L ordre des choses  - article ; n°1 ; vol.90, pg 7-19
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Description

Actes de la recherche en sciences sociales - Année 1991 - Volume 90 - Numéro 1 - Pages 7-19
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1991
Nombre de lectures 75
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Pierre Bourdieu
L'ordre des choses
In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 90, décembre 1991. pp. 7-19.
Citer ce document / Cite this document :
Bourdieu Pierre. L'ordre des choses . In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 90, décembre 1991. pp. 7-19.
doi : 10.3406/arss.1991.2992
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arss_0335-5322_1991_num_90_1_2992:
.
:
PIERRE BOURDIEU
L'ORDRE DES CHOSES
avec des jeunes gens du nord de la Entretien France
Une cité comme tant d'autres, délabrée et mal famée, déjà ouvrier mécanicien, un autre frère, d'un an plus âgé
que lui, a échoué au BEP). Ils ne cessent de l'encourager dans la banlieue d'une petite ville du nord de la France ;
un bâtiment préfabriqué et durablement provisoire, à travailler, mais, sans qu'il sache dire pourquoi, il sent
fenêtres grillagées, portes fracturées tant bien que mal qu'"il y a un obstacle", qu'il ne travaille pas assez, sans
rafistolées -il a été dévalisé et saccagé à plusieurs doute parce qu'"il ne réalise pas que l'école c'est import
reprises, et encore tout récemment-, des "travailleurs ant". Sa mère "est désolée parce que, elle aussi, elle
sociaux" désenchantés et un peu ironiques, un "Club de voudrait bien" qu'il réussisse et elle ne voudrait pas le
"voir plus tard dans la galère" "Elle me dit quand même prévention spécialisé, Rencontres et loisirs", grande salle
grise, meubles et tables de formica, un évier dans un de travailler, elle me dit que c'est pour moi, et tout, mais
coin, un vieux frigidaire, un air de cantine d'école désaf je ne sais pas, peut-être parce que ça vient de la part de
fectée. Un jeune Beur, le matin, présenté comme un gens qui comprennent pas, qui comprennent pas vra
"bon cas" ; en première, bientôt vingt ans, il attend le iment ce que c'est que la vie, peut-être, de là, le courant
résultat de la "commission d'appel" qui doit décider, il passe pas. Malgré que c'est mes parents, quand même
quelques jours plus tard, s'il passera dans la classe supé c'est mes parents, je devrais peut-être, mais, je sais pas,
rieure "Mon avenir, là, il va se jouer, parce que, fra peut-être que si c'était d'autres gens qui me le diraient,
nchement, ou bien c'est un passage en terminale D ou vraiment, qui me le diraient de leur façon que je comp
rendrais bien, peut-être que ça changerait" bien je me fais virer complètement, et je dois chercher
un autre lycée. Un autre lycée dans le public, je sais pas
si je trouverai". (Il a déjà eu à chercher lui-même, plu Et puis, l'après-midi, la rencontre, entourée de
mille mystères ("celui-là, ce sera autre chose", "il sort de sieurs fois par le passé, un établissement). Partagé entre
prison", etc.), avec Ali, jeune Beur d'une vingtaine le sentiment du miracle (de tous ses copains du quartier,
d'années, qui vient accompagné de François, son copain, il n'y en a que deux qui sont allés jusqu'en terminale) et
habitant, comme lui, un des immeubles les plus mal de l'échec (il sait, au fond, que sa carrière scolaire est
terminée), il vit et dit très lucidement le décalage entre le famés d'une citée mal famée, évidemment appelée La
lycée et "le quartier" ("Avec les copains du quartier, la Roseraie. Ils parlent d'un ton bourru, en se jetant sans
cesse des regards interrogateurs, et avec un accent du conversation elle se porte plutôt sur vraiment des pro
Nord très prononcé, qui rend certains de leurs propos blèmes qu'on ressent à l'intérieur du quartier. Tandis que
ça, ça s'oublie quand on va au lycée" -on ne saurait presque inintelligibles. Pendant que j'essaie de leur expli
quer ce que je suis et ce que je fais, et d'écarter les soupmieux dire la coupure entre la vie vraie et l'irréalité de
