L utopie politique et religieuse : le pape et l empereur dans le Llibre d Evast e Blanquerna de Raymond Lulle - article ; n°1 ; vol.23, pg 383-395
14 pages
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L'utopie politique et religieuse : le pape et l'empereur dans le Llibre d'Evast e Blanquerna de Raymond Lulle - article ; n°1 ; vol.23, pg 383-395

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Description

Cahiers de linguistique hispanique médiévale - Année 2000 - Volume 23 - Numéro 1 - Pages 383-395
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 2000
Nombre de lectures 29
Langue Français

Extrait

Dominique de Courcelles
L'utopie politique et religieuse : le pape et l'empereur dans le
Llibre d'Evast e Blanquerna de Raymond Lulle
In: Cahiers de linguistique hispanique médiévale. N°23, 2000. pp. 383-395.
Citer ce document / Cite this document :
de Courcelles Dominique. L'utopie politique et religieuse : le pape et l'empereur dans le Llibre d'Evast e Blanquerna de
Raymond Lulle. In: Cahiers de linguistique hispanique médiévale. N°23, 2000. pp. 383-395.
doi : 10.3406/cehm.2000.928
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/cehm_0396-9045_2000_num_23_1_928L'UTOPIE POLITIQUE ET RELIGIEUSE :
LE PAPE ET L'EMPEREUR
DANS LE LLIBRE D'EVAST E BIANQUERNA
DE RAYMOND LULLE
C'est à Montpellier, vers 1283, que Raymond Lulle compose
le Llibre d'Evast e Blanquerna^. Il a quitté Majorque et Miramar, alors
qu'il a déjà écrit quelques œuvres majeures et affirmé ainsi sa
compétence en matière philosophique et théologique. Son séjour à
Montpellier fait partie d'un long voyage qu'il a entrepris afin de
prendre la parole devant le monde et poursuivre l'accomplissement
de son dessein qui consiste à amener au service du Christ les
Sarrasins, à écrire un livre qui soit le meilleur du monde, à
demander au Pape et aux princes chrétiens de faire édifier des
monastères où seraient enseignées les langues orientales afin de
montrer aux infidèles dans leur propre langage la vérité de la foi
chrétienne.
Il est probable que Lulle s'est rendu à Rome, à la cour
pontificale, avant d'écrire son livre, mais quand ? Entre la mort de
Jean XXI et l'élection de Nicolas III (16 mars-25 novembre 1277) ?
Entre la mort de Nicolas III et l'élection de Martin IV (22 août
1280-22 février 1281) ? Jean XXI et Nicolas III, comme le souligne
Salvador Galmés, étaient tous deux passionnément attachés au
projet de conversion des infidèles^. A ce premier voyage en Italie
il convient de rattacher une entrevue de Raymond Lulle avec
l'empereur Rodolphe de Habsburg, entrevue qui est admise par
presque tous les biographes anciens et par la majorité des chercheurs
1) « En una vila, qui es apellada Montpesllcr, en la quai fo fet aquest Lhbre d'Evast e
Blanquema... » ¿libre d'Evast e Blanqurma, édition de Maria Joscpa Gallofré, prologue de
Lola Badia, Barcelone, Ed. 62, «Les millors obres de la literatura catalana», 1982,
chap. XC. Toute mon analyse est fondée sur cette édition.
2) Salvador Galmés, Obres de Ramon Lui!, IX, p. 20. 384 DOMINIQUE DE COURCELLES
actuels, entre autres par Miquel Batllori, bien qu'il soit difficile de
la localiser exactement^.
I. L'utopie de Raymond Lulle
Le Llibre d'Evast e Blanquerna propose une revue des États du
monde « cinc estaments de gents » : le mariage « estament de
matrimoni », la vie monastique « estament de religió », la vie
épiscopale « estament de prelatura », la vie pontificale « estament
d'apostolical senyoria, que es en lo papa i cardenals», la vie
érémitique « estament de vida eremitana » —, comme l'auteur lui-
même l'annonce dans son prologue. C'est un récit allégorique
édifiant, un ouvrage d'éducation et, en même temps, un vrai roman
dont les personnages ne sont pas seulement des symboles et dont
l'intrigue est riche et complexe. Si les parents de Blanquerna, Evast
et Aloma, sont les héros du premier livre, si la fiancée de
Blanquerna, Natana, convertie par lui et devenue abbesse, a son
histoire dans la première moitié du deuxième livre, la seconde
moitié du deuxième livre et les trois livres suivants sont consacrés
aux différentes étapes de la vie de Blanquerna. Dès la fin du
premier livre, Blanquerna rompt avec le monde et quitte
définitivement la ville où il est né, ses parents et ses amis. Le voyage
