Le savoir de l'ingénieur - article ; n°1 ; vol.141, pg 86-97

Massimo Mazzotti

Description

Actes de la recherche en sciences sociales - Année 2002 - Volume 141 - Numéro 1 - Pages 86-97
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Sociologie, société et politique

Informations

• Publié par: Actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales
• Publié le: 01 janvier 2002
• Nombre de lectures: 20
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Monsieur Massimo Mazzotti
Le savoir de l'ingénieur
In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 141-142, mars 2002. pp. 86-97.
Citer ce document / Cite this document :
Mazzotti Massimo. Le savoir de l'ingénieur . In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 141-142, mars 2002. pp. 86-
97.
doi : 10.3406/arss.2002.2825
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arss_0335-5322_2002_num_141_1_2825;
;
;
;
:
Massimo Mazzotti
Le savoir de l'ingénieur
À MATHÉMATIQUES NAPLES SOUS LES ET BOURBONS POLITIQUE
1 s'agit dans cet article d'étudier la relation entre la elle s'est révélée être un domaine dans lequel les re
formation de l'État moderne, la création d'élites pro ssources méthodologiques de l'historiographie et de la
fessionnelles et l'institutionnalisation de nouvelles théorie sociologique peuvent être combinées avec
formes de raisonnement mathématique. Celles-ci sont profit1. Des recherches récentes ont mis en valeur la
comprises ici comme des aspects différents d'un pro relation entre les modifications des programmes d'en
cessus essentiellement unitaire de changement social et seignement, la redéfinition des disciplines acadé
cognitif. En d'autres termes, la sociologie historique miques, la création de nouvelles professions et l'émer
doit rejeter une perspective déterministe sur la relation gence de la structure administrative et bureaucratique
qui unit le savoir scientifique et les phénomènes de l'État moderne2. Le lien entre la professionnalisa
sociaux, selon laquelle le développement de la science tion et la modernisation de l'État est tout à fait manif
et de la technologie a été la cause, par exemple, de la este dans le cas de «l'ingénieur moderne»3. Deux
révolution professionnelle ou de la professionnalisation questions principales ont émergé des travaux sur ces
du corps des ingénieurs. Au contraire, l'émergence et ingénieurs. En premier lieu, l'institutionnalisation et
la stabilisation de nouvelles formes de raisonnement la légitimation de la profession moderne d'ingénieur
mathématique sont comprises ici comme faisant partie doivent être articulées à la réforme de l'administrat
d'un processus plus large de légitimation de nouvelles ion. Une deuxième question, moins directe,
formes d'interactions sociales. concerne la nature du « nouveau savoir » des ingé
nieurs, la nouvelle «rationalité analytique» qui infor
Une sociologie historique mait leur action, et aussi sa signification historique
du savoir des ingénieurs comme facteur causal de changement social. C'est
précisément de cette articulation problématique entre
le niveau cognitif-technologique et le niveau socio- L'étude de l'émergence des professions modernes
dans les États italiens fait l'objet d'un intérêt accru, et historique dont il est question ici. Comment le savoir
1 - Pour un aperçu des recherches récentes, voir M. L. Betri, A. Pas- demiurgo. I lavori pubblici nel Mezzogiorno, 1815-1860, Bari, Edipuglia,
tore (sous la dir. de), Avvocati, medici, ingegneri: Aile origini délie pro- 1996 G. Bigatti, La Provincia délie acque. Ambiente, istituzioni e tecnici
fessioni moderne (secoli VI-XIX), Bologne, Clueb, 1997, et A. M. Banti, in Lombardia tra Sette e Ottocento, Milan, F. Angeli, 1995 G. Foscari,
« Borghesie délie "professioni". Avvocati e medici nell'Europa dell'Ot- Dall'arte alla projessione. L'ingegnere méridionale tra Sette e Ottocento,
tocento», Meridiana, 1993, (18), p. 13-14. Voir également M. Mala- Naples, ESI, 1995; A. Di Biasio, Ingegneri e territorio nel regno di
testa (sous la dir. de), Society and Professions in Italy, 1860-1914, Camb Napoli. Carlo Ajan De Rivera e il corpo dei ponti e stradě, Latina,
ridge, Cambridge University Press, 1995 M. Malatesta (sous la dir. Amministrazione provinciale, 1993; G. Bigatti, «II corpo di acque e
stradě tra età napoleonica e Restaurazione (1806-1848). Recluta- de), «I professionisti », Storia d'Italia, annali 10, Turin, Einaudi,
