La Civilisation, mère de Barbarie ? - article ; n°1 ; vol.17, pg 95-108
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Description

Annales. Économies, Sociétés, Civilisations - Année 1962 - Volume 17 - Numéro 1 - Pages 95-108
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1962
Nombre de lectures 14
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Owen Lattimore
La Civilisation, mère de Barbarie ?
In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 17e année, N. 1, 1962. pp. 95-108.
Citer ce document / Cite this document :
Lattimore Owen. La Civilisation, mère de Barbarie ?. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 17e année, N. 1, 1962. pp.
95-108.
doi : 10.3406/ahess.1962.420797
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1962_num_17_1_420797ET COMBATS DÉBATS
La Civilisation,
mère de Barbarie ?
Il société est courant, primitive chez s'est les historiens prolongée selon de l'Ancien deux lignes Monde, essentielles de dire de que déve la
loppement. L'une aboutit à la formation des « grandes », des « hautes »
civilisations de l'Antiquité : celles d'Egypte, du Bassin Méditerranéen,
de la Mésopotamie, de l'Inde, de la Chine. L'autre aboutirait, au con
traire, à l'apparition régulière et monotone des divers peuples barbares
aux limites septentrionales du monde civilisé : aussi bien dans les forêts
d'Europe que dans les steppes de la Russie Méridionale, les massifs mon
tagneux du nord de la Mésopotamie et du nord-ouest de l'Inde, les steppes
et les déserts du ]>iord de la Chine.
Du point de vue culturel, on considère d'ordinaire ces barbares comme
plus évolués que les peuples primitifs, mais comme « », néan
moins, si on les compare aux sociétés dites civilisées.
Ainsi deux lignes de développement, indépendantes, autonomes bien
qu'il leur arrive d'entrer parfois en contact : d'où, dans le passé, des
heurts et des oppositions entre Egyptiens et Hyksôs, entre Grecs et
Scythes, Romains et Huns, Chinois et Hsiungnu, et d'autres encore... Tout
ceci est bien connu. Mon but, dans cet article, est de présenter au lecteur un
point de vue très différent, d'expliquer aussi clairement que possible le
titre interrogatif, et en même temps ambigu, donné à ce rapide essai.
En d'autres termes : ces deux lignes de développement ont-elles été
indépendantes, ou, comme je le crois, dépendantes ?
De l'Egypte à la Chine, nous pouvons, en partant des sociétés pri
mitives, retracer l'apparition et l'évolution historique de toutes les
grandes civilisations et chaque fois en les représentant par une ligne
unique. Toutes ces civilisations ont régulièrement pris naissance dans une
grande vallée fluviale, voire dans une double vallée fluviale : le Щ1, le
Tigre et l'Euphrate, l'Oxus et l'Iaxartes (Amou Daria et Syr Daria),
l'Indus et le Gange, le Fleuve Jaune et le Yang-Tsé.
La civilisation que les Européens qualifient de « classique » — éta
blie sur la domination de mers fermées : la Méditerranée et, dans une
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moindre mesure, la Mer Noire — est une variété plus tardive mais qui
relève du même phénomène essentiel.
L'une après l'autre, ces civilisations devinrent, si l'on peut dire,
« civilisées » lorsque leurs ressources alimentaires furent assez abon
dantes pour subvenir aux besoins de grandes villes, dont les habitants
n'étaient plus producteurs. Les hommes qui participèrent à cette évolu
tion en tirèrent profit et leur possibilité d'expansion en fut augmentée :
ils occupèrent les terres à portée de main, les exploitant dès lors selon
les méthodes qui leur avaient jusque là réussi. A ce jeu, ils se heurtèrent
aux peuples voisins qui n'étaient pas encore engagés dans une évolution
analogue. Ils firent alors leur conquête et, ce faisant, les amenèrent assez
vite au stade « civilisé ».
