«Les Déliquescences » d Adoré Floupette ou l imitation crée le modèle - article ; n°75 ; vol.22, pg 13-20
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«Les Déliquescences » d'Adoré Floupette ou l'imitation crée le modèle - article ; n°75 ; vol.22, pg 13-20

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Description

Romantisme - Année 1992 - Volume 22 - Numéro 75 - Pages 13-20
8 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1992
Nombre de lectures 40
Langue Français

Extrait

Pierre Jourde
«Les Déliquescences » d'Adoré Floupette ou l'imitation crée le
modèle
In: Romantisme, 1992, n°75. pp. 13-20.
Citer ce document / Cite this document :
Jourde Pierre. «Les Déliquescences » d'Adoré Floupette ou l'imitation crée le modèle. In: Romantisme, 1992, n°75. pp. 13-20.
doi : 10.3406/roman.1992.5996
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1992_num_22_75_5996JOURDE Pierre
« Les Déliquescences » d'Adoré Floupette,
ou l'imitation crée le modèle
Un succès équivoque
Le 2 mai 1885, paraît une mince plaquette de dix-huit poèmes, tirée à cent dix
exemplaires : Les Déliquescences attribuées à un certain Adoré Floupette. Malgré
ce caractère confidentiel \ les réactions dans la presse sont immédiates et nomb
reuses, à tel point que les vrais auteurs, Gabriel Vicaire et Henri Beauclair, sem
blèrent s'en inquiéter, et parlèrent du « succès extravagant » de leur « bambo-
chinade sans prétention » 2. Dès le 17 mai, dans les colonnes de deux grands
quotidiens, le Gil Bias et Le XIXe Siècle, Paul Arène et Gabriel d'Encre donnent
des avis opposés. D'autres articles se succèdent jusqu'à la fin de l'année. La
cacophonie des opinions, l'âpreté de la polémique surprennent. En fait, le recueil
semble avoir fourni à des questions encore latentes, à des conflits sous-jacents,
l'occasion de se cristalliser.
En schématisant, on peut regrouper les avis exprimés sur Les Déliquescences
en quatre catégories. Certains n'ont pas clairement distingué la parodie, et ironi
sent sur ce nouveau représentant des « modernistes » ou autres « sensation-
nistes » 3. D'autres au contraire, comme E. Rod, critiquent ce qu'ils estiment être
une charge visant les créateurs nouveaux. D'aucuns apprécient une illustration
amusée du décadentisme. Restent ceux qui, à l'instar de Champsaur, se félicitent
d'une parodie réglant leur compte aux décadents.
A dire vrai, peu de critiques s'y trompèrent. Le grave Gabriel d'Encre, du XIXe
Siècle, A dut se mordre les doigts d'avoir pris la plaisanterie au sérieux et traité
Floupette de « fanfaron d'abrutissement », de « poseur pour la névrose » 5. Mais
on sent chez lui une hésitation ; pris d'un soupçon in extremis, il tente de se
couvrir des mauvaises surprises et glisse à la fin de son article : « à moins que le
blagueur ne se double d'un parodiste, et que Les Déliquescences soient pour les
impressionnistes ce que Le Parnassiculet fut pour les parnassiens ? ».
Cette équivoque, on la retrouve partout à propos des Déliquescences : Lutèce,
la revue qui a lancé et défendu la parodie, soutient Verlaine mais éreinte Mallarmé,
publie Laforgue tout en le critiquant sévèrement, bref maugrée contre les audaces
de la poésie nouvelle en même temps qu'elle lui donne la parole. Vicaire est le
poète bien traditionnel des Emaux bressans, le chantre de la campagne franc-
comtoise, c'est aussi l'un des plus fidèles amis de Verlaine. On peut donc
s'interroger sur les intentions exactes qui ont présidé à la rédaction des Déliquesc
ences, et par suite sur leur statut : pastiche, parodie, création à part entière ?
ROMANTISME n°75 (1992-1) 14 Pierre Jourde
Le mieux pour y voir clair est d'examiner les déclarations des auteurs, qui ont
tenté à plusieurs reprises de préciser leurs intentions. Ils estiment avoir été parfa
itement compris par Paul Arène, lui-même parodiste, qui parlait dans le Gil Bias
ď« une imitation savante » pour laquelle « il est nécessaire d'aimer un peu ce
qu'on raille » 6. Ils répliquent à Edouard Rod, qui leur reproche 7 d'avoir ridiculisé
les novateurs de la poésie, que « tout en conservant une estime profonde pour les
