La vision des vaincus : la conquête espagnole dans le folklore indigène - article ; n°3 ; vol.22, pg 554-585
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Description

Annales. Économies, Sociétés, Civilisations - Année 1967 - Volume 22 - Numéro 3 - Pages 554-585
32 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1967
Nombre de lectures 91
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Monsieur Nathan Wachtel
La vision des vaincus : la conquête espagnole dans le folklore
indigène
In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 22e année, N. 3, 1967. pp. 554-585.
Citer ce document / Cite this document :
Wachtel Nathan. La vision des vaincus : la conquête espagnole dans le folklore indigène. In: Annales. Économies, Sociétés,
Civilisations. 22e année, N. 3, 1967. pp. 554-585.
doi : 10.3406/ahess.1967.421550
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1967_num_22_3_421550HISTOIRE ET TEMPS PRÉSENT
La vision des vaincus :
LA CONQUÊTE ESPAGNOLE
DANS LE FOLKLORE INDIGÈNE
Comment les Indiens ont-ils vécu la Conquête espagnole ? Quels
furent leurs sentiments, leurs réactions, lors de l'arrivée des hommes
blancs ? Comment ont-ils interprété les événements ? Et comment se
les représentent-ils aujourd'hui ?
Dès que l'historien se tourne vers le passé, il choisit les faits, les
interprète selon l'idéologie de son temps, et les ordonne selon une
perspective inévitablement partielle. L'historiographie occidentale
étudie généralement la Conquête du seul point de vue des Européens.
Elle décrit, par exemple, leur stupéfaction devant la révélation d'un
monde inconnu. Mais il existe une autre face des événements. Pour
les Indiens, non moins stupéfaits, le choc avec l'ancien monde signifie
la ruine de leurs civilisations. Comment ont-ils vécu la mort de leurs
dieux ? Certes, jamais nous ne pourrons revivre de l'intérieur les sen
timents et la pensée des contemporains de Moctezuma. Mais, dans la
mesure où les sources nous le permettent, nous pouvons au moins dépla
cer notre point d'observation, renverser les perspectives habituelles, et
placer au centre de notre intérêt la vision tragique des vaincus : dans
le miroir indigène se reflète l'autre visage, le « revers » de l'Occident.
Car ces sources existent. Les Aztèques et les Mayas, dotés déjà
d'un système d'écriture, assimilèrent en quelques années l'alphabet
latin, et l'utilisèrent pour la rédaction de véritables chroniques, en
langue nahuatl, quiche ou cakchiquel. Il en fut de même au Pérou,
bien que les chroniques indigènes, rédigées dans un espagnol plus ou
moins mêlé de quechua, soient moins nombreuses et plus tardives.
Certains de ces textes ont été récemment publiés par Miguel León-
Portilla, dans deux ouvrages, « Vision de los Vencidos » et « El Reverso
de la Conquista » г : le seul regroupement de ces documents jette un
1. Miguel León-Portilla, Vision de los Vencidos, Mexico, 1959. Du même,
El Reverso de la Conquista, Mexico, 1964.
554 LA VISION DES VAINCUS
jour absolument neuf sur la Conquête. Leur exploitation systématique
s'impose aujourd'hui aux historiens 1.
Bien plus : de nos jours encore, quatre siècles après l'arrivée des
Espagnols, la Conquête revit dans le folklore indigène. Chaque année,
dans certaines régions andines, les paysans se rassemblent sur la place
du village, et jouent la « Tragédie de la mort d'Atahuallpa ». Au Gua
temala la manifestation folklorique la plus populaire n'est autre que
la « Danse de la Conquête ». Au Mexique, enfin, des pièces telles que
« La Grande » ou la « Danse des Plumes » font revivre les
héros et les événements du xvie siècle. Quelle valeur historique
doit-on attribuer à ce folklore ? La datation des pièces, dans chaque
cas particulier, s'avère difficile, car il s'agit de traditions d'abord
orales, transcrites généralement au xixe siècle. De plus, le folklore
rassemble un matériel éclectique, imprégné d'influences espagnoles.
Il est probable cependant que la « Danse de la Conquête » (au sens
large) remonte au lendemain même des événements : le thème est
attesté, dès le xvie siècle, dans le théâtre indigène 2. Mais pourquoi
les Indiens éprouvent-ils le besoin, quatre siècles après, de revivre leur
défaite ?
