Le système de protection sociale russe : héritages et transformations - article ; n°4 ; vol.26, pg 25-54

Cécile Lefèvre

Description

Revue d’études comparatives Est-Ouest - Année 1995 - Volume 26 - Numéro 4 - Pages 25-54
Cet article tente d'analyser, par un éclairage historique, quelles sont les continuités et les discontinuités caractéristiques de l'évolution du système de protection sociale russe, en s 'interrogeant sur la manière dont les formes institutionnelles passées influencent les réalisations et projets en matière de protection et de politique sociales en cette période de transition. La première partie est consacrée à l'examen de la notion d'héritage institutionnel dans l'étude de la protection sociale russe. Après une analyse des institutions stricto sensu (organismes, fonds et ministères sociaux) de la protection sociale et de leur évolution, on conclut à la nécessité d'un élargissement du champ de cette notion. Le système de protection sociale russe comporte au moins trois pôles : les organismes sus-cités, les entreprises et les collectivités locales. Par héritage institutionnel, nous entendrons l'héritage des interactions entre ces trois pôles et leurs transformations. Dans une seconde partie, il s'agira alors de mettre en évidence et d'analyser le rôle social des entreprises, caractéristique structurelle bien qu'évolutive du système de protection sociale russe. Un mouvement de transfert de ce rôle social des entreprises vers les collectivités locales s'amorce cependant. C'est pourquoi, en dernière partie, une analyse en longue période évoquera le mouvement actuel de dévolution des compétences sociales des entreprises, mais surtout du Centre, vers les pouvoirs locaux, en pro- posant des analogies heuristiques avec la décentralisation des politiques sociales à l'époque des zemstva, à la fin du XIXe siècle.
The Russian social security system : legacies from the past, and current changes.
The purpose of this article is to examine, in the light of history, the constant and variable elements in the development of the Russian social security system, by looking at the way in which past institutional forms influence the implementation of objectives related to welfare and social security, during this transitional period. In this study of the Russian social security system, the first part is concerned with the idea of the system's institutional heritage. After an analysis of these (strictly defined) welfare institutions and their development (bodies, funds, ministries), the conclusion is reached that there is a need to broaden the scope of this concept. The Russian social security system operates from at least three focal points : the afore-mentioned bodies, enterprises and local communities. By institutional heritage is meant inherited interaction among these three centres and their modified forms. Thus, in a second part, the aim will be to emphasize and to analyse the social function of the enterprise, a structural albeit evolutionary caracteristic of the Russian social security system. However, there are signs of the beginning of a shift away from the social role of the enterprise towards local communities. For this reason, in the final part of the analysis, a long-term appraisal will take account of the present trend towards devolution of social responsibilities of enterprises, and above all of the Centre, on the local authorities, by suggesting heuristic analogies with the decentralization of social programmes at the time of zemstva, at the close of the XlXth century.
30 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Sociologie, société et politique

Informations

• Publié par: REVUE_D-ETUDES_COMPARATIVES_EST-OUEST
• Publié le: 01 janvier 1995
• Nombre de lectures: 89
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 2 Mo