vrais artistes qui cherchent, sans trouver toujours, Floupette a cru pouvoir blaguer
légèrement, en bon camarade, ce qui chez eux lui semblait un tantinet ridicule » 8.
Position délicate à tenir, dont l'ambiguïté est bien illustrée par le statut imprécis
de leur créature : Floupette est un personnage, un poète décadent, sujet de la paro
die. Mais c'est en tant que parodiste qu'il prend la parole pour défendre le recueil.
On le charge de représenter en même temps le railleur et sa victime.
Leparatexte
Ces explications des auteurs ont été rendues nécessaires par ce qu'ils est
imaient être des erreurs de réception.C'est avouer implicitement que le texte des
Déliquescences ne se suffit pas à lui-même. Le lecteur a besoin de repères. D'où
l'importance des éléments paratextuels : le titre, le nom d'auteur, le nom d'éditeur,
le liminaire avec son épigraphe, la biographie factice de la seconde édition.
Le titre, sa terminaison en essence, est typique du goût des poètes nou
veaux pour les termes vaporeux et compliqués, mais n'implique pas nécessaire
ment parodie. Le liminaire se situe à mi-chemin du texte et du paratexte, puisque
c'est Floupette qui s'y exprime en son nom. Son style ne diffère guère de celui des
poèmes.
Le nom d'Adoré Floupette est plus clair. Pour Gérard Genette, il suffit « à lui
seul, à marquer l'intention » 9. Il est vrai que le contraste entre le prénom fas
tueux et le patronyme aux consonances terre à terre dénonce la plaisanterie et en
précise les objectifs : si Adoré voue celui qui le porte à une gloire obligée (il n'a
pas à prouver par ses œuvres, qu'il est adorable, puisqu'il est d'avance, de droit di
vin, adoré) Floupette le renvoie à la plate réalité désignée par le diminutif.
Gonflée par la volonté d'originalité individuelle que proclame le prénom, la bau
druche est aussitôt crevée par le nom de famille. On n'échappe pas à ses parents,
et l'artificiel Adoré ne sera jamais que le trop réel Floupette. (Ce peut être même
un tendre diminutif maternel : le floupette adoré à sa maman.) C'est un résumé de
la biographie du personnage, telle que la raconte son ami Tapora. Tout cela n'a
d'ailleurs pas empêché l'inoxydable Gabriel d'Encre de prendre le pseudonyme pour
argent comptant et de noter au passage que, puisque « le nom sert ou dessert celui
qui le porte » 10, ce pauvre Floupette est d'emblée bien mal parti. Prédestiné à la
décadence, en quelque sorte.
La blague transparaît plus clairement encore avec le Byzance, chez Lion
Vanné censé indiquer l'éditeur. On ne saurait mieux condenser, à travers l'anagram
me de Léon Vanier, les deux topiques décadents que sont l'énervement du dandy et
le crépuscule des empires.
Le clairvoyant critique du XIXe Siècle écrivait avant qu'ait paru la seconde
édition précédée de la biographie de Floupette. Celle-ci accentue fortement le
caractère parodique du recueil. Il s'agit d'ôter toute espèce d'authenticité à Floup
ette, d'en faire une sorte de fantoche. Il passe par toutes les influences, classique, « Les Déliquescences » d'Adoré Floupette 15
romantique (successif épigone de Lamartine, Hugo et Musset), parnassien, la
rmoyant à la Coppée, rural à la Vicaire (!), naturaliste, et enfin, symboliste. Son
physique florissant dément ses prétentions au délabrement. C'est « un sphinx un
peu plus grassouillet qu'il n'est d'usage » " ; « en dépit de ses jeûnes obstinés et
du vinaigre qu'il avalait en cachette, Floupette avait vraiment de la peine à se mal
porter [...] Ses bonnes joues roses lui faisaient du tort » 12. Tout en faisant des
appels à la perversité - « soyons pervers ; promets-moi que tu seras per
vers » 13 - il craint fort de troubler la responsabilité bourgeoise de son
immeuble, et, rentrant un peu éméché, prie son ami Tapora « de ne pas faire de
bruit dans l'escalier » u.
La « perversité » de Floupette résulte d'un artifice, elle ne correspond à rien
d'authentique, et elle est démentie en permanence par le fond provincial et bour
geois : Floupette est fils d'un gros marchand de vin franc-comtois. Le naturel
réapparaît sous le mince vernis décadent.
Le

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