peut pas faire bon ménage avec cette franchise
de la spiritualité populaire qui donne à l'argot qu'elle produit : saveur,
2. Comme celle des "snobs" (Sans NOBlesse), qui s'emparent irrésistiblement de quelques
mots d'argot, en guise d'ornement, juste pour s'encanailler, telle la bourgeoise du
XVI e arrondissement qui ne connaissant rien de ce qu'est la "galère" ni la "misère"
actuelle des smicards, chômeurs, prisonniers. . . s'offrirait un luxe de plus en s'appro-
priant un vocabulaire qui la ridiculise : "Ah! là, là! j'ai galéré toute l'après-midi pour
trouver un p'tit' cashmire gris assorti à mon fut'. J'te dis pas la misère!", quand bien
même le lexique n'est la propriété de personne. L'ARGOT OU LES MOTS DE LA PUDEUR 87
verdeur, truculence et légèreté, d'où un Cocteau (1956) pouvait dire
« plutôt que verte, l'argot est une langue rouge et comestible », soit
autre chose que la lourdeur de la de bois des hâbleurs profes
sionnels. Enfin, la grossièreté ne concerne que la pensée prétentieuse
et étriquée de ceux qui n'attribuent l'argot qu'aux "malfaiteurs, voyous,
truands" et qui, copiant le lexique des soupçons policiers, n'arrivent à
dresser qu'une image unidimensionnelle de l'argotier hors des para
mètres de la réalité sociale de sa condition populaire, laquelle mérite
de retenir autrement l'attention que cette arrogance préalable à sépa
rer indûment des semblables3 et à mêler des personnes radicalement
différentes4. Le vivant des mots d'argot est bien plus riche en subtil
ité que ces voisins lexicaux, au demeurant intéressants à étudier pour
les linguistes et à reformuler pour les créateurs d'argots.
ET L'ARGOT DANS TOUT ÇA ?
Du dehors de sa sphère d'emploi, la spécificité de la parole argotique
n'est certes pas facile à établir tant sont floues les limites entre français
châtié, populaire, vulgaire, familier et argot, qu'il faut encore préciser
ici français, car il en existe dans d'autres langues - existe-t-il une
langue sans argot ? Pourtant ceci qu'oral avant tout, l'argot n'est pas
une langue mais, en français, « le vocabulaire argotique est à peu près
la seule chose par quoi l'argot diffère du parler populaire » (Alphonse
Boudard et Luc Etienne, 1990 : 22). Mais, contrairement à ce qu'on
peut lire, son usage ne se réduit pas à « doubler le vocabulaire
commun ». L'anthropologue de la ville, Colette Petonnet, montre bien
3. « Un chauffeur de taxi, un titi parisien, un couvreur sur son toit, un mécanicien dans
son garage, etc. usent couramment de la langue verte. Bien souvent, ce sont eux qui
l'ont enrichie en créant un mot qui, ayant fait mouche, a aussitôt été adopté par le
peuple des faubourgs, ce peuple à qui l'on est redevable, et à lui seul, de I'argot.
D'ailleurs, pourquoi l'ouvrier ne comprendrait-il pas le parler d'un truand, alors qu'ils
sont issus du même milieu social, que des souvenirs d'école, de régiment ou de famille
les lient la plupart du temps ? » Auguste Le Breton, "Avant-propos", L'argot des vrais
de vrais , 1975 : 7.
4. Auguste Le Breton, Le mitan, Note, op.cit. : 314-315, sa réflexion sur l

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents