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Publié le
01 janvier 1995
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Monsieur Rémi Lenoir
L'invention de la démographie et la formation de l'État
In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 108, juin 1995. pp. 36-61.
Citer ce document / Cite this document :
Lenoir Rémi. L'invention de la démographie et la formation de l'État. In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 108,
juin 1995. pp. 36-61.
doi : 10.3406/arss.1995.3146
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arss_0335-5322_1995_num_108_1_3146Zusammenfassung
Die Erfindung der Demographie und die Entstehung des Staates
Hier ist nicht der Ort, die Geschichte der Denkkategorien der demographischen Wissenschaft von
Grund auf neu zu entwickeln. Es soll sich lediglich darum handeln, in Bezug auf eine
Sozialwissenschaft, die seit je ein staatliches Verwaltungsinstrument und Mittel des Verstehens der
sozialen Welt gleichzeitig hat sein wollen, die Mechanismen freizulegen, nach denen diese Kategorien,
die ihnen zugrundeliegenden Fragestellungen und die sie betreffenden Bestimmungen entstehen.
Derart versucht die Analyse den sozialen Raum der Herstellung und des Vertriebs des
demographischen Dis-kurses zu erstellen, der sich, wiewohl aufgefächert und vielfältig, als sehr wohl
imstande erweist, abweichenden Meinungen zu begegnen, und so dazu beiträgt, jene Art bürokratischer
Neutralität hervorzubringen, die wohl schwerlich mit axiologischer Neutralität zu verwechseln ist.
Dennoch bleibt, dafs der weitgehende Konsensus, dessen sich die Demographie ebensosehr im
wissenschaftlichen, wie im politischen Bereich erfreut, weitgehend mit dem besonderen Charakter der
von ihr verwendeten standesamtlichen Kategorien und der damit verbundenen Voraussetzungen
zusammenhängt, daß diese also von staatlicher Seite eingerichtet und abgesegnet sind, und im
Rahmen staatlicher Optik Verwendung finden. Diese Entsprechung zwischen « staatlichem » und «
demographischem Denken » konnte sehr wohl durch diejenige hervorgerufen und aufrechterhalten sein,
die die Forschung in den sozialen Merkmalen der wissenschaftlichen, administrativen, politischen und
sogar religiösen Akteure ans Tageslicht bringt, die an der Ausarbeitung und der Aufrechterhaltung
dieses Fäches beteiligt sind.
Abstract
The invention of demography and the birth of the State
This is not the place to remake the history of the categories of "demographic thinking". The sole aim of
this article is to look at one of the social sciences which has always seen itself as a tool for state
management and a means of knowing society and to bring out the mechanisms that serve to constitute
the categories of this thought, their underlying problematics and the issues in which they have a stake.
The analysis attempts to construct the social space in which the demographie discourse is produced
and diffused, a differentiated and dispersed to be sure, but one well suited to counteracting
opposition, and in so doing to contributing to the sort of bureaucratic neutrality that could never be
confused with axiological neutrality. It remains that the broad scientific and political consensus enjoyed
by demography can be explained in part by the nature of the categories it uses, the same as those used
by government registry offices, and the assumptions that go with them, categories instituted and
consecrated by the State, then, and used from the viewpoint of the State. This correspondence between
"demographie thinking" and "State thinking" might well be ensured by the revealed by
research between the social properties of the scientific, administrative and political, and even religious,
actors that take part in elaborating and maintaining this discipline.
Résumé
L'invention de la démographie et la formation de l'État
On ne saurait refaire ici l'histoire des catégories de la « pensée démographique». Il s'agit seulement, à
propos d'une des sciences sociales qui s'est toujours voulue à la fois un outil de gestion étatique et un
moyen de connaissance du monde social, de mettre au jour les mécanismes selon lesquels se
constituent les catégories, les problématiques qui les sous-ten-dent et les enjeux dont ils sont l'objet. De
sorte que l'analyse vise à construire l'espace social de la production et de la diffusion du discours
démographique, espace certes différencié et dispersé, mais bien propre à contrecarrer les oppositions,
et ainsi à contribuer à engendrer cette sorte de neutralité bureaucratique qu'on ne saurait confondre
avec la neutralité axiologique. Il reste que le large consensus à la fois scientifique et politique dont
bénéficie la démographie tient pour une part à la nature des catégories qu'elle emploie, celles de l'état
civil et les présupposés qui lui sont liés, donc instituées et consacrées par l'État et utilisées du point de
vue de l'État. Cette correspondance entre la « pensée démographique » et la « pensée d'État » pourrait
bien être assurée par celle que la recherche fait apparaître entre les propriétés sociales des acteurs
scientifiques, administratifs et politiques, voire religieux, qui participent à l'élaboration et au maintien de
cette discipline..
