L impossible quête d un kalos thanatos chez les Miraña de l Amazonie colombienne  ; n°1 ; vol.85, pg 387-398
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L'impossible quête d'un kalos thanatos chez les Miraña de l'Amazonie colombienne ; n°1 ; vol.85, pg 387-398

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Journal de la Société des Américanistes - Année 1999 - Volume 85 - Numéro 1 - Pages 387-398
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Publié le 01 janvier 1999
Nombre de lectures 23
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Dimitri Karadimas
L'impossible quête d'un kalos thanatos chez les Miraña de
l'Amazonie colombienne
In: Journal de la Société des Américanistes. Tome 85, 1999. pp. 387-398.
Citer ce document / Cite this document :
Karadimas Dimitri. L'impossible quête d'un kalos thanatos chez les Miraña de l'Amazonie colombienne. In: Journal de la Société
des Américanistes. Tome 85, 1999. pp. 387-398.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jsa_0037-9174_1999_num_85_1_1745L'IMPOSSIBLE QUETE D'UN KALOS THANATOS
CHEZ LES MIRAŇA D'AMAZONIE COLOMBIENNE
Dimitri KARADIMAS *
Poser la question de la malemort au sein d'une société donnée, c'est s'interroger sur
les conditions d'achèvement de la vie que cette société énonce pour ses membres. C'est,
corrélativement, postuler que, pour toute société donnée, la vie possède une fin mais
qu'il existe, soit dans la forme, soit dans le temps, des fins plus légitimes que d'autres.
L'injustice ressentie face à une mort trop violente, ou à une vie trop brève, révèle
l'illégitimité de ce type de trépas. Le postulat qu'une fin de vie, la mort, doive
nécessairement arriver pour toute personne implique pour le moins de concevoir, au
sein d'un système culturel donné, un ordre qui commande cet achèvement (sans, bien
sûr, qu'il ne soit nécessairement perçu comme naturel, bien au contraire). Quelle que
soit la nature de cet ordre — que nous l'appelions volonté divine, principe de prédat
ion ou — il est le responsable de cette fin. Il fixe la légitimité du temps accordé
à l'existence comme le moment du trépas. S'il n'existe pas, dans l'absolu, un temps et
une manière pour mourir, certaines sociétés ont un tout autre avis sur le sujet
puisqu'elles estiment que toutes les morts ne sont pas équivalentes, qu'il existe des
bonnes et des malemorts.
La coupure instaurée par le trépas entre la personne décédée et les vivants laisse ces
derniers face à une vacuité. La personne n'est plus ; ne restent que son corps et son (ou
ses) âme(s) qu'il faut traiter rituellement. Le familier ou l'ami n'existe plus que dans la
mémoire des vivants et c'est à ce souvenir laissant émerger l'image du défunt, ainsi
qu'à la dépouille, que les pratiques funéraires tentent de donner une place spécifique
(le plus souvent séparée des vivants). Les lieux, les objets, les propriétés sont encore
investis de la trace de leur ancien visiteur et possesseur, tout comme les parents du
défunt sont encore tributaires d'un lien ne les rattachant plus, depuis le trépas, qu'à
une absence.
Si, par ailleurs, le trépas d'une personne ayant parachevé son existence crée du
chagrin dans certains cas, il n'éveille aucune indignation chez les vivants envers l'ordre
évoqué précédemment ; l'existence est parvenue à un terme que cet ordre incarne pour
chaque société. La mort d'une personne ayant mené son existence jusqu'à ce qui est
considéré comme son terme par un système culturel donné n'est donc pas illégitime.
* Centre d'Études des Langues Indigènes d'Amérique (CÉLIA) et Équipe de Recherche en Ethnologie
Amérindienne (EREA), 7, rue Guy Môquet, 94801 Villejuif cedex.
Journal de la Société des Américunistes 1999, 85 : p. 387 à 398. Copyright © Société des Américanistes. 388 JOURNAL DE LA SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES
Vouloir poursuivre parmi les vivants une existence qui a toutes les chances de se
réaliser ailleurs dans un destin post-mortem serait conçu comme allant à rencontre de
cet ordre.
