La preuve par la lettre : pratiques juridiques au tribunal révolutionnaire de Paris (1793-1794) - article ; n°3 ; vol.51, pg 629-642

Carla Hesse

Description

Annales. Histoire, Sciences Sociales - Année 1996 - Volume 51 - Numéro 3 - Pages 629-642
Seized Letters as Legal Evidence in the Paris Revolutionary Tribunale ,1793-1794. HESSE. This article examines the workings of one central mechanism for the adjudication of political differences in modern European political culture : the Paris Revolutionary Tribunal of 1793-1794. The Revolution marked transformation of the key political institution by which the nation drew the line between citizen and traitor, replacing the confessional practices of the old regime courts with trial procedure aimed at producing objective material proof of subjective political allegiances. The seized letter, through its unintended revelation of private sentiment, became the most powerful means to arrive at proof of the authentic political intentions of suspects. These letters still serve as the crucial historical evidence of revolutionary legitimacy to this day. The history of the political practices, rather the political discourses of the French Revolution suggest that the French Revolutionaries may have taken more from Rousseau's Nouvelle Héloïse than from his Social Contract in inventing the politics of republican transparency.
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Sociologie, société et politique

Informations

• Publié par: ANNALES_D-HISTOIRE_ECONOMIQUE_ET_SOCIALE
• Publié le: 01 janvier 1996
• Nombre de lectures: 38
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Madame Carla Hesse
La preuve par la lettre : pratiques juridiques au tribunal
révolutionnaire de Paris (1793-1794)
In: Annales. Histoire, Sciences Sociales. 51e année, N. 3, 1996. pp. 629-642.
Abstract
Seized Letters as Legal Evidence in the Paris Revolutionary Tribunal, 1793-1794. C. Hesse.
This article examines the workings of one central mechanism for the adjudication of political differences in modern European
political culture: the Paris Revolutionary Tribunal of 1793-1794. The Revolution marked a transformation of the key political
institution by which the nation drew the line between citizen and traitor, replacing the confessional practices of the old regime
courts with a trial procedure aimed at producing objective material proof of subjective political allegiances. The "seized letter, "
through its unintended revelation of private sentiment, became the most powerful means to arrive at proof of the authentic
political intentions of suspects. These letters still serve as the crucial historical evidence of revolutionary legitimacy to this day.
The history of the political practices, rather the political discourses, of the French Revolution, suggest that the French
Revolutionaries may have taken more from Rousseau's Nouvelle Héloïse than from his Social Contract in inventing the politics of
republican transparency.
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Hesse Carla. La preuve par la lettre : pratiques juridiques au tribunal révolutionnaire de Paris (1793-1794). In: Annales. Histoire,
Sciences Sociales. 51e année, N. 3, 1996. pp. 629-642.
doi : 10.3406/ahess.1996.410874
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1996_num_51_3_410874LA PREUVE PAR LA LETTRE
pratiques juridiques au tribunal révolutionnaire de Paris
1793-1794
Carla HESSE
écriture est un témoin qui est difficile
ment Corrompu MONTESQUIEU1
En finir avec la guerre idéologique
La guerre idéologique est terminée. Voilà un peu plus de quinze ans
avec Penser la Révolution fran aise Fran ois Furet assenait ensemble de
historiographie antérieure de la Révolution un coup dont elle ne devait pas
se relever histoire politique de la Révolution fran aise disait-il se
confond avec événement elle efforce de relater En finir avec cette his
toriographie commemorative était la tâche assignée une histoire
conceptuelle une histoire dont les catégories ne fussent pas le reflet des
catégories et positions politiques de la Révolution elle-même Il fallait pour
ce faire jeter les bases un nouveau mode appréhension de la Révolution
époque ressusciter la Michelet elle devait devenir un problème ana
lyser Un problème défini sur les pas de Tocqueville comme celui de la tra
dition démocratique en France2
La Révolution fran aise est terminée le mot ordre de Furet est
désormais dans toutes les mémoires Mais cet étendard élevé contre une his
toriographie mimétique de son objet constitue en fait incarnation même de
ce il dénonce de cette difficulté briser le carcan du langage politique
pour libérer espace de la distance critique est que dans cette formule
Pour Bernard Lepetit
Charles Louis de SECONDAT baron de MONTESQUIEU esprit des Lois sixième partie
livre XXVIII chap 44 De la preuve par témoins dans uvres complètes Paris Gallimard
La Pléiade 862
Fran ois FURET Penser la Révolution fran aise Paris Gallimard 1978 Voir en particulier