Rémi Lenoir
L'INVENTION DE LA DÉMOGRAPHIE
ET LA FORMATION DE L'ÉTAT
de n'ont du On XIXe le peut pas restreindre. siècle, poser beaucoup le comme nombre Il est d'enfants inutile règle des générale de enfants parce chercher qu'elles est que restreint, des si, ne dans raisons veulent c'est une subtiles; condition pas que la en le volonté avoir sociale fait beaucoup*. dominant de telle la majorité que est celle simple des parents : Français les familles est
et il n'est pas sûr qu'elle dure, au moins sous sa forme ombre d'historiens et de statisticiens ont établi les
«normale», comme en témoigne l'accroissement du relations entre la formation des États modernes,
nombre des « cohabitations hors mariage » , de la « mono où l'administration des choses et la gestion des
parentalité» ou des «familles recomposées», autant de populations deviennent peu à peu la part prépondérante
termes savants pour désigner des pratiques de plus en des fonctions politiques, et la naissance et le développe
plus répandues5, et qui sont l'objet, aujourd'hui, de tant ment de la statistique et de la démographie1. Il serait
d'études de sciences sociales 6 et la hantise de la plupart facile de montrer que les catégories de « la pensée démo
des spécialistes de la famille7. Car rien n'est peut-être graphique » , selon la formule d'Yves Charbit et d'André
moins « naturel » que la famille. Or rien n'apparaît égaleBéjin2, sont celles-là mêmes que l'État utilise pour clas
ment aussi «naturel» qu'elle, parce qu'elle est toujours ser les individus et les identifier. Plus, ces catégories, qu'il
constituée comme la « cellule de base » de la société 8. s'agisse du sexe, du lieu et de l'année de naissance, de
l'état matrimonial, de la profession, etc., ne sont pas seu
lement les catégories légales pour sérier les individus
*E. Levasseur, La Population française, Paris, 1891-1892, 3 vol., vol. II, selon les finalités pratiques qui participent des fonctions livre IV, chap, v, p. I6l-l62, cité in A. Girard, L'Homme et le Nombre
dévolues à l'État moderne, mais elles ont été aussi, dès des hommes, Paris, PUF, 1984, p. 173-
l'origine, un moyen de connaître et de prévoir le com 1 - Cf. notamment la contribution de Jacqueline Hecht, « L'idée de
dénombrement jusqu'à la Révolution », in Pour une histoire de la statisportement des gouvernés en ce domaine3. tique, Paris, INSEE, 1. 1, s.d., p. 21-81, et celle de Dominique Reynié,
« xviic Le regard siècles », souverain. in Ch. Lazzeri Statistique et D. Reynié, sociale La et Raison raison d'État : aux politique xvje et
rationalité, Paris, PUF, 1992, p. 41-77. La pensée démographique
2 - Y. Charbit et A. Béjin, « La pensée démographique », in J. Dupâquier
(sous la direction de), Histoire de la population française, Paris, PUF, Si ces catégories ont aujourd'hui une telle évidence, 1988, t. III, p. 465-501.
c'est qu'elles constituent désormais des principes pra 3 - Cf. J. S. Spengler, Économie et Population. De Budé à Condorcet,
Paris, PUF, 1954. tiques de perception du monde social : les catégories figu
4 - Cf. R. Lenoir, « Politique familiale et construction sociale de la rant dans les papiers d'identité, les formulaires et livrets
famille», Revue française de science politique, 41, décembre 1991, de toute sorte, les recensements et autres d