Le manuel scolaire et la bibliothèque du peuple - article ; n°80 ; vol.23, pg 79-93
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Description

Romantisme - Année 1993 - Volume 23 - Numéro 80 - Pages 79-93
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1993
Nombre de lectures 23
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

M. Jean-Yves Mollier
Le manuel scolaire et la bibliothèque du peuple
In: Romantisme, 1993, n°80. pp. 79-93.
Citer ce document / Cite this document :
Mollier Jean-Yves. Le manuel scolaire et la bibliothèque du peuple. In: Romantisme, 1993, n°80. pp. 79-93.
doi : 10.3406/roman.1993.6211
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1993_num_23_80_6211MOLUER Jean-Yves
Le manuel scolaire et la bibliothèque du peuple
"Celui qui est maître du livre est maître de l'éducation" s'écrie Jules Ferry le 5
mai 1879 devant la Commission d'examen des livres classiques du ministère de
l'Instruction publique l. Dix ans plus tard, un arrêté signé le 29 janvier 1890 rend
l'usage des manuels scolaires obligatoire dans les classes de l'école primaire et en
fixe le nombre. Désormais nul élève n'échappera en principe à la scolarisation et à
l'acculturation par le livre. A regarder les courbes dessinées par Alain Choppin,
l'édition scolaire a allègrement participé à cet effort sans précédent puisqu'au palier
de 200 titres annuels atteint en 1865-1867 succède un second de 500 publications
en 1872-1875 puis un acmé de 933 titres en 1883 2. Du côté des tirages, on ne
dispose que de sondages mais ils sont éloquents et confirment cette crue brutale de
l'imprimé destiné à gaver les enfants du peuple de connaissances élémentaires. Le
seul libraire Armand Colin aura vendu 50 millions de volumes entre 1872 et
1889, à une époque où les bataillons scolaires enrégimentent environ 4,3 millions
d'enfants 3. Si l'on rapproche cet effectif des 5,8 millions d'exemplaires diffusés
par ce capitaine d'industrie audacieux en 1882-1883, on a l'impression que la
France entière a été assaillie par ses productions et que bien rares ont été ceux qui
ont pu échapper à leur lecture.
Au-delà des statistiques, ce qui nous importe ici c'est d'esquisser les contours
de ce qu'il faudra bien un jour analyser en termes de révolution culturelle. Une
autre indication nous y aide. A en croire les enquêtes dirigées par Frédéric Le Play,
entre 1857 et 1908 4, 2/3 des familles ouvrières de la fin du siècle possédaient des
livres, physiquement présents dans leur intérieur. Le fonds scolaire représentait
40 % de l'ensemble, soit le double des livres de piété. Képiloguons pas trop : la
maigreur de l'échantillon - 55 budgets familiaux - n'autorise aucune conclusion
définitive. Conservons à titre provisoire ces éléments comme un sondage non
scientifique qui illustrerait la percée de l'imprimé scolaire dans les couches les
plus défavorisées de la population. Il resterait à le comparer avec un autre portant
sur les ruraux, les paysans surtout, pour établir des certitudes mais, sur ce terrain,
la statistique est muette. Faute de mieux, on répétera les chiffres précédents : 700
manuels en moyenne ont été édités en France dans les années 1875-1895 et les
millions de volumes qui ont enrichi Armand Colin, Fernand Nathan, Louis
Hachette et leurs émules ont été diffusés dans les cantons les plus reculés du pays.
L'obligation de posséder ces outils était devenue une réalité dès 1880, dix ans
avant la promulgation de l'arrêté précité et Jules Ferry avait saisi l'enjeu de la
bataille du livre qui allait faire rage entre 1870 et 1900.
ROMANTISME n°80 (1993 - П) 80 Jean-Yves Mollier
Parler de mutation des pratiques et des habitudes ne suffit pas et nous propo
sons d'étudier en termes de rupture, de révolution, les années qui précèdent la Belle
Epoque. C'est apparemment au cœur de la grande dépression économique qui
secoue le monde, entre 1873 et 1895, qu'elle se produit, comme si son but secret
était de se rire des approximations quantitatives, des causalités déterministes et des
schémas de la pensée économiste. Au moment où la nourriture matérielle vient à