Un beau jour, cependant, cette forme d'expansion atteignit les
limites de l'espace qu'il était avantageux d'exploiter ; alors elle s'arrêta
d'elle-même. A ce stade, les grands Etats civilisés s'efforcèrent de tracer
autour d'eux des frontières solides, puis de s'installer, de s'implanter
solidement à l'intérieur de telles limites. Dès lors, il n'y eut plus chez
eux aucun désir de civiliser les peuples se trouvant à l'extérieur de leurs
frontières, mais bien de les exclure, de les tenir à l'écart. Or, toute poli
tique d'exclusion crée deux catégories : les exclus et ceux qui les excluent ;
elle détermine, ab initio, une attitude de mépris et d'hostilité de la part
de ceux qui excluent, et les exclus y répondent en faisant pression sur la
civilisation voisine, lui prenant ce qu'ils désirent d'elle et qu'elle ne veut
pas leur consentir de plein gré.
Le lecteur reconnaît dans ces exclus nos éternels barbares. Dans ce
sens, la civilisation a été la « mère de la barbarie », bien qu'elle n'en soit
évidemment pas seule responsable...
Toutes les grandes civilisations, nous l'avons dit, ont dû le jour à
l'organisation d'une base rurale capable de soutenir une superstructure
urbaine, les méthodes d'organisation variant énormément d'une civil
isation à l'autre, et aboutissant à des différences considérables de ment
alité. Ainsi le Professeur Arthur F. Wright, de l'Université de Yale,
a justement et brillamment analysé les entre les réalités de
l'histoire chinoise et l'interprétation conventionnelle de cette histoire
par les Confucéens chinois (et japonais) et les Occidentaux (ceux-ci, tout
d'abord, acceptèrent confucéenne). Aucun des termes
classiques de la langue chinoise, choisis pour définir ce qu'est, ou non, la
civilisation, ne contient, comme il le remarque, la racine commune aux
vocables européens, dérivant du mot civis (citoyen), ou civitas (cité) *.
Les Chinois n'ont pas non plus de vocables qui correspondent, par leur
racine ou leur extension, à des mots tels que urbain, politique, métro
politain. Arthur F. Wright ajoute que les Chinois, quand ils cherchent
à définir ce que nous, Occidentaux, nous entendons par civilisation, ne
1. Arthur F. Wright, « The Study of Chinese Civilisation », Journal of the History
of Ideas, XXI, 2, New York, I960, p. 234-235.
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rattachent ce terme, en aucun cas, au mot de « cité ». En fait, ils n'ont
pas davantage ce concept d'un mouvement progressif, « unilinéaire »,
qui mènerait à la civilisation — concept qui a prévalu dans la pensée
occidentale depuis le xvnie siècle ».
La conception « uuilinéaire » de l'histoire affirme, vaille que vaille, que
tous les hommes furent, un jour donné, au niveau paléolithique, comme
l'étaient les Tasmaniens (dont les derniers descendants moururent en 1876)
lorsque les Européens les découvrirent au XVIIIe siècle x. Après quoi, au
lieu de chercher leur nourriture, les hommes entreprirent de la produire en
semant et en moissonnant, aboutissant ainsi à la formation de villages ;
des villages sortit la cité, et celle-ci engendra la civilisation urbaine.
Notons, avant d'aller plus loin, que depuis un siècle, une autre concep
tion du développement historique a été soutenue, qui tout en se sépa
rant d'elle, se rattache à la conception d'évolution unilinéaire. Exposée
pour la première fois par Marx et Engels, elle s'est enrichie depuis lors
de nombreux détails dûs à tous les historiens marxistes orthodoxes,
bien qu'il n'y ait pas unanimité entre ces derniers 2. Les accords et désac
cords entre les deux conceptions d'ensemble ont été illustrés par le livre
décisif de Lewis H. Morgan : Ancient Society (1877) 3 — un des ouvrages
qui se situent, sans conteste, à l'origine de l'anthropologie moderne
et que, pour sa part, Engels aura mis largement à contribution 4.
Sans aucune attache avec la pensée de Marx ou d'Engels, L. H. Mor
gan était arrivé à cette idée que les changements apportés au « mode de
production » permettaient de déterminer les étapes successives de l'his
toire et du destin des sociétés. Cependant il n'a défini nulle part ce con
cept aussi explicitement que Marx ou qu'Engels.
Durant la seconde moitié du xixe siècle, les positions intellectuelles,
fortement influencées par les travaux de Darwin sur l'évolution, peu
vent, grosso modo, se grouper en marxistes et non-marxistes (pas encore
en marxistes et anti-marxistes). Engels, par exemple, ne fit pas seul
ement des emprunts à L. H. Mo

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