L'incomplétude perçue par les membres d'une société dans une mort donnée serait
ainsi la caractéristique première de la notion de malemort. Cet inachèvement peut,
comme nous l'avons déjà évoqué, s'exprimer dans les circonstances du trépas ou
encore dans l'âge du défunt. Cependant, loin d'être limitatives, ces deux variantes
peuvent être accompagnées par d'autres formes d'incomplétude. L'absence de
dépouille mortelle, par exemple, peut rendre les funérailles impossibles. Un cadavre
incomplet peut être interprété, selon les sociétés, comme présentant également une
âme incomplète. Mais quelles que soient ses formes, l'incomplétude retient parmi les
vivants une partie du mort et empêche le trépas de l'âme. Elle crée des restes (de vie
inachevée, de corps — ou de parties de corps — absent) et les différentes formes de
morts ne sont que des variantes d'une temporalité écourtée. Les restes ainsi créés
posent problème aux vivants qui doivent trouver un moyen de les traiter rituellement,
en instituant, le plus souvent, une séparation définitive par leur restitution dans le
domaine des morts. C'est donc par l'incapacité de donner une réponse rituelle spéci
fique à ces restes — ce qui permettrait d'évacuer avec le mort les formes d'incomplé
tude restées parmi les vivants — qu'émerge la catégorie de malemort révélée par le fait
que des funérailles « normales » ne sauraient permettre leur traitement (de vie inache
vée, d'homicide, et de toutes formes de trépas reconnues comme injustes par une
société donnée). La manifestation la plus courante de ces restes prend la forme de
spectres qui viennent tourmenter les familiers du défunt, voire, dans les cas d'homicid
es, le meurtrier ou encore tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre, sont mis en
contact avec les lieux habités par ces restes (présents dans la mémoire des personnes
ayant eu connaissance de ce trépas illégitime). Le spectre est donc comme l'expérience
refoulée d'un ancien présent qui ne se décide pas à devenir passé.
À l'opposé de cette première et très large définition de la malemort, n'y a-t-il pas la
possibilité d'évoquer une forme de trépas créant également des restes, de l'incomplé
tude, mais qui n'impliquerait pas que cette mort soit perçue comme une malemort ?
En un sens, l'incomplétude est-elle la garante de l'émergence de la catégorie de
malemort ?
Le cas de la mort mirana que je voudrais présenter ici serait celui d'une confusion
entre bonne et malemort. Mon propos est de montrer qu'il n'existerait pas dans cette
société de mort qui puisse revêtir l'habit d'une « bonne mort », d'un kalos thanatos. En
ce sens, toute mort serait, pour cette société, une malemort. Toute mort chez les
Miraňa ne crée que des restes qui sont présentés comme dangereux pour les vivants.
La formule apparaît cependant dans un premier temps comme trop lapidaire. En
effet, comment une société peut-elle construire son escaton s'il n'existe pas, ne serait-ce
que partiellement, une possibilité pour ses membres de trouver une issue favorable à
une existence bien menée ? Comment une société inscrit-elle une conduite normative
pour ses membres en s'abstenant de faire une distinction entre différentes morts ? Si
une telle possibilité existe effectivement, quelle est la motivation sociologique com
mandant une telle indistinction ?
Pour tenter de répondre à ces questions, je me propose de présenter rapidement les
notions miraňas relatives à la mort et à la prédation pour dégager l'impossibilité d'une NOTES ET COMPTES RENDUS DE RECHERCHES 389
distinction entre kalos et kakos thanatos, entre bonne et malemort. Je prendrai ensuite
comme contrepoint ethnographique pour l'aire amazonienne le cas arawete discuté
par E. Viveiros de Castro (1992) \ ainsi que les points de vue développés par cet
auteur sur la constitution des « Dieux » arawete à partir des âmes des défunts. La
confrontation de ce cas tupi avec la société miraňa — qui semble avoir subi par ailleurs
une influence tupi — sur leur eschatologie, nous fournira les modalités d'une énon-
ciation de l'impossibilité conceptuelle d'une « bonne mort » pour les Miraňa dans la
mesure où ces sociétés placent la prédation comme clef de voûte de la compréhension
des rapports avec l'altérité.
Les Miraňa
Les Miraňa occupent un territoire situé le plus à l'ouest du vaste ensemble tupi sur
le moyen

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