Lénine et le problème paysan en 1917 - article ; n°2 ; vol.19, pg 250-280
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Description

Annales. Économies, Sociétés, Civilisations - Année 1964 - Volume 19 - Numéro 2 - Pages 250-280
31 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1964
Nombre de lectures 23
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Pierre Sorlin
Lénine et le problème paysan en 1917
In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 19e année, N. 2, 1964. pp. 250-280.
Citer ce document / Cite this document :
Sorlin Pierre. Lénine et le problème paysan en 1917. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 19e année, N. 2, 1964.
pp. 250-280.
doi : 10.3406/ahess.1964.421142
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1964_num_19_2_421142Lénine et le problème paysan
en 1917
Au lendemain de la prise du pouvoir par les Bolcheviks, le Conseil
des Commissaires du Peuple promulgait un décret relatif à la terre.
Ce texte allait régler le sort des propriétés rurales jusqu'à la mise en
route de la collectivisation, c'est-à-dire pour plus de dix années. Il est
donc important d'en étudier l'origine et d'en expliquer la portée. Un
simple examen montre qu'il s'agit d'une mesure assez limitée : les grands
domaines sont confisqués ; comme, dans la plupart des provinces russes,
les paysans ont saisi spontanément les propriétés seigneuriales, le document
se borne à consacrer un état de fait ; par son esprit, il est plus proche
du programme social-révolutionnaire que du programme bolchevik ;
dans sa lettre même, il se réfère à une résolution votée par les S. R.
au mois d'août. Comment rendre compte d'une telle modération ?
Suivant la théorie la plus généralement admise, les Bolcheviks auraient
agi ainsi par pur opportunisme. 14'ayant pu éliminer le gouvernement
provisoire qu'avec l'appui des S. R. de gauche, ils auraient senti la nécess
ité de faire des concessions à leurs alliés du moment. Le décret sur le
contrôle ouvrier aurait satisfait les Bolcheviks, nombreux dans les
villes, tandis que le décret sur la terre aurait été bien accueilli par les
S. R. qui avaient plus de poids dans les campagnes. Une telle explication,
encore acceptée à l'heure actuelle, se heurte à trois objections. En premier
lieu, l'influence des S. R. était sans doute fort limitée dans les zones
rurales ; ils étaient écoutés dans la mesure où ils exprimaient certaines
revendications paysannes, mais personne ne croyait qu'il suffisait de
plaire aux S. R. pour rallier les ruraux1. D'autre part, la coalition entre
Bolcheviks et S. R. fut éphémère ; elle ne résista pas à l'extension de la
guerre civile, et les Bolcheviks finirent par éliminer leurs rivaux en leur
retirant tout moyen d'expression : si la mesure relative aux terres n'avait
1. Radkey, The agrarian foes of Bolshevism, XV-521 p., Col. Univ. Press, New-
York, 1958, pp. 244-245.
250 ET LE PROBLÊME PAYSAN LÉNINE
revêtu qu'un intérêt purement tactique, il aurait été facile, à ce moment,
de la rapporter ; or aucun texte ne vint abolir celui du 26 octobre 1.
Le décret fut maintenu parce qu'il donnait satisfaction. Comme
il se conciliait mal avec la doctrine marxiste, il devait moins plaire aux
autorités qu'aux usagers, c'est-à-dire aux paysans. La deuxième objection
amène naturellement la troisième : l'explication ordinaire du document
du 26 octobre ne tient absolument pas compte des désirs ni des manif
estations des paysans. On serait en droit de faire une remarque identique
à propos de nombreux points de l'histoire soviétique : les doctrines,
leur évolution, sont étudiées sans tenir compte du milieu historique ni
de la société du moment 2. Le plus récent des ouvrages consacrés aux
questions rurales en 1917, celui de Zavinovskij 3, présente toujours les
mêmes lacunes. Le livre est pourtant clair, vivant, dégagé de toutes
préoccupations partisanes. Mais il ne sort jamais du domaine des idées ;
il suit les transformations de la pensée de Lénine, les variations de la
doctrine bolchevik, comme s'il s'agissait d'une simple prise de conscience :
les paysans ayant tels désirs informulés, les Bolcheviks en auraient, peu
à peu, précisé les termes ; l'évolution se serait faite à sens unique, du
sommet vers la base 4 ; dans l'ensemble du volume, on trouve seulement
quatre pages consacrées aux ruraux 5. Or, dans un pays essentiellement
rural, comme l'était la Russie de 1917, il paraît invraisemblable qu'on
ait pu ne pas s'inquiéter des besoins de la campagne. Des mouvements
paysans se sont succédé d'avril à octobre dans toutes les provinces : les
Bolcheviks n'ont pas dû rester insensibles à cette effervescence.
