La Pratique des stéréotypes - article ; n°121 ; vol.32, pg 67-77
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Description

L'Homme - Année 1992 - Volume 32 - Numéro 121 - Pages 67-77
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1992
Nombre de lectures 43
Langue Français

Extrait

Michael Herzfeld
La Pratique des stéréotypes
In: L'Homme, 1992, tome 32 n°121. Anthropologie du proche. pp. 67-77.
Citer ce document / Cite this document :
Herzfeld Michael. La Pratique des stéréotypes. In: L'Homme, 1992, tome 32 n°121. Anthropologie du proche. pp. 67-77.
doi : 10.3406/hom.1992.369471
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1992_num_32_121_369471Michael Herzfeld
La Pratique des stereotypes
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On reproche souvent aux anthropologues de forger des caricatures de la
réalité culturelle et sociale. Certes, on peut dire de certaines formules qu'elles
généralisent bien au-delà de ce qui est acceptable. Par ailleurs Fabian (1983)
a souligné le caractère idéologique des « national culture studies » de l'après-
guerre. Évidemment les anthropologues récusent cette vision de leur discipline.
De fait, leur souci de rejeter toute forme de préjugés leur rend particulièrement
difficile de déceler ceux qui sous-tendent leur propre démarche. Des travaux
récents (par ex. Marcus & Clifford 1986) ont tenté de s'attaquer au problème
de façon analytique, et l'étude des stéréotypes raciaux a au moins amené les
chercheurs à les confronter à la dynamique culturelle du préjugé dans leur propre
pays (Wallman 1978).
Je me propose d'inverser cette problématique et suggérerai qu'au fond
l'anthropologie consiste à analyser les préjugés — ceux des autres aussi bien
que les « nôtres ». Dans une large mesure, c'est là l'objet des recherches sur
le caractère ethnique et le nationalisme, et également sur les conflits de classes,
l'identité sexuelle ou professionnelle. Tout stéréotype est par définition réducteur.
Il souligne toujours Y absence d'une propriété supposée désirable. Il constitue
une arme de pouvoir. Il fait quelque chose, il prive activement 1' « autre » d'un
certain attribut sans que celui qui en use se reconnaisse coupable : l'attribut
en question est à ses yeux purement symbolique, c'est « simplement » une façon
de parler et « un mot n'a jamais tué personne ». Les paysans et les ouvriers
L'Homme 121, janvier-mars 1992, XXXII (1), pp. 67-77. 68 MICHAEL HERZFELD
grecs dont je vais parler ont une vue plus pragmatique : « Une [mauvaise] langue
n'est pas faite d'os, [et pourtant] elle les brise » (Hirschon 1989). Selon Handel-
man (1990), c'est en arguant de leur « simplicité » que l'État s'arroge bien sou
vent le droit d'ignorer les activités « simplement symboliques » de ses citoyens
les plus démunis ou de passer « modestement » sous silence les implications
de ses propres pratiques symboliques : « c'est juste une fête ». Au contraire,
appréhender de façon critique la dimension expressive des relations politiques
est une manière non de les esthétiser (Vidal 1988), mais de refuser cette sépara
tion du symbolique et du matériel.
Une bataille de discours est donc engagée, qui devient plus aiguë au fur
et à mesure que le cercle d'intégration primaire s'élargit : du village à la ville,
à la nation, au monde international tel que nous le connaissons aujourd'hui.
A présent, les systèmes catégoriels des communautés locales intègrent (ou y
sont contraints) les représentations typiques des « autres » qui émanent de plus
en plus souvent d'une autorité supérieure et qui se trouvent alors légitimées
en tant qu'armes de cette autorité localement reproduite. Quand on en arrive
au point où ces « autres » s'excusent de leur comportement en des termes
comme : « nous sommes des Méditerranéens au sang chaud, qu'y pouvons-
nous ? », l'hégémonie du stéréotype semble trop bien achevée. La résistance
par l'ironie ne rend pas le pouvoir aux faibles. Elle les aide peut-être à leur
tour à « englober » leurs oppresseurs (Ardener 1975), mais, comme de nomb
reuses féministes (Ferguson 1984 ; Fletcher 1980 ; Showalter 1986) et théori
ciens des résistances (Scott 1985) l'ont fait remarquer, elle offre plus une sati
sfaction morale qu'un changement des conditions matérielles auxquelles les puis
sants ont attaché une valeur. Handelman (1990) a d'ailleurs montré comment
la possibilité même de fabriquer des règles contraires et de « s'amuser » peut
avoir pour résultat et pour prix une marginalisation immédiate. Car ce sont
les décideurs qui déterminent la « règle du jeu » (Appadurai 1981).
L'usage de stéréotypes n'a pas immédiatement de « grandes conséquences »
pour ceux qui en sont les victimes, sinon en ce sens ironique. On peut certes
utiliser des termes d'opprobre comme marques honorifiques ; l'histoire d'expres
sions telles que « Black » ou « Turk » suggère que celles-ci, dans de bonnes
conditions, peuvent avoir un certain effet. Elles rendent possible une subver
sion qu'elles accomplissent parfois. C'est pourquoi les régimes totalitaires sont
toujours si attachés à contrôler l'expression de la culture, non pas tant pour
restreindre 1' « information », bien que cette raison soit elle-même importante,
que pour prévenir une menace susceptible de miner leur pouvoir. Les stéréo
types représentent donc bien une façon cruelle de « faire des choses avec des
mots » (Austin 1962) et, en ce sens, ils ont une existence matérielle. En outre,
les mots ne sont pas seuls en cause : un individu blanc de la classe moyenne
qui s'applique à éviter le contact physique avec un individu noir (ou pauvre,
ou handicapé) réagit peut-être à une manifestation exagérée de l'autre comme
« autre », mais peut-être aussi à l'emprise d'un stéréotype. La pratique des stéréotypes 69
Pratique et poétique
Que serait une poétique sociale1 critique, politiquement engagée, qui éta
blirait un lien entre les textes verbeux de la propagande et les signaux, subtil
ement non verbaux d'un monde goffmanien ? Dans l'analyse des conditions
modernes, il est difficile d'ignorer la « conscience pratique » (Giddens 1984)
car les acteurs sociaux sont plus conscients des différences culturelles et sociales
dont l'éventail était naguère appréhendé de façon beaucoup moins reflexive.
Aujourd'hui, l'idée même de patriotisme, par exemple, est l'objet d'un débat
public. En des temps plus anciens, la question était plutôt de savoir qui était
le traître et ce qui avait été trahi.
J'examinerai quelques exemples de création de stéréotypes dans le monde
méditerranéen, en me référant plus particulièrement à mon travail en Grèce,
pays qui a été lui-même infesté — il n'y a pas de meilleure expression —
par tous les stéréotypes de l'Europe et de l'Orient. Si l'un des inspirateurs
de cet essai est, mutatis mutandis, Said, auteur de V Orientalisme (1978), il
ne faut pas négliger sa propre gêne quant à l'image d'une anthropologie impér
ialiste : elle a pu l'empêcher, lui comme ceux qui le suivent, d'appréhender
un discours du préjugé, bien plus insidieux, que j'ai ailleurs appelé « orienta
lisme pratique » (Herzfeld 1991) et qui est la meilleure preuve qu'on puisse
trouver de la façon dont l'hégémonie peut se reproduire. Cette poétique pourr
ait aussi fournir aux faibles le rempart protecteur d'un discours pratique dans
lequel la déformation et l'exagération d'une « convention reçue » devient le
terrain d'essai pour

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