Le folklore permet en même temps de saisir comment la mémoire
collective conserve et transmet le souvenir du passé. Si l'on compare
en effet les danses actuelles et les chroniques indigènes, on constate à
la fois des convergences et des divergences. Il n'est pas étonnant
que des faits historiques si lointains apparaissent aujourd'hui défor
més : mais ces déformations sont-elles arbitraires, relèvent-elles de la
pure fantaisie ? Ou au contraire obéissent-elles à une certaine logique ?
Et quelle est cette logique ? Pourquoi telle réinterprétation, et non
une autre ? Par exemple, quel rêve de compensation, quelle illusion
de revanche l'Indien mime-t-il, quand il joue le rôle de Moctezuma
pardonnant à Cortès, ou celui de Pizarre châtié par le roi d'Espagne ?
Retenons que le folklore témoigne d'un certain mode de survivance
du passé dans le présent, et qu'il constitue une source pour l'histoire
des psychologies collectives.
Nous nous proposons de tenter ici une expérience : procéder par
1. Ces documents sont connus depuis longtemps des anthropologues, qui les étu
dient pour la connaissance des sociétés précolombiennes. Mais les historiens de la
période coloniale, arrêtés par l'obstacle des langues et limités au point de vue espa
gnol, les ont peu consultés : les traductions et publications de Miguel León-Portilla,
A. Ma. Garibay, etc., sont d'autant plus opportunes.
2. Cf. Bartolomé de Las Casas : « Tenian todas las gentes destas provincias que
vamos contando muchas maneras de bailes y cantares ; costumbre muy general en to
das las Indias... Lo que en sus cantares pronunciaban era racontar los hechos y rique-
zas y senorios y paz y gobierno de sus pasados, la vida que tenian antes que viniesen
los cristianos, la venida dellos y cómo en sus tierras violentamente entraron... » (Apo-
logética Historia, Biblioteca de Autores Espafioles, t. CVI, éd. par Juan Perez de
Tudela Bueso, Madrid, 1958, p. 370.)
555 ANNALES
analyse régressive du présent au passé, et, à travers le folklore actuel,
remonter jusqu'à la signification de la Conquête pour les Indiens. Nous
devons cependant distinguer deux aspects différents du problème :
1) Le folklore actuel reflète-t-il, au moins partiellement, les réac
tions indigènes du xvie siècle ?
2) La déformation de l'histoire, dans le folklore, relève- t-elle de
règles logiques ? En d'autres termes, la « Danse de la Conquête » des
Andes, du Guatemala, et du Mexique, c'est-à-dire d'aires géographiques
très éloignées, présente-t-elle une certaine unité de structure ?
Ces deux questions conduisent à utiliser une méthode en appa
rence bâtarde : la critique historique doit vérifier l'authenticité des
traditions folkloriques ; l'analyse structurale doit découvrir la cohé
rence interne du matériel étudié *. Or nous risquons, en glissant d'un
type de démonstration à un autre, d'aboutir à des conclusions abu
sives. L'entreprise est donc plus qu'hasardeuse, mais nous ne prêtent
dons qu'élaborer des hypothèses de travail, et esquisser des perspec
tives en vue de recherches ultérieures.
La mort d'Atahuallpa, le dernier Inca, exécuté en 1533 sur l'ordre
de Pizarre, constitue un thème poétique et chorégraphique largement
répandu parmi les Indiens du Pérou et de Bolivie. La géographie de
ces manifestations folkloriques est encore mal connue, mais diverses
variantes ont été recueillies, et l'on a pu identifier un cycle très ancien,
datant sans doute du' xvie siècle 2. Un texte très complet, rédigé à
Chayanta en 1871, a été publié par Jésus Lara en 1957 : celui-ci con
clut que nous sommes en présence d'une pièce authentiquement indi-
1. Claude Lévi-Strauss a ouvert la voie à l'analyse structurale des mythes
(Anthropologie structurale, Le Cru et le Cuit, etc.). On peut se demander dans quelle
mesure l'analyse structurale est applicable au folklore. Celui-ci pose des problèmes
particuliers, et diffère de la mythologie par sa nature et sa fonction dans la société. Il
ne s'agit donc pas d'assimiler folklore et mythologie. Mais on peut considérer, dans
une première approximation, qu&

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