qu'il entreprend est la mise en place d'une nouvelle forme de
connaissance qui n'est pas seulement religieuse — connaître et aimer
Dieu - mais également sociale - connaître les cinq États du monde
et les offices représentatifs de ces États - et politique - connaître les
modes de fonctionnement des pouvoirs et participer à l'exercice des
pouvoirs. La méditation solitaire de Blanquerna dans la forêt, au
sortir de la ville, est un recueillement qui permet de préparer un
monde nouveau et une action nouvelle dans ce monde.
C'est parce que Raymond Lulle veut transmettre cette
conviction qu'il a acquise parallèlement à la longue et intellectuelle
élaboration de son Art, qu'il commence au début du voyage qui
doit lui-même l'amener en divers points du monde méditerranéen
à raconter l'histoire de Blanquerna qui est l'histoire dans l'espace
d'un texte d'une expérience religieuse, sociale, politique de prise de
parole et d'exercice des pouvoirs.
3) Cf. Miquel Batllori, Ramón Llull i el lulltsme, pp. 225-226. Miquel Batllori juge très
invraisemblable l'identification de l'empereur du Blanquerna avec Michel VIII Paléologue
selon Hans Hermann Cramer von Bcssel : « Qui est l'Empereur du Blanquerna ? », BSAL,
26 (1935), pp. 169-179. PAPE ET L'EMPEREUR DANS LE ¿LIBRE D'EVAST E BUNQIJERNA 385 LE
Dans la forêt où il s'est enfoncé après avoir quitté sa ville,
Blanquerna rencontre de très nombreux personnages, allégoriques
ou représentatifs des États du monde : les Dix Commandements,
Foi, Vérité, Entendement, Dévotion, Valeur, le majordome du roi,
l'écuyer, le marchand, le plaideur, le chevalier superstitieux, le
berger, l'empereur, le seigneur nommé Narpan, le moine hypocrite,
etc. C'est après ces diverses rencontres que Blanquerna se fait
moine, devient abbé et réforme son monastère, devient évêque et
réforme son diocèse, devient pape et réforme l'Église et le monde.
Enfin il renonce au pontificat et retourne à la vie érémitique que
l'empereur, rencontré dans la forêt, qui a renoncé à son trône,
partage désormais avec lui. Le thème de la réforme de soi, de
l'Église et du monde, c'est-à-dire de la conversion, est central.
L'histoire de Blanquerna est un récit de voyage, dont la trame
formelle ne relie pas des événements, des acteurs narratifs, mais
successivement des lieux « una alta muntanya » (XLVII), « un
cami... un bell prat » (XLVIII), « un castell » (L), « per lo
boscatge » (LJI), « un monestir » (LJI), « l'hort » (LV), « aquella
ciutat » (LXX), « per la ciutat de Roma » (XC), etc. qui sont des
étapes marquées par des rencontres. Ce récit est un réseau ponctué
de noms et de descriptions locales que le voyage de Blanquerna fait
sortir de l'anonymat, une sélection de relations et d'éléments du
monde. C'est de la surface du texte que se lèvent les événements,
les incidents, les rencontres, comme si les choses elles-mêmes
étaient dotées d'une voix anonyme. Par exemple au chap. XLVIII,
la porte du palais de la Dame de Valeur porte une inscription : « Al
cap de porta eren escrites estes paraules : Aquest palau es de la
Dona de Valor, en lo quai no pot ni deu entrar nuil home qui sia
enemic ni perseguidor de valor. En aquest palau esta Valor, qui es
exiliada del món e de sos amadors... » La description de la figure
allégorique de Valeur se poursuit sur de nombreuses lignes. Lola
Badia, dans le prologue de l'édition du texte de 1982, a établi que
les personnages ne sont significatifs que dans la mesure où ils
renvoient à des espèces et des genres. C'est pourquoi Lulle ne leur
donne aucun caractère singulier. La temporalité est la linéarité des
cinq livres du roman et celle du récit proprement dit dont
Blanquerna est le héros. Le récit est circulaire, puisque le point de
départ du parcours de Blanquerna, la forêt, coïncide avec le point
d'arrivée, la forêt où il est définitivement ermite. Ainsi la structure
circulaire enveloppe la totalité du monde, mais le voyage indique
un progrès historique dans l'expérience religieuse et politique de 386 DOMINIQUE DE COURCELLES
Blanquerna. Le point de départ et le point d'arrivée sont le même
monde et un autre monde, même si Raymond Lulle ne dit pas la
mort de Blanquerna, mais seulement sa disparition dans la forêt,
utopie au sens strict du terme. Il e

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