La communauté des malades du sida comme fiction : les associations à l épreuve du singulier (Commentaire) - article ; n°3 ; vol.21, pg 71-83
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La communauté des malades du sida comme fiction : les associations à l'épreuve du singulier (Commentaire) - article ; n°3 ; vol.21, pg 71-83

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Sciences sociales et santé - Année 2003 - Volume 21 - Numéro 3 - Pages 71-83
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié le 01 janvier 2003
Nombre de lectures 16
Langue Français

Extrait

Christophe Broqua
La communauté des malades du sida comme fiction : les
associations à l'épreuve du singulier (Commentaire)
In: Sciences sociales et santé. Volume 21, n°3, 2003. pp. 71-83.
Citer ce document / Cite this document :
Broqua Christophe. La communauté des malades du sida comme fiction : les associations à l'épreuve du singulier
(Commentaire). In: Sciences sociales et santé. Volume 21, n°3, 2003. pp. 71-83.
doi : 10.3406/sosan.2003.1594
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/sosan_0294-0337_2003_num_21_3_1594Sciences Sociales et Santé, Vol. 21, n° 3, septembre 2003
La communauté des malades
du sida comme fiction :
les associations à V épreuve du singulier
Commentaire
Christophe B roqua*
Les réactions sociales suscitées par le sida rappellent à bien des
égards celles entourant d'autres maladies. Elle s'en distinguent toutefois
par certaines formes de mobilisation collective spécifiques, qui sont la
conséquence d'une particularité de l'épidémie : sa logique de diffusion au
sein de « groupes de transmission » (selon la terminologie épidémiolo-
gique) plus ou moins pourvus de consistance sociologique, et déjà mar
qués d'un stigmate pour au moins deux d'entre eux (homosexuels
masculins et usagers de drogues par voie intraveineuse). Dans tous les
pays occidentaux, c 'est à partir des mouvements homosexuels que se sont
construites les associations de lutte contre le sida. J.-M. Welle r redit la
tension dont est porteuse la fondation de AIDES entre deux conceptions
de l'épidémie, comme « crise de la santé publique » ou comme « crise de
la sexualité », et la façon dont elle se réactualise à l'occasion de la créa
tion du centre Arc-en-ciel. À travers cet exemple localisé, il montre le
poids durable des principes fondateurs de l'action de AIDES puis d' Arc-
en-ciel, en même temps que les inflexions produites par la survenue de
"■' Christophe Braqua, docteur en anthropologie, chercheur associé au Centre
d'Ethnologie Française, Musée National des Arts et Traditions Populaires, Paris,
Franc e. CHRISTOPHE BROQUA 72
transformations contextuelles majeures — ici les avancées thérapeutiques
de 1996 — sur la traduction de ces principes en actes. C'est, au fond,
l'épreuve de la temporalité que traverse toute définition voulue stable des
engagements collectifs que J.-M. Welle r décrit et analyse. Bien d'autres
exemples, dans le seul domaine de la lutte contre le sida, auraient permis
d'illustrer le même processus de déstabilisation des énoncés fondateurs
aux prises avec l'évolution des contextes. Je retiendrai un aspect trans
versal pour le dire à mon tour : celui des fictions communautaires
construites autour du sida par les associations (1).
Représenter le malade
Le fait est connu : c'est un courrier adressé par le sociologue Daniel
Defert à quelques amis qui restera comme le geste fondateur de l'asso
ciation AIDES (2). Il vient de vivre la mort de son compagnon, Michel
Foucault, dans des circonstances qui révèlent à ses yeux un grave déficit
de communication au sein de V institution hospitalière. Quelques semaines
plus tard, il rencontre la première organisation britannique de lutte
contre le sida, qui lui inspire un projet : « J'ai passé du temps activement
à Londres auprès du Terrence Higgins Trust (...). Je pars de leurs réalisa
tions. Avant de les rencontrer, je savais déjà que la question du sida ne
pouvait pas être plus longtemps confinée comme question médicale. Crise
du comportement sexuel pour la communauté gaie, le sida prend de plein
fouet majoritairement une population dont la culture s'est récemment édi
fiée autour des valeurs gymniques, de santé, jeunesse perpétuées. Nous
avons à affronter et institutionnaliser notre rapport à la maladie, l'invali