Extrait

Madame Cécile Lefèvre
Le système de protection sociale russe : héritages et
transformations
In: Revue d’études comparatives Est-Ouest. Volume 26, 1995, N°4. pp. 25-54.
Citer ce document / Cite this document :
Lefèvre Cécile. Le système de protection sociale russe : héritages et transformations. In: Revue d’études comparatives Est-
Ouest. Volume 26, 1995, N°4. pp. 25-54.
doi : 10.3406/receo.1995.2758
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/receo_0338-0599_1995_num_26_4_2758Résumé
Cet article tente d'analyser, par un éclairage historique, quelles sont les continuités et les discontinuités
caractéristiques de l'évolution du système de protection sociale russe, en s 'interrogeant sur la manière
dont les formes institutionnelles passées influencent les réalisations et projets en matière de protection
et de politique sociales en cette période de transition. La première partie est consacrée à l'examen de la
notion d'héritage institutionnel dans l'étude de la protection sociale russe. Après une analyse des
institutions stricto sensu (organismes, fonds et ministères sociaux) de la protection sociale et de leur
évolution, on conclut à la nécessité d'un élargissement du champ de cette notion. Le système de
protection sociale russe comporte au moins trois pôles : les organismes sus-cités, les entreprises et les
collectivités locales. Par héritage institutionnel, nous entendrons l'héritage des interactions entre ces
trois pôles et leurs transformations. Dans une seconde partie, il s'agira alors de mettre en évidence et
d'analyser le rôle social des entreprises, caractéristique structurelle bien qu'évolutive du système de
protection sociale russe. Un mouvement de transfert de ce rôle social des entreprises vers les
collectivités locales s'amorce cependant. C'est pourquoi, en dernière partie, une analyse en longue
période évoquera le mouvement actuel de dévolution des compétences sociales des entreprises, mais
surtout du Centre, vers les pouvoirs locaux, en pro- posant des analogies heuristiques avec la
décentralisation des politiques sociales à l'époque des "zemstva", à la fin du XIXe siècle.
Abstract
The Russian social security system : legacies from the past, and current changes.
The purpose of this article is to examine, in the light of history, the constant and variable elements in the
development of the Russian social security system, by looking at the way in which past institutional
forms influence the implementation of objectives related to welfare and social security, during this
transitional period. In this study of the Russian social security system, the first part is concerned with the
idea of the system's institutional heritage. After an analysis of these (strictly defined) welfare institutions
and their development (bodies, funds, ministries), the conclusion is reached that there is a need to
broaden the scope of this concept. The Russian social security system operates from at least three
focal points : the afore-mentioned bodies, enterprises and local communities. By institutional heritage is
meant inherited interaction among these three centres and their modified forms. Thus, in a second part,
the aim will be to emphasize and to analyse the social function of the enterprise, a structural albeit
evolutionary caracteristic of the Russian social security system. However, there are signs of the
beginning of a shift away from the social role of the enterprise towards local communities. For this
reason, in the final part of the analysis, a long-term appraisal will take account of the present trend
towards devolution of social responsibilities of enterprises, and above all of the Centre, on the local
authorities, by suggesting heuristic analogies with the decentralization of social programmes at the time
of "zemstva", at the close of the XlXth century.Revue d'études comparatives Est-Ouest, 1995, 4 (décembre)
pp. 25-54 - Cécile LEFÈVRE
Le système de protection sociale russe
héritages et transformations
Cécile LEFEVRE*
Acquis majeur et devant être préservé pour les uns, système démesuré et de
plus inefficient pour les autres, la protection sociale en Russie suscite des att
itudes et des jugements variés et parfois contradictoires. Au-delà de cette
simple opposition de discours, il faut analyser quelles sont les continuités et les
discontinuités qui caractérisent l'évolution du système de protection sociale
russe en cette période de transition, ici appréhendée par la façon dont les
formes institutionnelles passées se reflètent dans les réalisations et projets
contemporains en matière de protection et de politique sociales. Cette approche
nécessite d'abord une réflexion sur la notion d'héritage institutionnel en ce qui
concerne la protection sociale. Dans un second temps, les spécificités du sys
tème de sociale russe, à savoir le rôle particulier joué par les entre
prises et les pouvoirs locaux, pourront être analysées à la lumière de cette
réflexion : dans quelle mesure cet héritage est-il un obstacle au changement,
une contrainte ou au contraire une base de transformation ? De quelle manière
est- il à la fois rejeté et revendiqué ?
LA NOTION D'HERITAGE INSTITUTIONNEL DANS L'ANALYSE DE
LA PROTECTION SOCIALE RUSSE
La protection sociale en Russie est sans doute l'un des domaines où l'héri
tage est le plus pregnant, même s'il suscite des attitudes complexes. Ainsi,
Xavier Gaullier faisait remarquer que « quelle que soit la volonté de rupture
d'une société avec son passé, celui-ci reste présent, mais il peut l'être de façon
différente. Dans le domaine économique et politique, (...) le passé est présent
sur le mode de l'opposition. Il en est autrement dans le domaine social car les
politiques sociales communistes ressemblaient formellement à certaines de
l'Europe occidentale et ont apporté des avantages à la population : l'attitude
* Institut National de la Statistique et des Études Économiques, et École des Hautes
Études en Sciences Sociales.
25 Cécile Lefèvre
vis-à-vis du passé est différente, les orientations des réformes sont autres » '. Et
il caractérise trois attitudes face à cet héritage en matière de protection sociale :
- une attitude de profond attachement à une sécurité de base, que la période
de transition, d'incertitudes et de perte de repères rend d'autant plus appré
ciable ;
- une attitude qui consiste à repenser cet héritage : X. Gaullier parle de levée
des tabous, concernant la pauvreté, le chômage, la détérioration du système de
santé... ;
- une attitude passionnelle vis-à-vis du passé : que le tout-marché remplace
le tout-État. On peut penser à l'engouement de certains Russes en 1992-1993
pour les « fonds de pensions privés », censés résoudre magiquement tous les
problèmes du système de retraites, ou aux tendances à laisser se privatiser la
médecine.
La complexité de ces attitudes envers le passé est à mettre en relation avec
les ambiguïtés de la notion d'héritage. Ainsi, à partir de quel degré de transfo
rmation doit-on considérer qu'il ne s'agit plus de la transmission, de la conser
vation d'un héritage, mais de sa remise en cause profonde ? Lorsque l'on parle
d'héritage aujourd'hui, doit-on l'étudier de manière privilégiée sous l'angle
des attitudes qu'il suscite, comme semble le suggérer X. Gaullier ? Par ailleurs,
doit-on appeler héritage seulement ce qui aurait été choisi, revendiqué,
défendu, ou bien toutes les irréversibilités et les contraintes qui pèsent de
manière passive et inertielle ? Et est-il facile de faire ainsi la part des choses ?
L.J. Cook2 explique à ce sujet comment la tentative de Gorbatchev d'instituer
un nouveau « contrat social » (en trois domaines : la sécurité de l'emploi, la
réforme des salaires et la réforme des prix) a échoué, et donc comment le
contrat social brejnevien a constitué une contrainte sérieuse sur les politiques
de Gorbatchev, à la fois parce que ce contrat brejnevien a été défendu de
manière active et parce qu'il s'est heurté à des fonctionnements bureaucrat
iques peu modifiables rapidement. Enfin, quel niveau de lecture doit-on chois
ir ? En apparence, de nombreux traits du système de protection sociale ont été