çons ou les craintes qu'ils peuvent avoir ("mon travail, l'univers scolaire). Fils d'un émigré lui-même issu d'une
c'est d'écouter, et d'essayer de comprendre, et de racontfamille de petits paysans des environs de Guelma, en
Algérie, qui "gagne bien sa vie" comme opérateur-analy er après ; je ne suis ni juge ni flic", etc.), ils écoutent en
regardant ailleurs, comme pour cacher leur gêne (surtout seur dans une usine chimique, il a toujours été encoura
quand je leur demande la permission de les tutoyer, -ils gé dans ses études, mais aussi livré à lui-même. Son père
ne sont pas habitués à tant d'égards) et aussi, il me qui "sait un peu lire et écrire", et sa mère, illettrée, par
semble, leur crainte de ne pas être tout à fait à la hautlaient arabe à la maison ; ils ont "fondé tous leurs
espoirs" sur lui (son frère aîné, beaucoup plus âgé, est eur, de ne pas bien comprendre ; ils ne posent pas de :
:
:
:
(ils en poseront une ou deux, tout à la fin, visage, et aussi dans le nom propre, vient redoubler ou, question
quand la confiance se sera établie entre nous) et font mieux, radicaliser le handicap lié au défaut de diplômes
comprendre simplement qu'ils attendent mes questions. et de qualification, lui-même lié au de capital cul
turel et tout spécialement linguistique. L"'immigré" et Ali est fils d'un ouvrier originaire d'une petite ville l'"indigène" (en d'autres temps, et en d'autres lieux, dans marocaine, Oujda, qui est arrivé en France, avec sa famill l'"Algérie française" des années 50 par exemple, les désie, à la fin des années 60. Ali avait alors huit ans. Là est gnations auraient été inversées, avec le même résultat) le point de départ de ses difficultés scolaires et des
ont les mêmes problèmes, les mêmes difficultés, la même conduites de défi qu'il adoptera pour les surmonter : vision du monde, forgée dans les mêmes expériences, ignorant complètement le français à son entrée, tardive, à
dans les bagarres de l'enfance, dans les déboires et les l'école et ne parlant que l'arabe dans sa famille, avec un déceptions de l'école, dans la stigmatisation associée à la père illettré et une mère qui sait seulement un peu écri résidence dans un quartier "pourri" et à l'appartenance à re, il a beaucoup de peine à apprendre à lire (il avouera, une famille repérée (ils ont, l'un et l'autre, des "grands" en fin d'entretien, qu'encore aujourd'hui, "il lit robot"). sur qui retombent toujours les soupçons et les accusatTout laisse à penser que son rejet de l'école, et les att ions), dans le fait que, lorsqu'ils voient un beau blouson itudes frondeuses qui le conduisent et l'enferment pro ou un beau pantalon, ils ne peuvent demander l'argent à gressivement dans le rôle de "dur" ont pour principe le
personne et qu'ils doivent se débrouiller, dans les longs désir d'échapper à l'épreuve humiliante de la lecture à moments qu'ils ont passés ensemble à s'emmerder, parce haute voix, devant les autres élèves. En s'excluant de qu'ils n'ont pas de moyens de transport, pas de bus, pas l'exercice, et de l'apprentissage, il s'enfonce dans l'échec, de mobylette (sauf à "l'acheter magouille" ou à la voler) et dans le cercle du refus, qui redouble l'échec, manière ou d'automobile (et, de toute façon, pas de permis de paradoxale de faire de nécessité vertu, c'est-à-dire vice conduire) pour aller à la ville, pas de local où se retirer, scolaire, et bientôt délinquance sociale. pas de terrain de foot où jouer, et surtout dans la
François a été au collège jusqu'en 3e ; il a raté le confrontation constante, continue, à un univers fermé de
BEP (parce que, dit-il, il n'allait pas souvent à l'école -un toutes parts, sans avenir, sans possibles, tant en matière
collège éloigné d'une di2aine de kilomètres, où il faut se d'école qu'en matière de travail, —ils ne connaissent que
rendre en bus, "parce que le lycée qui est à côté, c'est des gens sans emploi ou en difficulté, et quand on
pour les bons, pour les meilleurs"). François et Ali sont évoque les parents dont ils pourraient attendre aide ou
insép

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