1996. Pour les aspects méthodologiques, voir M. Santoro, «Profes mento, selezione carrière degli ingegneri», Societa e storia, 1992,
sioni, stato, modernita. Storia e teoria sociale», Annali di storia (15), p. 267-297 R. Santoro, « L'amministrazione dei lavori pubblici
moderna e contemporanea, 1997, (3), p. 383-421. nello stato pontificio dalla prima Restaurazione a Pio IX», Rassegna
2-Е. Brambilla, «Universita, scuole e professioni in Italia dal primo degli archivi di stato, 1989, (49), p. 45-94; A. Castellano, «II corpo di
'700 alla Restaurazione. Dalla "costituzione per ordini" aile borghesie acque e stradě del regno italico la formazione di una burocrazia sta-
ottocentesche », Annali dell'Istituto storico italo-germanico in Trento, tale moderna», La Lombardia délie rif orme, Milan, Electa, 1987,
1997, (23), p. 153-208. p. 45-64 ; A. Giuntini, « La formazione didattica e il ruolo nell'ammi-
3 - L. Blanco (sous la dir. de), Amministrazione, jormazione e projes- nistrazione granducale dell'ingegnere nella Toscana di Leopoldo II»,
sione: gli ingegneri in Italia tra Sette e Ottocento, Bologne, II Mulino, Z. Ciuffoletti, L. Rombai (sous la dir. de), La Toscana dei Lorena:
2000. Il y a d'autres études récentes sur les traditions d'ingénieurs riforme, territorio, società, Florence, Olschki, 1989, p. 391-417;
dans les États italiens avant l'unité nationale: С D'Elia, «La scrittura G. Zucconi, «Ingegneri d'Acque e Stradě», G. L. Fontána, A. Lazza-
degli ingegneri. Il corpo di ponti e stradě e la formazione di un ceto rini (sous la dir. de), Veneto e Lombardia tra rívoluzione giacobina ed
burocratico a Napoli», M. L. Betri, A. Pastore (sous la dir. de), Avvoc età napoleonica: economia, territorio, istituzioni, Milan, Cariplo, 1992,
ati, medici, ingegneri, op. cit., p. 293-306; С D'Elia, Stato padre, stato p. 400-419.
86 :
;
:
:
;
,
;
;
Le savoir de l'ingénieur
technoscientifique des ingénieurs s'inscrit-il dans le À vrai dire, le déterminisme technoscientifique est
récit de leur professionnalisation et dans celui de la une position théorique ancienne et respectable6. Mais
modernisation de l'État? On admet généralement que depuis vingt ans un nombre croissant de textes et
le savoir des ingénieurs modernes, en France comme d'études empiriques en ont contesté les hypothèses de
dans les États italiens,, a été le produit d'une expan base, et d'abord l'idée que le contenu cognitif de la
sion quantitative et progressive des formes antérieures science et de la technologie soit juste le produit de
de connaissances mathématiques et techniques. Dans l'interaction entre la raison individuelle et le monde
cette perspective, la nouveauté de la formation de l'expérience7. La croyance selon laquelle la technol
moderne des ingénieurs est décrite comme passant ogie n'est que l'application d'un savoir scientifique
par la présence de mathématiques « de plus en plus préexistant à la solution de problèmes empiriques
avancées». Le «développement d'une culture technos pertinents a été également discutée8. L'historiographie
cientifique » et l'augmentation qui s'en est suivie du récente de la profession d'ingénieur a rencontré dans
bagage mathématique des ingénieurs seraient la cause les études antidéterministes des ressources concept
du passage de leur pratique «d'art» à «profession»4. uelles et méthodologiques dont elle a tiré profit. En
Ainsi, l'historien Luigi Blanco a parlé d'un « nœud particulier, on a avancé l'idée que les pratiques des
problématique», un vrai dilemme qui caractérise le ingénieurs sont le produit négocié d'interactions
débat historiographique actuel: la professionnalisat culturelles, politiques et économiques spécifiques,
ion du corps des ingénieurs est-elle primordialement bien que la nature de ces interactions reste souvent
un effet « intrinsèque » de « l'innovation scientifique et indécise9.
technologique » ou a-t-elle plutôt été déterminée par La thèse principale défendue dans cet article est que le
dilemme entre les deux formes alternatives d'explical'intervention de l'État? Les explications historiques
actuelles, remarque Blanco, se répartissent invariabl tion de la professionnalisation et de la modernisation
ement entre ces deux camps5. Ce dilemme provient est profondément trompeur. Au contraire, la pratique