pp.13-46
629
Annales HSS mai-juin 1996 pp 629-642 LES PRATIQUES DE LA JUSTICE
une oreille un tant soit peu exercée entend résonner écho un autre appel
non pas triomphant mais tragique cet appel désespéré la clôture de la
Révolution que lan en 1790 le parti des Feuillants3
Ainsi donc cette uvre laquelle se consacrent depuis dix ans avec un
plein succès Fran ois Furet et son principal collaborateur américain Keith
Baker ce renouvellement de historiographie révolutionnaire fondé sur
une histoire critique de idéologie demeure prisonnier de ces mêmes
controverses politiques dont il signe triomphalement acte de décès4 Bref
belle ruse de histoire la manière hégélienne cette réécriture de histoire
politique de la Révolution qui se veut une histoire de idéologie critique et
consciente elle-même est autre que le point orgue une historiogra
phie révolutionnaire prise dans les glaces de idéologie De là la nécessité
pour sortir de aporie de recourir un autre type de démarche
cette fin il est indispensable opérer un déplacement du projet histo
rique il faut cesser de décrire les moyens par lesquels le pouvoir moderne
rend compte de lui-même il faut sortir de histoire des idéologies et des
représentations et situer la question sur un autre terrain celui des procé
dures qui constituent action de tat En autres termes étude des que tat donne de lui-même qui relève au sens que donne
Keith Baker ce terme de histoire des discours il faut substituer analyse
des opérations par lesquelles tat produit de la différence politique De
cette méthode centrée sur une histoire des pratiques politiques la présente
étude vise donner un exemple
Le procès politique de aveu la preuve
Du procès de Charles II Angleterre en 1649 ceux plus récents des
dirigeants de ex-DDR le procès politique constitue incontestablement au
sein de histoire européenne moderne la pièce maîtresse des dispositifs
visant opérer la détermination et assignation de la différence politique Et
la France révolutionnaire offre le cas le plus saisissant de sa dissémination
généralisée dans ensemble du corps politique Pour les révolutionnaires
fran ais confrontés une crise politique une ampleur sans précédent
un monarque aux intentions impénétrables un conflit international une
guerre civile enfin le tribunal révolutionnaire en vient représenter le
schibboleth de identité politique la pierre de touche qui départage le bon
citoyen du traître est le 10 mars 1793 la suite du procès du roi devant la
Convention décembre 92-janvier 93) est institué Paris un tribunal
révolutionnaire exceptionnel dont la compétence étend tous les crimes
politiques Du avril 1793 la chute de Robespierre le thermidor an II
27 juillet 1794) il aura jugé 4021 cas de trahison politique Sur ces quinze
Voir les interventions des députés la fin de assemblée constituante dans Denis RICHET
Assemblées révolutionnaires Dictionnaire critique de la Révolution fran aise Paris Flam-
marion 1988 pp 456-457
Voir en particulier Keith Michael BAKER Inventing the French Revolution Cambridge
Cambridge University Press 1990
630 HESSE LA PREUVE PAR LA LETTRE
mois 64 des accusés soit 585 personnes sont condamnés mort5 Au
total les autorités arrêtèrent environ 500 000 citoyens pour activités contre-
révolutionnaires et durant la crise de 1792-1795 sur ensemble des tribu
naux politiques exception du territoire ce sont environ 17 000 personnes
qui sont déclarées coupables de crime contre la République6
Chiffres impressionnants certes mais il convient de compléter par une
étude des procédures instauration de la différence entre révolutionnaires
et contre-révolutionnaires Quel que soit le tribunal considéré le chef acte
de trahison politique soulève des difficultés particulières par définition il
est de procès que une trahison manquee et donc partiellement au moins
virtuelle De là accent porté sur les intentions de individu autant que sur
ses actes ce sont elles qui un acte en soi innocent ou simplement
négligent vont faire surgir le crime Ce sont elles qui de fait seront incrimi
nées dans la grande majorité des cas Louis XVI et Danton inclus Le tribu
nal se voit dès lors assigner la fonction établir des preuves de état esprit
politique et des intentions de accusé
Mais en 1792 le nouvel arsenal juridique dont hérite accusateur public
est guère adéquat Sous influence des théoriciens du droit naturel du
18e siècle les rédacteurs du nouveau code pénal de 1790 avaient aboli offi
ciellement la torture et aveu procédures inquisitoires permettant de déter
miner les motivations des individus Autre héritage encombrant du droit
naturel la mise en cause vigoureuse de la validité de aveu comme preuve
charge et corrélativement la prééminence accordée la preuve matérielle
documents ou objets une autre nature la citation de Montesquieu mise en
exergue cette étude témoigne de cette tendance qui va en accentuant
avec le temps7 Le nouveau code pénal vise en fait sur les traces de utilita-
Ces chiffres ont pour origine les statistiques fourni