manquer, où le travail se raréfie dans les cités industrielles, où l'exode rural chasse
vers les villes le surplus de population agricole, la manne spirituelle tombe du
ciel et l'Etat se soucie de socialiser des masses d'hommes jusque là peu
familiarisés avec la propriété privée du livre. Les petits-fils du père S orel doivent
accepter l'idée, saugrenue soixante ans plus tôt, que l'enfant d'un charpentier
consacre quelques heures chaque jour à dévorer un livre de lecture, d'histoire, de
géographie, de calcul, de grammaire ou d'instruction civique. Plus question pour
Julien de grimper dans un arbre au risque d'entendre le poursuivre l'injure
suprême : "chien de lisard !"5. Dorénavant, le fouet ou la gifle, la taloche
serviront à favoriser le contact avec l'imprimé plutôt qu'à l'éloigner comme
diabolique ou scandaleux.
Si l'on admet qu'une étape du procès de civilisation a été franchie à cette
époque, il faudra relire ces petits volumes en usage dans l'avant-guerre pour
essayer de comprendre quel était le bagage culturel minimal d'un futur poilu de
1914. Comme l'avait fait Martyn Lyons à propos du romantisme, "crête fugitive
d'une vague sur un océan de classicisme et de catholicisme" 6, il conviendra sans
doute de reconnaître que le vrai, l'authentique livre populaire du XIXe siècle fut le
livre classique, mais cette fois l'adjectif sera entendu au sens premier, c'est-à-dire
le volume spécialement conçu pour une utilisation scolaire7. Avec Roger
Chartier, on n'aura garde d'oublier que, passé le stade du comptage, de l'enquête
sérielle, il reste à affronter la question délicate de la constitution du sens, "de la
rencontre entre le texte et le lecteur" 8, ce qui implique d'aborder celle, plus
redoutable, des dispositifs de lecture. Sur ce plan, les études font défaut malgré les
précieuses collections de témoignages d'instituteurs rassemblés par Jacques et
Mona Ozouf 9. Peut-on traiter la France comme une entité indifférenciée ou doit-
on tenir compte de la diversité des terroirs soulignée par Eugen Weber 10? Les
jeunes Auvergnats retenaient-ils la même leçon de géographie inspirée par Pierre
Foncin que ceux de la Normandie ou du Jura ? Les exercices de grammaire de
Larive et Fleury, distribués en promotion à chaque maître d'école et
commercialisés à un million d'exemplaires en 1882-1883 par Armand Colin,
produisaient-ils une réflexion identique en terre occitane et aux frontières de
l'Allemagne? La plongée dans le courant de l'idéologie charriée par ces textes
risque d'être une baignade dangereuse, si l'on en croit Roger Chartier, puisque cette
investigation élimine le lecteur en le supposant uniformément réceptif aux idées,
mais on ne saurait ignorer cet aspect puisqu'aussi bien il déclenche les deux
guerres des manuels scolaires que connut la période.
Du chiffrage des séries scolaires à l'appréhension de la culture classique, de
l'enquête quantitative à l'étude qualitative, les difficultés sont innombrables. manuel scolaire et la bibliothèque du peuple 81 Le
Pourtant nous proposons de baliser la voie pour des travaux plus approfondis,
régionaux si possible. En mettant en évidence le caractère massif, national, de la
révolution culturelle qui fait pénétrer le livre dans toutes les couches de la société
après 1870, on peut dégager une coupure chronologique. Les méthodes de Guizot
et celles de Duruy pour alphabétiser les Français, les faire lire, écrire et compter,
ont été bénéfiques en leur temps. Les incitations du premier ont hissé la librairie
Hachette au premier rang des éditeurs scolaires, ce que traduisait le titre de libraire
de l'Université n. Elles apparaîtront comme dérisoires lorsque l'on comparera les
résultats des ventes des années 1831-1835 avec ceux de la décennie 1875-1885.
Tout change avec l'installation de la Ille République car il s'agit désormais d'un
phénomène de masse auquel n'échappe nul citoyen. Les municipalités se
substituent aux individus et les plus démunis sur le plan financier ne sont pas
tenus à l'écart de l'acculturation par le manuel élémentaire. De ce fait, le roman-
feuilleton, le livre pratique, le volume bon m

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