L'objet du présent article est de montrer comment les Bolcheviks,
dont les idées concernant la vie rurale étaient fort sommaires avant la
Révolution, ont été conduits par les événements à tenir compte des
besoins exprimés par les campagnes. Tous les révolutionnaires avaient,
au début du XXe siècle, des notions générales sur le problème rural.
L'anarchie qui suivit la Révolution de février permit aux paysans de
faire connaître, sous des formes multiples, leur mécontentement. Le
« paysan » abstrait disparut devant les paysans réels ; à mesure que la
pression des ruraux se précisa, la doctrine s'assouplit et Lénine accorda
1. Toutes les dates sont données en ancien style.
2. Cf. Б. Lucku, « Borba vokrug dekreta « o žemle », nojabr'-dekabr' 1917 g. »
(La lutte à propos du décret sur la terre, novembre-décembre 1917), Voprosy Istorii,
1947, n° 10, p. 15-89 ; cet article explique la genèse du décret uniquement par l'étude
interne des discours de Lénine.
3. M. L. Zavinovskij, Politika kommunističeskoj partii po otnošeniju к trudjaSčemiť
8Ja kresťjanstvu v 1917 g. (La politique du parti communiste à l'égard de la paysannerie
travailleuse en 1917), IzdateFstvo kievskogo universiteta, 119 p., 1960.
4. Sur un plan d'ailleurs plus général, l'ouvrage de M. S tep ano v : Partija boVsevïkov
organizátor pobedy velikoj oktjabriskoj revoljucii (268 p., Moscou, 1951) est caractér
istique de cet état d'esprit : rien ne s'est fait que par l'initiative des Bolcheviks.
5. Zavinovskij, Politika kommunističeskoj partii... p. 77-81.
251 '
ANNALES
plus de place aux campagnes dans la perspective révolutionnaire. Loin
d'avoir pris l'initiative et d'avoir exprimé les besoins instinctifs de la
masse, les Bolcheviks semblent bien s'être plies aux initiatives et aux
réclamations venues des campagnes.
Deux remarques préliminaires sont nécessaires. La première ne soulève
pas grande difficulté et ne réclame pas de longs développements ; elle
consiste à souligner qu'il n'existe pas, en 1917, un paysannat russe,
mais des milieux paysans assez divers. La division classique en kulaki,
paysans pauvres, ouvriers ruraux, n'est pas ici en cause : elle est trop
connue pour qu'il soit nécessaire de la rappeler. Mais il existe un autre
partage, d'ordre géographique, qui, pour être moins évident, n'en est
pas moins très important. Le paysan russe, tel qu'on le décrit à la fin du
xixe siècle, est en fait le paysan moscovite, et ses congénères des autres
régions ne vivent pas du tout comme lui. Pour la seule Russie d'Europe,
il faut distinguer, en dehors des districts infertiles, au moins cinq grandes
zones agraires.
Pays de la Baltique, Biélorussie et Russie Centrale regroupent quelque
quatre-vingt dix millions de ruraux, plus des trois cinquièmes de la
population agraire. Tous ces paysans ont des problèmes communs :
ils sont trop nombreux et manquent dé terres ; ils n'obtiennent que de
faibles rendements et ils regardent avec jalousie les grands domaines
qui couvrent encore d'importantes superficies. Ces provinces du Nord-
Ouest et du Centre sont, par excellence, les régions pauvres de la Russie
agricole. Mais on y perçoit des différences, moins dans la misère
que dans les réactions à l'égard des difficultés de l'existence.
Au Nord- Ouest, c'est-à-dire, grossièrement, entre Petrograd et Moscou,
les paysans trouvent un dérivatif dans l'émigration vers les villes. L'essor
industriel des années 1910 a fourni aux cultivateurs des emplois nouveaux ;
la surcharge démographique s'est légèrement atténuée. Dans cette
contrée forestière, les cultures sont pauvres et laissent peu d'excédents ;
les paysans vivent mal, peinant toute l'année pour un maigre profit ;
acca

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