dité et la mort ». L'intention initiale est donc de créer un mouvement fondé
sur la « communauté gaie ». Mais elle n'aboutit pas, essentiellement en
raison du désintérêt manifeste des personnes sollicitées, et plus encore de
l'hostilité des deux principales qui lui proposent leur aide, le
journaliste F. Edelmann et le médecin J.-F. Mettetal, à l'égard d'une telle
perspective. Le trio fondateur réoriente ainsi le projet autour du person
nage du malade, dont il va même s 'employer à dés-homosexualiser
l'image publique, alors que les malades sont alors très majoritairement
homosexuels, comme le sont aussi les premiers volontaires de AIDES.
1 I ) Sur les usages de la notion de « communauté » dans le cadre de l'épidémie de .sida,
voir par exemple Vidal (1999).
(2) Sur l'histoire de la lutte contre le sida en France, voir Bai bot (2002) et Pinell et
al., (2002). LES ASSOCIATIONS À L'ÉPREUVE DU SINGULIER 73
Si la question de l'identification homosexuelle du groupe — et de
l'épidémie contre laquelle il lutte — semble réglée, celle du positionne
ment souhaitable vis-à-vis des personnes atteintes reste problématique, au
point de se traduire par une crise et par le départ de deux des cofonda-
teurs en 1987. Edelmann et Mettetal souhaitent que soit clairement éta
blie une frontière entre volontaires et usagers de l'association. Les tests
de dépistage apparus en 1985 permettent en effet de connaître son statut
sérologique et produisent l'émergence, aux côtés du malade, de la figure
du séropositif. Une partie des volontaires sont eux-mêmes atteints et, en
même temps qu 'ils exercent une fonction de service, trouvent en AIDES un
espace informel d'auto-support, même si le silence des volontaires sur
leur statut sérologique restera longtemps très p régnant. Defert, dont la
position reste dominante, ne souhaite pas unifier ces usages différenciés
de l'engagement par les volontaires. Par ailleurs, les démissionnaires
déplorent l'image homosexuelle persistante de l'association, comme le
déclarera plus tard Edelmann : « L'un des éléments constitutifs de la scis
sion a porté sur le fait qu' AIDES apparaisse comme une association d'ho
mosexuels ». lui revendication ou l'identité homosexuelle restent pourtant
exclues ; c'est le malade qui est constitué comme figure de référence.
Mais, peu à peu, l'hégémonie de AIDES et la représentation du malade
qu'elle impose se trouvent contestées.
À l'occasion de la Ve Conférence internationale sur le sida qui se
déroule à Montréal en juin 1989 et correspond indéniablement à un
moment dans l'histoire de la lutte contre le sida, Defert prononce une
communication qui fait forte impression et sera publiée dans différents
journaux et revues par la suite. Il y décrit le râle de « réformateur social »
du malade du sida, qui aurait contribué notamment à la transformation
des relations médecin/malade. Il explique : « Les mouvements commun
autaires au sein desquels les personnes atteintes par le VIH se sont orga
nisées ont eu à introduire la vie relationnelle dans la structure de soins, à
collecter des fonds pour assurer la nourriture et l'hébergement de ceux qui
ne trouvaient plus d'asile (...) Les personnes atteintes sont devenues les
éducateurs des personnels médicaux, paramédicaux, sociaux, éducatifs
(...) Leur fonction s'affirme chaque jour plus politique » (Defert, 1989).
Le portrait ainsi établi homogénéise la figure du malade du sida, d'autant
qu'il semble implicitement évoquer celui qui est engagé dans un mouve
ment communautaire, si bien que l'on ne sait jamais vraiment s'il parle
des malades ou des associatifs, ni d'ailleurs qui s'exprime, du sociologue
ou du président de AIDES. C'est au final une prétention à l'universalité
qui couronne cette représentation, de telle sorte que le malade du sida
apparaît non seulement comme une figure homogène, mais aussi comme
une figure « porteuse d'universel » : « Par ces transformations, les per- CHRISTOPHE BROQUA 74
sonnes atteintes de sida ne sont-elles pas en train d'inscrire leurs efforts
dans un vouloir où nous sommes tous capables de nous reconnaître ; ne
sont-elles pas en train de nous recomposer une figure du patient acceptée
et soutenue par tous, porteuse d'universel ? » (Defert, 1989).
Au cours de la même conférence, les activistes américa

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